LECTURE - CHRONIQUE

 

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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Hiver 2025

 

 

 

Mireille Diaz-Florian, Des femmes. Toutes.

 

Éditions du Palio, 2025, 145 p., 18€.

 

Par Dominique Zinenberg

 

 

Dans la langue si pure et si classique de Mireille Diaz-Florian surgissent des femmes d’une lignée paysanne sur quatre générations. Elles reviennent de loin et timidement, elles se fraient un chemin de reconnaissance mais l’empreinte de ces humbles vies est si fragile, si mince qu’elles ne sortent pas totalement des limbes des ciels de Corrèze où elles ont vécu, respiré, ressenti, enduré, souffert. La ténuité de leur présence suggère le peu de cas qu’on faisait des femmes alors, à la campagne, dans ces fermes où la vie était rude pour tous, mais si brutale et harassante pour les femmes. C’est intentionnellement que dans ce récit, les hommes reculent jusqu’à l’effacement de leur nom, de leurs contours corporels car ce qu’il faut de toute urgence c’est réhabiliter les femmes laborieuses, silencieuses, engrossées, violentées, malmenées et oubliées.

Les femmes ont donc un prénom : « Sur la photo qui rassemble les grandes familles, je les vois : Eugénie, Louise, Antoinette, Marie … Des femmes, toutes. » La seule qui témoigne encore de cette lignée de femmes c’est Alice, la centenaire qui « ne veut pas mourir », mère de la narratrice qui détient le trésor de la mémoire de ce passé en voie d’extinction.

« S’approcher du caveau familial ne peut se faire, à ce moment-là, qu’avec l’intime conviction que le texte fait, au sens littéral du terme, revivre, ces femmes. L’écriture parle de la langue du silence, énonce, dans le décompte des vies brèves, jusqu’aux instants ténus où le bonheur a existé, affirme en quelques lignes, la violence des douleurs qui jamais n’auront été exprimées. Alors, avec les tâtonnements, les moments de grande solitude à murmurer leurs noms, elles arrivent toutes. »

C’est à cette tâche que s’attelle la narratrice dans ce récit pudique et plein de délicatesse. Elle veut seulement qu’Eugénie, Louise, Marie aient existé, mais elle ne trahit pas, par l’imagination, des gestes ou des paroles qu’elles auraient pu dire, elle s’attache au silence dans lequel elles ont été encloses, qui leur est consubstantiel, elle creuse au contraire ce silence qui les a enveloppées, construites et détruites, ce long silence des femmes proche de celui des bêtes avec lesquelles elles ont cohabité, se sont réchauffées et consolées de tant de drames secrets, non révélés. Se forme donc un récit troué qui se tisse dans les ajours et les respirations du paysage, comme si les secrets se décryptaient dans les nuages qui passent, les bosquets, les rivières, les champs.

Avec Alice et Élisabeth, la narratrice a plus de matière mais tout autant de pudeur. L’une est sa mère : Alice ; l’autre sa petite sœur Élisabeth. Elles prennent une place particulière dans l’économie du récit car les liens qui existent ou ont existé entre la narratrice et elles sont d’un ordre affectif très puissant. Passe alors un souffle plus lyrique, quoique sobre, pour les décrire. Même leur voix semble restituée et quelques-unes de leurs paroles ou de leurs pensées. C’est la proximité charnelle et surtout le deuil ressenti, pas encore atténué pour la sœur disparue qui paraît être à l’origine de l’entreprise littéraire. Il fallait que la narratrice trouve le moyen de faire respirer sa sœur, elle qui de son vivant avait eu tant de peine à le faire.

En dehors de la dimension intime de ce récit familial, la narratrice retrace de façon tout aussi discrète la longue blessure historique endurée par les Corréziens : les morts de la Grande Guerre, les résistances à l’occupation lors de la Deuxième Guerre mondiale, des allusions claires, si l’on y prête une oreille attentive, aux représailles meurtrières de Tulle, à ce courage de la vie cachée dans le maquis.

Quant aux allers-retours entre Paris et la Corrèze en train ou en voiture, ils révèlent autant que dans les récits de Marie-Hélène Laffont les changements profonds qui ont marqué toutes les familles depuis l’après-guerre, changements amorcés durant les années trente par Alice et son départ de la région quand elle fut devenue institutrice et pour les générations suivantes qui ont déserté la région et accompli leur vie ailleurs et en priorité à Paris.

Le récit est donc particulièrement dense puisqu’il retrace cent ans d’existence sans qu’on ait l’impression de superficialité. Chaque chapitre va droit au cœur et droit au but sans fioriture mais avec beaucoup de maîtrise historique et de respect pour les âmes endurantes réanimées par les mots justes, toujours à la bonne distance.

 

 © Dominique Zinenberg

 

 

 

Note de lecture de

Dominique Zinenberg

Francopolis – Hiver 2025

 

 

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Créé le 1er mars 2002