LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Été 2025 Deepankar
Khiwani, Entr’acte
(1995-2005). Traduit de
l’anglais (Inde) par Nina Cabanau. Édition bilingue Éditions Banyan,
mai 2025 (130 p., 19 €) Présentation par
Dana Shishmanian Photo de l’auteur (sur le site Memories.net) |
Nous
apprenons sur le site de l’éditeur que Deepankar
Khiwani est né à Delhi
en 1971. Son père, originaire de Multan au Pendjab, a été contraint de fuir
le Pakistan lors de la Partition de l’Inde britannique. Sa mère, fine
connaisseuse de la littérature anglaise, lui a appris très tôt les règles de
la scansion. Khiwani a été élevé principalement à Mumbai, où il a reçu une
éducation précoce à la Cathedral School et a obtenu une licence en économie
au St. Xavier’s College. Il a poursuivi par la suite une carrière de
consultant en entreprise. En 2013, il s’est installé à Paris pour plusieurs
années en tant que directeur général de quelques secteurs verticaux de
Capgemini. Pendant
ses années d’études, Khiwani a été étroitement associé à plusieurs poètes de
Mumbai, notamment Dom Moraes, Adil Jussawala et son ancien camarade de classe
Anand Thakore. Entr’acte, son premier recueil de poèmes, et le
seul à paraître de son vivant, a été publié par le collectif Harbour Line en
2006. Il a pris une retraite anticipée en 2019 et est décédé à 49 ans d’une
maladie soudaine et virulente le 28 mars 2020. Ce
volume contient, en original et en traduction française, les poèmes de cet
unique recueil, Entr’acte, rédigé comme une pièce de théâtre, avec un
prologue – dont chaque vers est ensuite repris, devenant le titre d’un poème,
au cours des deux « actes » – et épilogue. La consistante
introduction – une véritable étude d’une quarantaine de pages, signée par le
poète Anand Thakore, ancien ami de Deepankar depuis leurs années de collège –
mentionne une œuvre considérable, pour la plupart tardive, écrite fébrilement
dans ses tout derniers mois de vie, quand pressé par l’approche de la mort,
le poète revient à lui, déversant d’un coup l’écriture qu’il avait refoulée
pendant les décennies d’une vie et d’une carrière qu’il avait menées comme on
porte un masque. Ne déclarait-il pas dans son « prologue », tel un
personnage shakespearien contemplant son costume de scène : « Tu
vois, le miroir se moque de moi, écoute-le se briser, / alors que tu
contemples ton visage au-delà du miroir, en fixant le mur. » (p. 5). « La
dernière explosion d’énergie poétique de Deepankar est un mélange inimitable
d’humour et de noirceur ; une tentative déterminée d’imprégner un
sentiment d’échec et de douleur qui s’intensifie d’une légèreté de ton
habilement soutenue ; une légèreté presque frivole qui éclate parfois en
brèves crises de rire des plus amères, rapidement retenues. (…) Il
y a un certain héroïsme curieux inhérent à ceux d’entre nous qui continuent à
jouer avec le langage à l’approche de la mort. Deepankar, en développant ses
thèmes délibérément antihéroïques, ses célébrations de la défaite, émerge
paradoxalement comme une célébration héroïque du mot écrit. »
(Introduction, pp. XXX-XXXI). Son
génie, fait d’ironie aussi ludique que tragique et nourri d’une fine
connaissance des auteurs antiques grecs et des lettres anglaises, de Tennyson
et Browning à Oscar Wilde et Hart Crane – il était, en témoigne Anand
Thakore, capable de réciter par cœur des pièces entières de Shakespeare –
attend donc encore de se faire connaître, par la publication complète de son
œuvre. En
tout cas, ce volume mérite une lecture attentive qu’il convient de promettre
pour une future occasion, de même que d’autres livres de poètes indiens
contemporains – tels que Kunwar Narain, Arun Kolatkar, Jacinta Kerketta
Angor, Andal Le Tiruppavai et Gulzar –
publiés aux Éditions Banyan, spécialisées
dans la littérature et la culture indiennes, qu’on découvre avec un immense
intérêt. Alors, à la prochaine, pour de belles révélations ! © Dana Shishmanian Voir la chronique,
avec des extraits, que dédie à ce livre Bernard Turle, dans le numéro 232
(mai-juin) du Recours au poème,
ainsi que celle de Patrick Abraham dans La cause
littéraire (13 juin).
Pour faire
connaissance avec la maison d’édition et son programme, voir l’interview
donnée par le fondateur et directeur David Aimé à Raoto Andriamanambe, pour la
Revue Indigo (version imprimée : n° 6, 2021, p.
304 et suivantes, reproduite sur le site
de l’éditeur). En voilà un extrait significatif, notamment la
réponse de David Aimé à la question : « Pourquoi les Éditions
Banyan ont-elles choisi l’Inde ? » « Parce
que l’Inde, c’est d’abord l’universalité… N’étant pas satisfait de la
production actuelle de la littérature indienne en France, je voulais lui
rendre ce qu’elle m’a donné. Les Éditions Banyan, comme beaucoup d’autres,
naviguent sur les eaux tempétueuses du monde, mais en restant proche de ces
choses qui nous occupent, l’universel… Et qui mieux que l’Inde, dont la
langue millénaire, le sanskrit, donna naissance à une quantité d’autres
langues et de dialectes, nous offre aujourd’hui une si foisonnante
littérature ? Toutes ces langues de l’Inde qui irriguent son génie
littéraire, qui les portent plus loin et parfois au-delà de ses frontières,
gardant en son sein le souvenir de sa source inépuisable, lumineuse, ou elles
s’offrent à l’océan du monde et des autres hommes. » Assurément, des
littératures foisonnantes à découvrir – remercions l’éditeur et son
engagement passionné. D.S. |
Présentation par Dana Shishmanian
Francopolis – Été 2025
Créé le 1er mars
2002