TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

 

Septembre-octobre 2023

 

Marie Sorba :

 

« Le temps suspendu sous une pluie d'astres ».

 

Extraits du recueil inédit Les étoiles tombantes

 

(*)

 

Jacques Grieu, Brisures

 

 

cadente

La nuit la plus longue s'est levée comme une marée sur la mer du Nord. La plage inondée est un vaste champ de blés fauchés où se distinguent au loin les ombres de quelques collines. Le bruit n’est plus qu’un vent chaud sur les herbes séchées de ce désert immense, et l’enfant qui se trouve seul au centre regarde le ciel et cherche les étoiles filantes. 

Ses yeux déçus ne voient qu’un ciel vide où rien ne passe. Il ne sait pas reconnaître ce qu’il souhaite et scrute en vain la voûte au-dessus de lui, croyant apercevoir un mouvement dans les astres fixes. Dans l’espace distendu du solstice, ses yeux aveuglés par un point lumineux ne tiennent plus l’absence de mouvement. Ils clignent, s’embuent, et coulent. Les larmes filent dans la nuit sombre.

C’est un pays que j’ai connu, celui de la nuit sans étoiles, un pays où les étoiles tombent. Mais le ciel n’était pas vide. Les yeux lavés finissent par comprendre les accents des comètes et comment se prononce la vie à cet instant.   

Quand la plus longue nuit est arrivée, j'ai abandonné mes langages et je suis partie chercher le désert, cet endroit où le bruit n'est qu'un vent chaud sur les herbes séchées d'un champ immense. Au milieu se trouvait une abbaye sans toit où en plein jour j'ai vu les étoiles tomber. Par la voûte de ma cathédrale effondrée, le San Galgano de mes rêves écroulés, et dans la nuit la plus longue, enfant j'ai vu le temps suspendu sous une pluie d'astres, la lumière brève des corps qui traversent le ciel. 

 

 

équilibre

En levant la tête de mon lit ce matin, je me suis rendu compte que je tanguais. Ce n'était pas juste l'étourdissement du réveil ou un rêve encore collé à ma joue qui faisait peser plus lourd un côté de mon esprit. Pour une raison que j'ignore, ce matin je tangue comme les mâts de ces bateaux qui reposent dans le port de Palerme, doucement, de gauche à droite et en rond. Il y a sans doute une explication parfaitement rationnelle à ce léger déséquilibre interne qui me fait tourner la tête, j'ai peut-être bu trop de café hier ou bougé quelque chose dans mon sommeil par exemple. Toutefois, l'expliquer ne m'empêchera pas de sentir le roulis. Les mâts tanguent parce que le vent est libre, il joue sur les choses et danse comme il le veut dans l'espace, sans se soucier des choses qui se trouvent sur son passage. Alors les mâts tanguent parce que résister au vent est une folie. Ils dansent sur l'eau et entrent ainsi dans le mouvement des choses de la vie, qui tanguent et se laissent aller pour ne pas casser.

 Quoiqu'il en soit, je tangue et en attendant que ma tête revienne dans l'axe des choses fixes et stables, je ferme les yeux, j'entends la mer et les goélands de Palerme qui volent autour de moi et je revois la lumière de la Méditerranée qui se couche sur le monde qui danse.

 

 

le dompteur 

En le suivant dans les rues, mes pas déroulés dans la trace des siens, je me demandais combien de solitude avait été nécessaire pour apprivoiser tous ces quartiers, dans toutes ces villes et tous ces continents. Combien d'yeux inquisiteurs sur les coins de rues, combien de détours hésitants et combien de plans tournés avant d'ajuster sa boussole interne, celle qui le guide avec assurance sur le bitume défoncé de Mexico ou les pavés bourgeois de Montmartre. Il connaît cet asphalte et saute de rue en rue comme un chat sur les murets de son territoire. Toute cette connaissance a demandé qu'il abandonne tout ce qui n'était pas son corps, tout ce qu'autour de lui il connaissait, parce que tracer les nouveaux chemins de son environnement exige qu'il devienne tout entier dirigé à mémoriser la direction du stylo sur une page à la lumière changeante et peuplée de bâtiments, de végétations et d'odeurs inconnues.

