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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Printemps 2025 Jacqueline Persini
: L’abécédaire d’un
chemin. Éditions Henry,
2024 (93 p. 12€). Note de lecture de
Dominique Zinenberg |
Cheminer ne serait-il pas le moyen
même d’apprendre l’abécédaire de la vie ? C’est ce que semble suggérer
Jacqueline Persini tout au long de son nouveau recueil. Elle le livre en
quatre parties distinctes. D’abord « Quelque part on
marche » ; puis « Si tu savais dire » ; ensuite
« Les herbes se souviennent » et enfin « Quand la nuit
t’éparpille ». « Quelque part on marche »
emprunte le chemin de l’hiver, au sens propre avec son dénuement, sa
froidure, ses givres et gelées, « La douceur / de la neige »
et aussi au sens figuré ou symbolique. C’est un abécédaire très mélancolique
et qui resserre la cœur englué dans de tristes pensées de mort, de guerre, de
violence et de fin du monde. Les chutes de plusieurs de ces courts poèmes
traduisent l’angoisse existentielle, la détresse humaine et cosmique :
« Un son nargue l’hiver » ; « Mais toi ici tu
pleures. » ; « Le ventre / De l’horreur » ;
« Tendresse / où es-tu ? » La poète projette sa propre
peur sur des éléments de la nature, la personnifiant par ce biais :
« Une peur / Cachée aux jointures / Des fleurs de givre ».
Que faire pour faire face à cette détresse, à cette impression de désastre et
d’obscurité ? Dire Non et résister en
caractères gras (les deux seules occurrences dans ce premier volet) qui
créent un contre-balancement à l’abattement. « Le mot résister
prend l’allure / De silhouettes obstinées / À dormir debout /En marchant. »
Marcher, puissance et dynamisme, antidote à la mélancolie, clé pour résoudre
les problèmes, trouver des solutions et de vraies joies ou de belles
suppositions qui aident à vivre et à continuer. « Que la faim trouve sa fin Et
que l’enfant ne voie Dans
l’écume des vagues Que
la crinière d’un cheval. » Agir
c’est voir la beauté d’une lumière, infime goutte de joie qui éclaire la
journée, malgré les noirceurs ambiantes : « En
marche la forêt / Allume son visage / D’un berceau de feuillage. » ;
c’est louer l’accueil qui est acte humain, généreux, sauveur : « Avec
le mot accueil / L’espace bouge et parle. ». Et il en est de
même pour le soutien amical : « Sans mendier /
D’aucune sorte / Le mot ami / Se jette à ta face. ».
La poète de façon très discrète nous donne une leçon de vie, d’espoir, de
solidarité. Malgré toutes les horreurs, il ne faut pas céder au désespoir, mais
comme les abeilles aller vaillamment de l’avant « Comme
un essaim / D’espoir / Au creux de l’enfer. » « Si
tu savais dire » est traversé par la lumière du printemps : « Il
te parle du printemps / Ce champ de blé / Qui, tout entier impudique / Expose
sa chair sucrée / Aux oiseaux et aux passants. »
La puissance de la vie, du désir, de l’Éros et de sa sensualité s’insinue
partout dans les poèmes de cette partie du recueil. Les sens sont en
alerte : « L’abécédaire … murmure là où le
ruisseau / Creuse sa voix dans la montagne. » ; « Il
se pose / Pour humer /L’odeur chaude / Des épis de blé / S’éclairer des pétales
/D’un coquelicot. » : en quelques vers d’un même poème
trois sens sont identifiables : l’ouïe, l’odorat, la vue. Juste
avant « la chair sucrée »
rappelait le sens gustatif. Et le toucher non plus n’est pas omis, il est
suggéré par le chemin personnifié et qui possède des « mains
rêches et lisses » où « se glisse parfois une
anguille / Et s’invitent de bizarres signes / Qui tissent des voix et des
vrilles / Pour panser la peau à vif de la terre… »
Pour savoir dire, il faut savoir lire le chemin, le paysage et décrypter dans
le mouvement de la marche les embûches « chutes et blessures //
Qui empoignent la vie / Dans sa mélancolie. // Le larmier du monde est géant. »
Le chemin que la vie nous fait emprunter n’est pas sans vertige, il nous fait
connaître un gouffre « géant » symbolisé par le
