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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Janvier-février 2023 Francis
Gonnet : Sang de nos
racines (Éditions du cygne, 2022, 56 pages, 10€) Lecture par
Dominique Zinenberg |
Trois parties composent le recueil
de Francis Gonnet, chacune liée aux autres par le mot
« racine » : La neige prend racine ; Comme un regard sans
racine ; Sang de nos racines. Les poèmes sont courts et contiennent
souvent au moins une strophe en italique. Que traduit-elle ? Peut-être
un plus grand lyrisme que les autres, peut-être une attention plus singulière
au langage secret que la nature semble vouloir dévoiler et que le poète tente
de décrypter pour notre plus grande joie. Mais quelle portée le poète
donne-t-il au mot « racine « ? L’exergue de Pablo Neruda devrait
nous servir de guide pour comprendre ce que désire exprimer le poète ici. Être
arbre. Un arbre ailé. Dénuder
ses racines, dans la terre puissante Et les
livrer au sol. Et quand
autour de nous tout sera bien plus vaste, Ouvrir en
grand nos ailes et nous mettre à voler. Il ne s’agit pas de revendiquer une
appartenance à un territoire, à quelque chose qui fixe et fige, resserre et
étrique la pensée, mais au contraire à multiplier les racines grâce aux
diverses expériences de la vie, à ce qu’elles soient courroie de
transmission, envol et compréhension de soi et des autres : expérience
et fécondité libératrice et créatrice. Il s’agit de reconnaître dans
l’attrait de phénomènes (la neige), de lieux (l’Afrique, la Bretagne),
d’éléments (la mer) certains enracinements poétiques qui traversent la
psyché du poète et l’ancrent dans sa vie d’artiste et d’homme. S’ancrer et s’envoler tout à la
fois ! Devise et blason poétiques de Sang de nos racines. S’entrelacent d’abord les pronoms
personnels : on, nous, je, tu. L’expérience a beau être intime,
elle se dilate en « nous » et « on » et par moments est
appel à un « tu » mystérieux dont la première occurrence page 23 se
décline en adjectif possessif « tes ». À l’extrême des
hivers, même si toute présence devient
intouchable, ne meurt, le vert des cyprès, demeurent, racines chaudes de tes mains. Cette occurrence permet de
comprendre que ce qui fait racine ce sont les sentiments, les liens d’amour.
Dans la première partie, la neige a le pouvoir de faire instantanément
resurgir l’infans plus encore que l’enfance par l’allusion à l’avant
langage et au lait maternel : « On avance adossés à d’autres
regards, mais au fond du vent, / tremble encore, l’empreinte des
premiers mots. » (p. 9) « Il est des
neiges à la douceur de peau, / au lait fumant de l’aube, au sein chaud de
femme, / où se lovent nos nuits, où s’enfantent nos joies. // On y tête les
premières gouttes du jour, / comme frisson du premier émoi. » (p. 10) « Sous les bourgeons de l’aube, / on espère
les rayons d’un sourire, / la caresse laineuse d’une mère. » (p.21) La neige associée à la douceur, à la
chaleur maternelle voilà qui n’est pas sans surprendre, même si en définitive
ce rapprochement plonge dans des rêveries liées à l’innocence, à la blancheur
du lait, à un certain cocon silencieux qui distrait de l’association plus
banale de la neige et du froid. La première partie du recueil fait refleurir
la neige, rappelle les plus vieilles racines, permet le premier envol, à
tout âge de la vie, qui élève jusqu’aux cieux. Entre la neige de la première partie
et l’ardeur solaire de la deuxième, quel contraste ! « La terre chaude d’Afrique »
se décline en un
champ lexical qui ne trompe pas : ébène, sorgho, mil, les pagnes,
odeurs de badiane, l’igname, les palabres. Les sensations se multiplient
et se chargent d’une intensité vibrante. Le feu est l’élément prédominant qui
traverse les six poèmes. On le sent dès le premier vers de ce deuxième
cycle : « La peau des terres brûle de sueur et de sang »
(p.27). Mais l’expérience africaine semble nouvelle pour le poète, elle est « regard
sans racine ». Au visuel noir et rouge s’ajoute l’olfactif gagnant
les pagnes « aux pores imprégnés des odeurs de badiane, / laissant un
parfum d’étoile » (p. 28) et le tactile de la chaleur sur la peau et
autour de soi. Une sensualité se dégage des vers, une force érotique résonne
comme un Cantique d’amour : « La bouche des rivières attire le sang des
baisers » (p.29) et : Le vent des rêves
desserre le silence, et derrière les hauts murs, les ombres s’étreignent, à portée de
flamme. S’accouplent les
regards aimés, ouvrant leurs ailes à l’horizon, où s’enracinent des langues de lumière. (p.32) L’Afrique n’est pas enracinée dans
l’âme du poète, mais elle lui « parle » comme le suggère si
fortement le dernier vers du poème ci-dessus. Grâce à « l’étreinte du
soleil », le poète décrypte déjà des bribes de sens qui sont « miettes
de lumière » car « L’arbre, mis à nu, / laisse la lumière
graver ses initiales » (p.29) « Sang de nos racines »
contient dix-neuf poèmes consacrés à la Bretagne. Le vent, la vague, la
lande, les pierres : tout est « sang de nos racines » y
compris les « lais » du Moyen-Âge qui bercent les hommes de ces
contrées océanes. Et plus encore que dans les autres
poèmes, les personnifications prolifèrent dans cette partie du recueil. Ce
sont comme des signes de reconnaissance : le paysage se décline en
fragments « humanisés ». Ainsi voici que dans tel poème « Le
ciel a les mains sales », tandis que dans tel autre on visualise « les
mains jointes d’un cyprès » ou l’on s’éveille « dans la
paume de l’aube ». De même Francis Gonnet nous montre le dos
creusé de l’arbre ou les veines de l’ombre. Tout se prête pour le
poète au ressort et au recours à la personnification. Et « dans le
noir, on entend le souffle d’un feu qui sourit » et en bord de mer,
il remarque le squelette du rivage, la hanche des vagues, le
sourire sur la joue du rivage sans oublier la marche voûtée du soir. Par
ailleurs, le traitement du vent, qui est une force majeure de la poésie de
Francis Gonnet, ne fait pas que vibrer au tympan des vagues, il peut
avoir des lèvres gercées, un dos également comme le suggère le dernier
vers du recueil : Je m’adosse au vent,
porté par mes racines. Quelque chose de cosmique se dégage
de la poésie de Francis Gonnet. On le ressent à tout moment et sa
déambulation poétique nous entraîne dans un élan positif, dans un élan de
joie comme si le regard de l’homme et celui de l’enfant qu’il a été se
rejoignaient, sans trace de déréliction ou de déception. En fait la
conscience d’appartenance qui se manifeste par des variations infinies sur
les racines permet cette acceptation de l’éphémère qui s’inscrit dans un
schéma plus vaste que nos vies minuscules et lui donne sens et attrait :
J’arpente le soleil,
des terres cent fois empruntés, où, d’un regard en coin, l’ombre nous
suit, déclinant nos saisons, comme les verbes conjuguent tous les
temps de nos âges. (p. 52) Tourner les pages de ce recueil et
se délecter de chaque poème est un remède efficace à la mélancolie, une
assurance de saisir la joie à portée de main car :
Les jours s’allongent
comme nos joies. (p. 41) ©Dominique Zinenberg |
Note de lecture de
Dominique Zinenberg
Francopolis, janvier-février 2023
Créé le 1 mars 2002