Pour chaque rue apprivoisée, il a jeté les clefs de son orientation dans un cercle de feu et a sauté derrière à leur poursuite, et par tous les chemins tracés, par tous les pas battus sur le trottoir, tous les immeubles embrassés du regard et tous les arbres reconnus, il a dompté ses villes comme on apprend à un fauve à s'asseoir au claquement d'un fouet.

 

 

souvenir  

Voyager dans le temps c'est revenir dans une ville où l'on a vécu. On s'imagine qu'un saut dans le temps doit être instantané et on le confond avec la faculté d'être sans vieillir. Alors que sauter dans le temps, c'est revenir dans les espaces que l'on connaît et qui sont séparés de nous par un autre espace qui nous habite depuis que nous l'avons quitté, et sentir en nous s'effacer tout ce qu'il y a eu depuis. 

Je reviens à Paris, et le Mexique se dilue, le Brésil se dissout, l'Italie s'évapore, et le métro qui m'emmène est le même que celui de mes vingt ans, le même que celui de cet amour dix ans plus tard, le même que tous ces moments où je redeviens parisienne pour juste un instant, le même qu'aujourd'hui qui me transporte dans ces rues que je connaîtrai toujours.

 

 

miroir

Il n’y a qu’un miroir dans la salle de bains, aucun autre dans l’appartement. Ça m’a d’abord décontenancée, l’idée a tourné fixement dans ma tête plusieurs jours d’aller m’en acheter un long pour m’inspecter de haut en bas avant de m’aventurer dans les rues. Que voient les autres si je n’ai plus l’image?

Et puis j’ai pensé au Corbeau qui m’a dit qu’il serait mon miroir, qu’il m’apprendrait à me voir sans me perdre dans les échos que me renvoient les autres. Alors je sors sans état des lieux, et j’apprends à me voir sans reflet.

 

 

coup d’œil

Comment peut-on savoir en un instant aussi court que le silence sourd d'un battement de cœur qui s'abstient, qui s’effondre en se taisant soudainement sous le coup de la révélation d'un événement fatal: la rencontre que l'on devine dévastatrice. 

Le saisissement du corps bouleversé réalisant que l'on vient de se retrouver devant l'une des cascades de sa vie et que quoi que l'on fasse, il faudra la traverser et que de l'autre côté, le courant sera différent, et l’on ne sait pas si la chute sera haute. 

 

 

mécanique

La réalité, c’est la mécanique du cœur en marche, le sang qui coule dans les veines, ce qui tape, qui s’entend. Le rêve, c’est le souffle, la pause qui fait que le cœur bat. 

Voyager m'a aidé à marcher dans le rêve d'à côté, à traverser pour passer dans une autre réalité qui m'aide à accepter que dans celle d'où je viens, il y a quelque chose que j'aime et que j'ai perdu. Le bonheur, c'est le bon équilibre des rêves et de la réalité. Le malheur, ce n'est pas la différence entre le rêve et le réel, c'est de lâcher les rêves qui tiennent la réalité. Perdre l'équilibre et tomber d'un rêve, ça écorche l'âme comme le bitume abîme les genoux des enfants. 

 

 

humidité

La ville n'a pas encore de prise sur moi. Ou c'est moi qui n'en ai pas encore sur elle. Je me déplace dans ses rues comme une goutte qui glisse sur un tissu imperméable, je vais d'un point à un autre de manière plus ou moins contrôlée, comme je l'ai fait dans tant d'autres villes avant celle-ci. Habiter une ville, c'est la sentir comme l'humidité dans l'air. C'est elle et moi qui nous imprégnons l'une de l'autre jusqu’à ce que l’on se sente dans les os.

 

 

le parapluie

Dimitri m’a prêté un parapluie à carreaux écossais qui a un côté cassé. Pour qu’il prenne sa forme parfaite et tendue de parapluie fonctionnel, je dois caler le manche entre mes jambes et prendre ses longues pattes fines dans ma main et les déplier délicatement, comme un héron en rééducation à qui j’apprendrais à déplier les ailes correctement pour qu’il me protège de la pluie fine qui tombe du ciel de Milan.

La rue n’est pas très large et déserte. Abritée sous un arc, je regarde l’eau brouiller la lumière des lampadaires.

