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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Hiver 2025

 

 

 

Jean Marc Sourdillon, N’est pas là.

 

Éditions Gallimard, 2025, 90 p. 16 €.

 

Par Dominique Zinenberg

 

Une image contenant texte, Police, écriture manuscrite, capture d’écran

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N’est pas là est un recueil qui interroge avec acuité et sensibilité le vertige de la séparation, qu’elle soit ou non définitive. Comment vivre avec l’absence des êtres les plus chers ? Comment ne pas sombrer avec eux, quand le vide fore l’âme, fait chavirer, rend incrédule ? « Son absence surgit comme un vide glacé à l’heure de la sieste, au réveil essentiellement. / Je me réveille dans l’absence de ma mère. » Le choc de l’absence qui se reproduit, qui ne cesse d’advenir. Le sommeil constitue un répit où l’absence et la disparition s’abolissent, mais au réveil, c’est la brutalité du réel qui surgit, implacable. Cependant le lien entre la mère et le fils est indéfectible. Il a été là dès la naissance irradiant d’amour, une petite photo en témoigne « oui, je suis là pour toi, oui je suis plein de joie à te voir là-devant, avec moi, presque moi. » Lien charnel, et de langue maternelle, lien qui passe le temps et permet que renaisse l’élan qui est sourire réciproque, rayon de vie qui se transmet, qu’il a reçu de sa mère et qu’il ressent avec la même force pour son fils dans le texte liminaire décrivant l’envol de l’enfant devenu jeune homme vers sa vie en dehors du cocon familial. « Son départ a fait tellement de vent qu’il m’a déséquilibré et fait tomber de cheval. Éblouissement alors, près de la selle, à l’endroit vide de la place quittée. » Les transmissions qui irradient d’amour sont circulaires et infinies, elles sont toute puissance pour raviver la flamme et poursuivre jusqu’à retrouver en soi le moment de la naissance.  « Parler comme si je n’étais pas encore né mais que je pressentais l’imminence de la naissance, que dans un instant j’allais naître, inexorablement naître. »

 

Dans ce recueil le poète alterne textes en italique et textes en caractères romains : quand il s’interroge sur la voix de ceux qui se sont tus (Comme l’a si bien dit Paul Verlaine dans « Mon rêve familier ») Jean Marc Sourdillon utilise plutôt l’italique. La voix est bouleversante parce qu’elle est chargée à la fois de présence et d’absence : elle est le plus charnel de l’invisible, le plus intime aussi mais le plus infime du corporel, le plus volatil et insaisissable. « Voix, voix uniques, voix tressées, voix radieuses bien que blessées, je n’ai pour vous nommer que ce très ancien mot dont s’est perdu pour nous l’usage depuis longtemps : miséricordieuses. » Les invoquer, c’est faire revenir l’être en son essence, les entendre c’est se sentir en quelque sorte béni, protégé, rejoint. C’est comme si advenait, par la voix revenue, reconnue, la force de la vie, une renaissance (thème majeur, thème essentiel du poème de Jean Marc Sourdillon à travers plusieurs œuvres déjà : En vue de naître, Naissance mutuelle, Maria Zambrano, Le choix de naître) oui une renaissance ou régénérescence c’est-à-dire la vie tout entière dans le comble du désir, de l’accomplissement, de la joie pure, sans mélange. Ne dit-il pas « Voix, voix qui vaut mieux que moi, où t’ai-je entendue la première fois ? » et plus loin dans le même texte : « Dans le long gémissement explosant à l’instant du plaisir, dans la cascade de rire, les mûres sauvages, les jeux des petites filles ». Chœur de voix qui relient au monde, qui tissent les liens d’amitié, les liens de transmission, d’amour, d’émotions, qui charrient la vie dans sa palette humaine la plus vaste qui soit : « … Voix qui passe de l’un à l’autre, de l’oiseau au dormeur, du poète plus âgé au poète adolescent. Voix de la vocation et de la transmission. Voix alors qui se voile et s’étrangle, ou se met à chanter. Voix de l’émotion que l’émotion épure. » Transcender l’absence, la muer en un chant lumineux et généreux tourné vers l’autre, un chant de gratitude, un chant de louanges et de remerciements, voilà la tâche à laquelle Jean Marc Sourdillon se consacre dans son recueil, à la fois accueil et recueillement dans le tendre et douloureux giron des pages du poème : « Voix amoureuse dans le fond de ma nuit ».

 

C’est à l’aune de ces quelques remarques que j’oserai interpréter après coup le titre retenu par le poète : N’est pas là. Surgit en moi l’intuition que c’est la voix innocente de l’enfant qui s’exprime par l’omission du sujet de la phrase. L’homme mûr qui vit dans sa chair la perte de sa mère retrouve le langage enfantin qui n’a que quelques mots pour exprimer la déchirure et l’incompréhension de l’absence. C’est la langue émotive des balbutiements, la gangue de la langue, dans ses commencements, en lien viscéral avec la mère qui refait surface. Cette langue sans syntaxe, encore approximative, rappelle la première détresse de la solitude de l’enfant lors de l’éloignement momentané de la mère. C’est son premier chagrin, celui qui resurgit intact, inchangé, en un cri primal contenant à la fois la plus profonde détresse et le seul réconfort qui permettra la renaissance par l’hommage.

Cependant le choix de ce titre, dans une perspective plus intellectuelle (qui se superpose à la perspective enfantine, sans l’effacer) opère un peu comme la suppression délibérée de la lettre « e » dans le roman de Georges Perec La disparition. Dans le cas de l’auteur de La vie, mode d’emploi, le travail oulipien hors norme ne consistait que superficiellement à une gageure ludique. La véritable raison de cette entreprise périlleuse c’était de faire comprendre sans le dire explicitement que le choix du lipogramme en « e », voyelle la plus utilisée dans la langue française, équivalait symboliquement au choc traumatique que l’assassinat de ses parents pendant la Shoah avait provoqué pour l’enfant qu’il était alors. Tout était fait pour que l’aspect oulipien ludique masque la dimension tragique à l’origine (consciente ou inconsciente) de cette entreprise littéraire. La langue survit et résiste sans la voyelle « e » mais à quel prix ! L’enfant orphelin survit mais de la même façon que la langue française sans le « e ».

 

L’effacement du sujet dans l’expression « N’est pas là » se fait par le choix de cette mutilation syntaxique et suggère de façon sensible l’absence charnelle de la mère, son invisibilité criante. Jean Marc Sourdillon traduit donc par ce titre exactement le déchirement existentiel qui a eu lieu au moment de son deuil et pour le dire autrement, la disparition du sujet dans l’expression correspond très exactement à la disparition de sa mère dans sa vie.

 

Le recueil de Jean Marc Sourdillon s’inscrit dans une tradition littéraire, celle du tombeau, à l’instar d’un Stéphane Mallarmé. Celui du poète d’En vue de naître se distingue des autres tombeaux littéraires par le souffle de vie qu’il appelle au secours de sa peine car « Maintenant elle va me servir d’éclaireuse, me désigner l’horizon, me rappeler l’élan. » Et plus que cela encore, ce qu’affirme le poète c’est qu’elle est enclose en lui désormais pour toujours : « Ma mère, ce n’est pas une autre, c’est ce que je suis. C’est elle que je poursuis dans ma vie, en la vivant selon ce qu’elle m’a donné ou appris, selon moi qui viens d’elle, du même élan primordial. »

 © Dominique Zinenberg

 

 

 

Note de lecture de

Dominique Zinenberg

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