Nuages
À force de regarder les nuages
j’ai fini par les habiter,
langueurs orageuses et barbe à papa,
je ne suis pas le plus noir, le plus
bleu.
Le vent me berce-t-il ? Non, sa
caresse est rude !
Plane un péril au parfum de foudre…
Une route après l’autre et devant
l’ombre
s’allonge mais nul arbre, nul abri.
Un bout de terre, une terne étoile
me tint lieu longtemps de chevet.
J’embrasse son souvenir, en guise
de bonsoir, si ce n’est d’adieu.
À force de regarder les nuages,
je rêve que je rêve à la mer,
une flaque malingre et gelée,
un bassin gris dans un parc en hiver.
J’ai eu des fêtes et des plaisirs
qui me laissaient triste à la fin
mais d’une obscurité rose, la nuit
m’enveloppait, houppelande de fée.
Touffeurs d’un songe forain,
dansent les montagnes russes,
tournent les chevaux muets
d’un manège enguirlandé.
Ai-je cru en quelque chose ? Oui,
un joyeux désordre de mots et de
cris,
de corps emmêlés et de rues qui
volent
un été, l’oubli à perpétuité.
Tout est très lourd, trop droit,
tendu,
par feux et glace malmené.
Ce nuage me prend dans son rêve.
C’est si dur de s’enfuir sereinement.
Dans un trou creusé par l’homme, un
ciel,
vient cette buée, cette écume,
laine frisée sur le dos des bisons.
Ah courir au soleil avec eux !
Je me suis tourné d’un autre côté,
caché dans un coin solitaire,
mais lente et sûre montait la fièvre
et j’avais soif de tous ses fruits.
Un nuage… Le temps suspendu
aurait sa forme s’il en avait une.
On dirait tiens voici le temps qui
passe.
Nuage est plein de vide et ne tombe
jamais.
Nuage sans source et sans but,
dernier témoin des naufragés,
poussière émancipée de l’eau,
en quel ciel irais-je comme toi,
grand-erre ?
Ni source ni but
Je n'ai d'amour que pour les lieux
Où mon regard peut vaquer librement.
Je me vois adossé à cet arbre
Un soir d'été la mer le vent
Demain l'arbre me verra
assis sur ce rocher gris
Le tout est de marcher dans la forêt
tel un sourcier ne cherchant pas même
de l'eau
car le regard n'a ni source ni but
La vie est le nom du temps à
traverser
Elle t'éclaire comme elle peut
Regarde-la elle te regarde
Pourquoi te détourner
Tu penses aux yeux des bêtes
Ces bons yeux vides et blancs
des bêtes en leur pré paissant
Tu as beau rester là
le pays change de visage
mais toi tu as gardé
l'élégance des vieux fruitiers
avec tes songes lents
un sourire un collier de feuilles
jeté sur des épaules
J'ai marché sous la pluie glacée
Les églises étaient fermées
Un ruisseau a jailli de l'oubli
J'avais son nom sur les lèvres
Son souvenir s'argente au soleil
J'ai tant de plaisir à y penser
Je vois le ciel noir
L'espoir vaincu
Un sourire en forme de grimace
Chacun parle sans voir
Mais regarde quelque chose
Dont il ne peut se défaire
On ne fait qu'aller et venir
au-dehors sans comprendre
Tout est charnel
ou je ne sais quoi
possiblement désirable
On croit qu'on aime
on en peut mais
Et tout recommence l'air de rien
La vie l'amour la mort
Le cinéma les copains
Le rock'roll et la bagarre
Et surtout Arthur Rimbaud
pour lequel ce soir
sur un air de flûte
je ferais un tombeau
Les fleurs crient
Les
fleurs crient
c'est
dire que Nature ne se rétracte pas
Elle
n'est tendue vers rien
Tandis
que nous ne lui accordons aucun regard
d'elle
à nous sempiternelle va la sève
Les
fleurs crient
elles
ont poussé dans le sang des bêtes égorgées pour nos
ripailles
Les
fleurs crient
et
leurs cris montent jusqu'aux cieux noirs de suie
Les
fleurs crient
quand
la vie fait semblant d'aller de soi
Allons
! N'ont-ils pas fleuri les cris
et
les mains tendues mais quoi
Plus
de pêches pour la soif ?
Là
dans
le silence seulement
et
la nuit des bêtes
en
enfance nous descendons
Puisque
le rêve est la source du rêve
la
seule armée qui vaille
est
celle des nuages
Aussi
imparfaits que nous soyons
l'air
et l'eau se souviendront de nous
J'entends
que la source demeure
Je
comprends qu'elle est le but
je
consens à ce qu'elle est
je
reviens au temps d'avant
celui
dont nous ne sommes pas revenus
Du
fond de mon abri
je
ne vois que fenêtres et murs
Et
les nuages repassent
cavaliers
du silence
mais
où vont-ils ?
Depuis
si longtemps le rêve pleut
J'attends
sans savoir
une
aube déboussolée
Elle
a tes yeux
La
brume est bienfaisante
mais
rien ne console le paysage
Un
mot vacille
se
cherche une racine
elle
est là j'en suis sûr
en
terre où l'eau murmure
©Patrick Chavardès
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