 

 

chaos 

J'ai toujours un peu peur lorsque je vais à un entretien d’embauche, des moments pourtant rares. Peur de rater une partie de ma vie, parce qu'on m'oblige à choisir quelque chose qui ne me contentera pas. Forcément, je ne sais pas ce que je veux. Ni ce que je sais faire d'ailleurs. Probablement un peu de tout, mais ça ne suffit pas pour décrocher un job aujourd'hui. La cohérence définie par l'employeur est l'ennui de la vocation: la passion reconnue, les études adéquates, les stages propices. Il faut en être passé par là, avoir serré un peu la ceinture et bien fermé sa gueule, pour arriver au poste pour lequel bien entendu, on se prépare depuis notre plus tendre enfance. Ce jouet en plastique vous voyez, a déclenché en moi la passion fatale, inéluctable, du métier inscrit sur votre fiche pour lequel je me réduis et me classe en petits fichiers bien ordonnés supposés susciter en vous une irrémédiable confiance en mon infaillible compétence. Logique et mathématique. Moi j'aime l'imprévisible et le bordel modéré. C'est sans doute pour cela que je suis revenue au Mexique, une joie renouvelée quotidiennement dans l'expérience de l'absurde.

 

 

tramway

Quand je marche, c'est comme si mes pieds et mes jambes enclenchaient le mécanisme lourd et ancien qui active mes pensées. Le démarrage est lent, et puis portée par la force même du mouvement, les pensées finissent par couler avec un flux sûr et régulier comme une vieille locomotive qui pourrait affronter aussi bien le froid sibérien que le désert mexicain. 

 

 

train of thoughts

Parfois lorsqu'un paysage défile, un champ d'herbes hautes dans le nord de l'Italie par la fenêtre du train, un autre champ sauvage de maïs et de feuilles de palmiers, et l'asphalte qui s'effrite sur le bord d'une jungle me revient brutalement. C'est une vie passée qui vient cogner au cœur, un souvenir de ma jeunesse au Mexique et les routes de Tabasco qui filent jusqu'au Quintana Roo qui s'étendent soudain devant mes yeux, dans le train qui entre Milan et Parme. Je me souviens des lignes droites de bitume brûlées au milieu des palmiers et des herbes folles qui défilent sur des centaines de kilomètres. De temps en temps un paysan endormi sur une chaise en plastique et sous son chapeau de paille apparaissait, ou des guitounes sur le bord de la route qui vendaient des bananes et des mangues sur la terre battue du bas-côté. 

Je ne savais pas, enfant, qu'en dévorant le monde c'est soi-même que l'on mord en plongeant dans chaque paysage, chaque culture et chaque langue, et qui reviennent comme des petits cailloux de Sisyphe hanter toutes les pierres que l'on croise. 

 

 

tailler des bouts de bois

Élaguer la vie, la dénuder de tout artifice, de la famille, des amis, des amours pour arriver à l'essence, à une forme parfaite qui serait celle d'une vérité, ou un des sens de l’existence.

Ce qu'il en reste est l'impression qu'il n'y a aucun sens, mais persiste têtue l'envie de vivre et d’en donner un, de mettre des mots pour expliquer ce qui a été, intellectualiser le passé, Camus à Tipasa disait qu’il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre.

 

 

omissions

Nous sommes aussi nos omissions. Ce que l'on laisse faire par un autre, ce que l'on n’ose pas; la transmission contient ses silences, celle des peurs et des faiblesses. C'est la part de nos apprentissages concaves.

Il y a du brouillard et de la lumière jaune d'hiver sur les montagnes qui apparaissent. Je descendrai du train à Modane, nous entrons dans les Alpes. C'est curieux, hier je regardais le sommet de dieux, que je n'ai pas voulu finir puisque je n'ai pas entamé le tome 5. Il me semble que le film ne traite que des premiers épisodes. Quoiqu'il en soit je n'aime pas finir le film avant le livre, qui pour moi est toujours plus riche en images.

Peut-être que je devrais boire pour écrire. Non pas devenir alcoolique en même temps qu'écrivaine, mais ouvrir les vannes ou débloquer les mots que les millions de minuscules bras de mes angoisses retiennent au bout de mes doigts. 

