TERRA INCOGNITA

 

 

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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 : découverte…

Mars-Avril 2022

 

 

 

Serge Mathurin Thébault

 

« Tout ce que j’écris… »

 

(*)

 

 

Le 20 mars 2022

 

Il n’y a pas de bombes pilonnant le couvent. 

Aucun missile ne s’affale sur son cloître. 

Aucune mitraille ne crée l’éclair. 

 

Je prends conscience de la chance d’être 

de la génération qui n’a jamais connu la guerre sur son sol.

 

Je respire profondément cette tranquillité, qui de plus, annonce le printemps, demain.

 

Ils y croyaient aussi, mes connaissances ukrainiennes. 

La paix est fil fragile que coupe désinvolte la férocité. 

Je me sens éperdument solidaire de leur drame. N’y peux rien, dommage.

 

Je cale ma trogne bourrue devant les chaînes d’informations. 

J’encrasse mes oreilles de belette du conditionnel de leurs commentaires. 

Je n’apprends rien. Je me désole. Je fais présence, confort, devant cette horreur. 

 

Il n’est donc pas facile de rédiger ce rite, d’essayer de faire poindre sous cette chape de plomb, un coin azur. Il pourrait, peut-être, rendre notre dimanche, léger.

 

Je m’y essaie. Je m’y attelle. J’ignore le contenu de sa composition. Je le crée toujours même façon, d’abord sous dictée, puis légère correction pour tenter de rendre plus fluide les émotions.

 

Ils le lisaient hier, les amis du drapeau bleu et jaune. Peut-être encore, qu’importe... 

 

Celui-ci leur est dédié totalement, en espérant puéril, qu’un caillou fasse obstacle au sang du tyran, qu’il fasse cesser de battre ce cœur de pierre, qu’il éteigne ce cerveau dérangé.

 

Vous voyez que je ne suis pas tout à fait le même. Ce n’est pas ma nature de vouloir du mal à quelqu’un. Mais là, c’est sorti ainsi, rage qu’on cache, inutile, coupable sous son licol.

 

J’en suis loin de la sérénité. Je n’y parviendrai jamais mais j’aurai, au-moins, j’assure, 

fais le chemin pour parvenir jusqu’à elle.

 

Bon dimanche.

 

***

 

La chambre de Lessia

 

Elle désire me montrer, son cadre de vie, sa geôle étudiante. Il se loge dans une lointaine banlieue de Kiev. J’accepte. Elle s’en étonne, s’en enthousiasme. Nous prenons bus jaune et déambulons pendant près d’une heure entre immeubles, droits debout.

 

Nous y arrivons. Son nid est au rez de chaussée. Elle ouvre triomphante avec ses clefs la porte chancelante.

 

Dans la chambrette minuscule, claudiquent un lit en fer, un bureau vermoulu. Au-dessus de l’unique meuble de travail, trônent les cartes postales de Paris. Je les lui avais offertes l’année précédente.

 

Elle me montre ses compagnons de chevet, des cafards, qu’elle écrase de sa savate quand ils deviennent trop nombreux. 

 

« Oh ce n’est rien », me dit-elle, ravissante, m’invitant à la suivre pour visiter les douches et lavabos. Les cancrelats y règnent an maître. 

 

Nous regagnons son bercail. Je note le moisi sur les plinthes du mur. Je constate l’humidité de la paroi.

 

Mais c’est son chez elle, elle en est fière.  Elle étudie en toute tranquillité. Les quatre murs la protègent du froid et des intempéries. 

 

Aujourd’hui, vingt mars deux mille vingt-deux, plus rien ne préserve Lessia.

 

***

 

Certitude

 

Tout ce que j’écris

un rêve le répétera plus tard,

une autre voix que la mienne

l’exprimera

 

Les sujets ne varieront guère

 

Une armoire un ciel un banc

suffisent pour  générer un poème

 

Ce sera le même exercice

un léger timbre différent

 

Je ne sais quand

Je ne sais comment

Je n’ai aucune impatience

 

Je sais que cela sera

 

*** 

 

Mystique

 

Un soir

Je m’assiérai sur un banc

Dans le flottement blanc

Diluant des nuages sur le sol

 

Je respirerai l’haleine de l’iode

L’odeur oppressante des passants

 

Je ferai le bilan.

 

Je rassemblerai la cohorte

contradictoire des sensations

 

Je baverai les mauvaises

M’enivrerai des autres

 

Puis 

Je renoncerai à la lassitude

Pour quêter dans le ciel

Ma part éternelle.

 

 

© Serge Mathurin Thébault

 

Photo reproduite d’après Wikipedia.

 

Né en 1962 dans le Morbihan, Serge Mathurin Thébault est poète et dramaturge.

En 1979, il rencontre à Paris le poète Eugène Guillevic. Celui-ci lui présente le cercle élargi de ses amis, et il fréquente entre autres Alfred Manessier, Elvire Jan, Robert Marteau, Jean Laugier, Jean Tardieu etc.

Il a dirigé la revue Art-Mène (1984-1992) à qui on doit notamment des cahiers sur Guillevic, Pierre Jakez Hélias, Xavier Grall. En 2011, Frédéric Nantel, du théâtre NA interprète Une gaminerie à partir des textes de son dernier ouvrage AA. Il crée les musiques du spectacle avec des instruments insolites pour le genre : concertina, claves, harmonium électrique, guimbarde vietnamienne.

Il œuvre aujourd'hui au sein du mouvement @rt-chignaned composé de cuisiniers, photographes, peintres, poètes. Celui-ci a pris le pari audacieux d'approcher de l'état de vivre en poésie.

Publications :

·       Le Pain discret, poésie, Edition Art-Mène, illustrée par une gravure d'Elvire Jan, 1984.

·       Compagnons, poésie, Edition Art-Mène, 1986.

·       La Forêt d'encre, poésie, Edition Le Chêne Herbu, illustré par une gravure sur bois de Claude Huart, 1992.

·       La Belle Inutile, poésie, Editions Sèves, illustré par une gravure de Francois Davin, créateur de l'arbre d'or à Brocéliande 2000.

·       Un Oeil dans l'enclos, poésie, Edition @rt-chignaned, illustré par une gravure de Gérard Guy, 2004.

·       Guillevic, 13 poèmes sur une rencontre avec le salut de Lucie Albertini-Guillevic, illustré par les encres d'Aymée Darblay, Editions Gérard Guy, 2005

·       Le Chantier, poésie, éditions @rt-chignaned, 2007

·       AA, poésie, Edition @rt-chignaned, illustré par une gravure de Laurine Landry, 2011

 

Je remercie de tout cœur l’écrivaine Maria Mailat pour m’avoir proposé les textes de ce poète et avoir obtenu son accord pour la présente publication.

(D.S.)


 Serge Mathurin Thébault

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