« larmier » qui contient en lui la paronomase du mot
« larme » comme si de façon inconsciente et puissante, l’un
entraînait naturellement l’autre en superposition teintant, malgré le
signifié, de tristesse les propos d’autant que le mot « mélancolie »
précède le mot « larmier ». Par ailleurs deux champs lexicaux
s’entrecroisent : celui de l’écriture et de tout ce qui s’y rapporte
(dont nous avions eu l’ébauche dans la première partie) et celui de la force
du désir. Avec
« Les herbes se souviennent », l’été s’impose. Et avec lui, renaît
l’enfance : « Avec les yeux magiques / De
l’enfant. » « Tu as sept ans au plus. »
L’été pour la poète ravive les souvenirs peuplés d’animaux, de
contes, de mystères et découvertes. Car c’est en été que l’enfance amasse des
souvenirs, des aventures et que l’enfant fait « Place » « À
tout ce qui aime / Tout ce qui chante / La merveille. »
En cette saison, le dehors est plus bavard, plus volontiers expansif : « Ce
n’est pas si mal De
vivre dans la grâce D’un
tricotage De
phrases Avec
la terre et le ciel M’a
dit la fleur. » L’enfant
absorbe les éléments, les fait siens. Elle devient tout ce qu’elle côtoie,
s’en imprègne, ne s’en différencie plus : « Suis-je
une flaque d’eau ? Pleine
de vase, de vipères De
guêpes et de feuilles mortes. Ou
suis-je une mer calme ? La
bourbe vient me boire Allumant
dans ses yeux Une
lueur d’étoile. » L’enfance
est apprentissage du chemin et chaque enfant trouve en chemin le « Petit
Poucet » dans lequel il se projette et grandit. « Le
mot caillou ressemble / Au Petit Poucet obstiné / À trouver son chemin. » L’enfant
ressasse les histoires, les prend à la lettre, voit le rouge gorge comme
l’oiseau qui a réconforté le Christ selon la légende et ce rappel donne lieu
à un très beau poème : « Avec
ses ailes, le rouge gorge A
essuyé les larmes du christ. Avec
son bec arraché les épines. De
la goutte de sang tombée sur sa gorge Il
souffre encore … Mais
le vent, dans son humaine parole Consent
à secourir le rouge gorge. » Le
quatrième volet intitulé « Quand la nuit t’éparpille », l’automne
se déploie dans un présent sensible aux frimas et à la symbolique du
vieillissement qui fait entendre une note de nouveau plus sombre comme si ce
que l’abécédaire du chemin promettait n’était plus qu’empêchements et
ralentissements. Pour Jacqueline Persini, l’automne et la nuit sont proches
mentalement. L’automne de la vie c’est l’entrée dans la nuit qui indéfiniment
interroge : « Quand tu seras seul / Dans la nuit
qui viendra / Que feront tes mots ? » semble-t-elle dire
au chemin. Mais à ce moment du recueil, le chemin ne se confond-il pas avec
celle qui a marché sur le chemin ? Le dialogue instauré très tôt entre
le passant (la passante) et le chemin se poursuit dans une infinie interrogation
existentielle et de confiance. L’abécédaire s’est amplement déroulé sur ce
chemin cahoteux, joyeux ou douloureux, fait d’ombres et de lumière, de chants
d’oiseaux, de voix de fleurs, d’écorces d’arbres, de bruissements de rivières
ou de la mer et tous ont dit, ont murmuré, crié, signifié leurs expériences
et les arbres « Riches de mille abécédaires / Les
yeux ouverts sur l’univers / Ils se reconnaissent frères / Pétris de la même terre. »À
l’instar de Charles Baudelaire qui dans un des poèmes des Fleurs
du mal avait écrit « J’ai plus de souvenirs que si
j’avais mille ans », la poétesse affirme avec la même force
hyperbolique qu’elle ou l’arbre sont « Riches de mille
abécédaires », c’est-à-dire de nombreuses strates d’expériences
accumulées au cours de la vie et que cela permet, sans doute, d’accéder à
quelque sagesse et apaisement. Car tout ne recommence-t-il pas ? « À
vif la chair des voyelles De
l’arbre déraciné. Mais
les lettres se serrent Fabriquent
une écorce Qui
respire avec le torse De
cet hêtre recommencé. » © Dominique Zinenberg |
Note de lecture de
Dominique Zinenberg
Francopolis - Printemps 2025
Créé le 1er mars
2002