Ou alors je t'écris une lettre.

Dans le bus entre l'hôtel et l'aéroport, à Mexico, je regardais les immeubles et forçait mes yeux à ne pas glisser autant sur les bâtiments. Je voulais les obliger à buter, à se heurter à quelque chose, mais je ne trouvais rien: mon esprit caresse la ville avec la même douceur qu'un artisan qui a bien travaillé son bois, qui l'a poncé et verni, et sait qu'il en connaît trop la surface pour être surpris.

 

 

la fin du monde 

Hier soir avant de m'endormir, j'ai pris mon courage et mon livre à deux mains et j'ai lu les dernières pages de La Fin du Monde que je retardais depuis quelques jours. J'ai glissé sur le dernier mot sans y croire, en ayant pourtant bien vu qu'après lui il n'y avait que le vide. Mes yeux ont cherché la suite comme on cherche le corps de l'amant parti dans un lit vide, en ressentant le coup que le néant vient frapper au cœur en creusant un trou dans le ventre.

Les moments après la fin d'un livre sont toujours nostalgiques. Quand on arrive au bout du chemin, c'est un peu comme se réveiller d'un rêve. On ne se souvient pas des détails mais de la texture, cette sensation sur la peau qui n'apparaît souvent que parce qu'il n'y a plus rien pour nous toucher. Comme toutes les histoires, il y en a que l'on garde toute une vie et d'autres qui sont dissoutes immédiatement dans le verre d'eau du réveil.

Ce matin je me suis assise dans le tramway à côté de la fenêtre et j'ai penché la tête en arrière pour prendre les rayons du soleil qui n'était pas là hier.

 

 

une seconde

La plupart des jours, on a la démarche assurée de ceux qui ont pied dans un temps où 60 secondes font une minute. On se livre à la journée en restant à la surface, parfois on évite une flaque. Et puis tout d'un coup on glisse dans une odeur, une chanson ou un message qui fait que le temps explose en mille morceaux de vie et de vieux rêves.

En une seconde, on plonge dans une éternité, dans un moment élastique qui s'allonge à l'infini et qui donne l'impression que le cœur s'arrête, mais c'est juste le temps qui fait une boucle. Et puis un coup de vent nous ramène à la rue d'octobre, alors on secoue la tête pour faire tomber les miettes du passé et on repart un peu étourdi de tout ce qu'on a vécu.

 

 

bulles

Les messages que je t'envoie ne tournent plus que dans ma tête.

Je vis dans une bulle hors du temps qui contient tous les temps de ma vie. Suspendus les instants hors de la vie, ils flottent et m'entourent en tout moment. J'ai longtemps pensé que ce qui n'était plus m'était perdu, et qu'invoquer ne servait à rien puisque rien ne surgit du néant et rien n'était enfoui. J'ai simplement appris à voir et à sentir ce qui m'entoure, ce que je suis: le vecteur et le chemin, le seul dieu du temps qui m'est donné, la tortue immense qui porte un monde qu'elle construit et qu'elle devient.

 

 

suite 

Se rendre compte dans le vide qui entoure que l'on est passé de l'autre côté du miroir et que l'enfer, c'est d'être face au miroir sans se voir.

Au fond, qu'importe si c'est dans la mort ou dans la vie que se produit la perte. 

La nuit j'écris, dans mes demi-sommeils. 

 

 

testamentum

Des fils dorés ondulent dans le vent qui vient rafraîchir tous ces corps qui dansent et tournent pieds nus et couverts de paillettes sur la péniche. Les grandes baies vitrées sont toutes ouvertes sur quelques personnes assises sur la terrasse, le soleil penche des rayons dorés depuis le pont d'Austerlitz. Assise sur un tabouret, je contemple face à moi la grande photographie de Mathilde, protagoniste de la fête, que l'on a enterrée ce matin.

 

 

rêve disciplinaire

À 2h38 je me réveille d'un rêve angoissé. Calmement, j'organisais toutes les nuits une bataille en règle contre une armée de morts-vivants. Il fallait les écraser, un à un, comme des cafards, le pied ferme, sans plus de violence. Ces monstres n'étaient pas dangereux s'ils étaient consciencieusement matés; mais s'il en restait un, si par mégarde on se laissait aller à un relâchement, le monstre nous dévorait tout entier en déployant ses terrifiantes caractéristiques de chose venue des bas-fonds de ma conscience. 

