Le 20 mars 2022
Il n’y a pas de
bombes pilonnant le couvent.
Aucun missile ne
s’affale sur son cloître.
Aucune mitraille
ne crée l’éclair.
Je prends
conscience de la chance d’être
de la génération
qui n’a jamais connu la guerre sur son sol.
Je respire
profondément cette tranquillité, qui de plus, annonce le printemps, demain.
Ils y croyaient
aussi, mes connaissances ukrainiennes.
La paix est fil
fragile que coupe désinvolte la férocité.
Je me sens
éperdument solidaire de leur drame. N’y peux rien, dommage.
Je cale ma trogne bourrue
devant les chaînes d’informations.
J’encrasse mes
oreilles de belette du conditionnel de leurs commentaires.
Je n’apprends
rien. Je me désole. Je fais présence, confort, devant cette horreur.
Il n’est donc pas
facile de rédiger ce rite, d’essayer de faire poindre sous cette chape de
plomb, un coin azur. Il pourrait, peut-être, rendre notre dimanche, léger.
Je m’y essaie. Je
m’y attelle. J’ignore le contenu de sa composition. Je le crée toujours
même façon, d’abord sous dictée, puis légère correction pour tenter de
rendre plus fluide les émotions.
Ils le lisaient
hier, les amis du drapeau bleu et jaune. Peut-être encore,
qu’importe...
Celui-ci leur est
dédié totalement, en espérant puéril, qu’un caillou fasse obstacle au sang
du tyran, qu’il fasse cesser de battre ce cœur de pierre, qu’il éteigne ce
cerveau dérangé.
Vous voyez que je
ne suis pas tout à fait le même. Ce n’est pas ma nature de vouloir du mal à
quelqu’un. Mais là, c’est sorti ainsi, rage qu’on cache,
inutile, coupable sous son licol.
J’en suis loin de
la sérénité. Je n’y parviendrai jamais mais j’aurai, au-moins,
j’assure,
fais le chemin
pour parvenir jusqu’à elle.
Bon dimanche.
***
La chambre de
Lessia
Elle désire me
montrer, son cadre de vie, sa geôle étudiante. Il se loge dans une
lointaine banlieue de Kiev. J’accepte. Elle s’en étonne, s’en enthousiasme.
Nous prenons bus jaune et déambulons pendant près d’une heure entre
immeubles, droits debout.
Nous y arrivons. Son
nid est au rez de chaussée. Elle ouvre triomphante avec ses clefs la porte
chancelante.
Dans la chambrette
minuscule, claudiquent un lit en fer, un bureau vermoulu. Au-dessus de
l’unique meuble de travail, trônent les cartes postales de Paris. Je les lui
avais offertes l’année précédente.
Elle me montre ses
compagnons de chevet, des cafards, qu’elle écrase de sa savate quand ils
deviennent trop nombreux.
« Oh ce n’est rien
», me dit-elle, ravissante, m’invitant à la suivre pour visiter les douches
et lavabos. Les cancrelats y règnent an maître.
Nous regagnons son
bercail. Je note le moisi sur les plinthes du mur. Je constate l’humidité
de la paroi.
Mais c’est son
chez elle, elle en est fière. Elle étudie en toute tranquillité. Les
quatre murs la protègent du froid et des intempéries.
Aujourd’hui, vingt
mars deux mille vingt-deux, plus rien ne préserve Lessia.
***
Certitude
Tout ce que
j’écris
un rêve le
répétera plus tard,
une autre voix que
la mienne
l’exprimera
Les sujets ne
varieront guère
Une armoire un
ciel un banc
suffisent pour
générer un poème
Ce sera le même
exercice
un léger timbre
différent
Je ne sais quand
Je ne sais comment
Je n’ai aucune
impatience
Je sais que cela
sera
***
Mystique
Un soir
Je m’assiérai sur
un banc
Dans le flottement
blanc
Diluant des nuages
sur le sol
Je respirerai
l’haleine de l’iode
L’odeur
oppressante des passants
Je ferai le bilan.
Je rassemblerai la
cohorte
contradictoire des
sensations
Je baverai les mauvaises
M’enivrerai des
autres
Puis
Je renoncerai à la
lassitude
Pour quêter dans
le ciel
Ma part éternelle.
© Serge Mathurin
Thébault
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