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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Mars-avril 2023 Bernard Fournier, Dits de la pierre (Éditions La feuille
de thé, 2022, 178 p., 22 €) (*) Lecture par Dominique Zinenberg |
Dits de la pierre prolonge Vigiles des villages
qui reçut en 2020 le prix Troubadours. Bernard Fournier dit même que ce
recueil est une « expansion » du précédent. Les mêmes thèmes y sont
repris avec le même lyrisme à la fois fervent et pudique. Le titre « se
réfère à une forme poétique médiévale qui tente de joindre le lyrisme et le
narratif. » Que veut donc nous raconter
le poète dans ces pages consacrées aux pierres ? À quelle fascination
nous convie-t-il à travers les six chapitres qu’il déploie ? Les pierres
ancrées dans un paysage et une histoire longue, voire immémoriale convoquent
l’art, la mémoire, le sacré, les mères et plus généralement la sensualité
féminine. Bernard Fournier fait à la manière de Bachelard pour le feu une
sorte de psychanalyse ou de rêverie autour de la pierre. Dans la mythologie qu’il
déploie le poète fait d’abord le choix d’une pierre, comme si elle devait
être sélectionnée et être l’élue de cœur, l’élue des dieux : il y a là une pierre non pareille une pierre seule, immense pleine de sa mémoire noire enfouie dans l’humus une pierre inouïe (p.12) Immédiatement divinisée,
la pierre est « non pareille » et « inouïe ». Elle recèle
des secrets que le poète aura à décrypter car elle est « pleine de
mémoire ». Quelque chose qui résonne comme une mission est donné à
entendre dès le deuxième poème du Dits : recueillir le secret ou les secrets
de la pierre qui garde en elle, sur elle, les traces d’un passé géologique
qui lui confère une puissance incomparable. La pierre est le reflet
des transformations tectoniques, géologiques, des bouleversements telluriques
et aussi du passage des hommes auprès d’elle. Elle concentre toutes les
traversées cosmiques et humaines et c’est pourquoi on peut la considérer
l’égale des dieux. elle vient de loin, de longtemps la terre l’a enfantée l’a nourrie de gneiss, schiste quartz, feldspath grès née du vent, de la pluie, du soleil de mes rêves (p.20) Pour que s’anime, vive,
flamboie la pierre, il faut tout ce qui l’a produite, mais un regard humain
singulier qui l’enchante ou la rêve c’est pourquoi le dernier vers du poème
ci-dessus est si important. On pourrait dire que ce Dits de la pierre
est une histoire d’amour entre la pierre et le poète : une voix pour
l’incarner, la mettre en scène, la dramatiser. Et les six pans du recueil
déploient cette incarnation, de la naissance à la mort, en passant par la
guerre, la violence et l’amour, en passant par la vie quotidienne et par
l’art. La pierre du poète,
celle qu’il a sélectionnée, appartient à un territoire et en chante les
particularités. regardez-moi, pierres millénaires, tournez vers moi votre regard pétrifié dites-moi que j’appartiens, comme vous à ces monts, à cette vallée, à cette
rivière que j’appartiens moi aussi à ces toits
de lauzes bleus, noirs, gris à ces toits qui descendent, comme une
aile, pour un baiser avec la terre à ces granges ouvertes comme des
cathédrales à ces champs, à ces collines à ces arbres, à ces bois que j’appartiens à cette foule noire luisant au soleil murmurant des mots comme des rocailles (p.
167) La fougue amoureuse du
poète l’incite à une personnification généralisée et à un conciliabule animé,
injonctif avec la pierre. C’est cette emprise magique qui fascine le lecteur
et le conduit à lire et relire ce Dits de la pierre qui reprend la
geste épique des poètes du Moyen-Âge sans être pour autant passéiste, loin de
là, ouvrant des perspectives, embrassant des temps et des espaces, perpétuant
poétiquement l’indispensable transmission sans omettre la nouvelle
« pierre » à l’édifice, la nouvelle strate, l’alluvion la plus
fraîche qui annonce l’avenir. ©Dominique Zinenberg (*) Nous avons eu le plaisir de publier des extraits de ce
recueil, alors, inédit, au Salon
de novembre-décembre 2021, dont Bernard Fournier était l’invité,
avec aussi un groupage de poèmes nouvellement édités. (D. S.) |
Note de lecture de
Dominique Zinenberg
Francopolis, mars-avril 2023
Créé le 1 mars 2002