J’ai failli mourir avalée par un manque de rigueur. 

 

 

einstein et le fil

Il n'y a de vérité que pour soi. Qui sont ces gens qui balancent aux audiences surpeuplées les recettes du bonheur et du succès sans douter une seconde que l'exemple d'une vie n'est pas un modèle. Il n'y a de vérité que dans l'équilibre, à ramener toujours plus au centre le pied, à rectifier à chaque instant les failles de sa propre existence et essayer d'atteindre une forme qui permette d'avancer, l’équilibre qui mesure les failles qui viennent de l’intérieur, la vérité de toute existence ne peut se trouver qu’en regardant en soi et rapporté à l’extérieur, et non l’inverse.  

 

 

cathédrale

Au fond de moi vit une ville déserte

De jardins luxuriants aux portes de l'Afrique, 

De cathédrales dorées et dômes carmin 

Ruelles de pierre décadente et portes nues

Tous y sont revenus, à eux la ville rendue 

Réveil loin de la brume, j'ai repris mon chemin 

Abdiquant le soleil fumant de mes matins 

Le vent, l'or noir remis au passage du temps

Mais quelque part enfouis quatre goélands 

Voltigent sur les toits et ne crient que pour moi 

L'écho de mes pas aux palais abandonnés

Où vole mon âme retrouvée, 

Palerme la magnifique.

 

 

©Marie Sorba


 

 

(*)

 

Marie Sorba est née à Lille en 1987. D’origine corse, elle a longtemps vécu au Mexique où elle a séjourné pour la première fois adolescente, puis au Brésil, à Paris et en Italie où elle vit à présent. L’écriture l’accompagne depuis toujours mais elle n’a pas encore publié d’écrits personnels. En parallèle de son premier roman toujours en cours d’écriture et commencé à Palerme, elle écrit des textes courts qui deviennent ce recueil de prose et poésie.

 

Ces 22 textes extraits de son recueil de début Les étoiles tombantes (en recherche d’éditeur) nous révèlent une jeune écrivaine accomplie dont la plume s’immisce aussi bien dans l’intime que dans l’observation des faits et gestes d’autrui, avec autant d’audace incisive que de grâce, autant de perspicacité que de profondeur de la réflexion. Au point que le lecteur se sent inclus dans le texte, pris à témoin des mouvements infinitésimales de l’âme et de l’esprit (comme dans tramway ou train of thoughts) tout comme d’une sorte d’universelle balance presque onirique du moi et du monde, telle celle des « mâts (qui) tanguent parce que résister au vent est une folie » (comme dans équilibre). 

Un infra-textualisme subtil et efficace, où l’on « apprend à (se) voir sans reflet » (miroir, suite), à dompter la ville jusqu’à ce qu’on l’assimile dans nos pores intérieures (dompteur, humidité), à vivre « dans une bulle hors du temps qui contient tous les temps » (une seconde, bulles) ou enfin à se surprendre soi-même par des « apprentissages concaves » (omissions), le goût de l’absurde (chaos) et la passion de l’auto-élagage (tailler des bouts de bois). Autrement dit : « Il n'y a de vérité que pour soi » (einstein et le fil).

À noter que le recueil finit là où il a commencé : dans le silence sauvage et abandonné d’un espace désertique mais riche en vision, enfoui sous les voûtes « de cathédrales dorées et dômes carmin »… « où vole mon âme retrouvée » (cathédrale) – comme pour retrouver ainsi l’enfant qui « seul au centre regarde le ciel et cherche les étoiles filantes », dans « une abbaye sans toit où en plein jour j'ai vu les étoiles tomber » (cadente). « Par la voûte de ma cathédrale effondrée, le San Galgano de mes rêves écroulés, et dans la nuit la plus longue, enfant j'ai vu le temps suspendu sous une pluie d'astres, la lumière brève des corps qui traversent le ciel. »

Une belle écriture inspirée. Magnifique.

(D.S.)

 

 

Marie Sorba

Francopolis septembre-octobre 2023 

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