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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Septembre-octobre 2023

 

Olivier Adam : Personne n’a besoin de savoir.

Éditions Bruno Doucey, août 2023, 123 p. 15€

 

Lecture par Dominique Zinenberg

 

 

 

 

L’art de dire et de taire

 

Personne n’a besoin de savoir est un recueil qui joue avec ce que Louis Aragon a appelé « le mentir vrai ». Quelque chose est affirmé, raconté, énuméré tout au long d’un poème - et le lecteur y croit, car pourquoi ne croirait-il pas à ce qui est décrit, affirmé, loué, regretté etc. -, mais il arrive toujours un moment où le narrateur-poète « déconstruit » (selon le langage de Derrida) ce qu’il a lui-même mis en place et soutenu. À la toute fin du poème, la vérité vacille, tout ce qui s’est ouvert – un paysage, un souvenir, un état d’esprit – s’effondre, est nié ou tout au moins devient incertain, est mis en doute, n’a pas eu lieu ainsi, n’est plus qu’un langage codé auquel seule l’intéressée, la destinataire du poème aura accès.

 

« Il y avait un chien

ou pas

et le taxi sur les graviers

ça aussi je l’ai inventé ? » (p.37)

 

Olivier Adam aime à frustrer son lecteur, à lui faire comprendre que les mots sont des leurres, que l’art d’écrire est sans doute aussi de la duplicité, de la capacité à faire croire quelque chose qui n’est probablement pas la vérité, que tout est fiction, que les souvenirs, les émois sont reconstruits, sujets à caution, illusoires, improbables ou vertigineusement peu sûrs.

 

« chacun sait

que je joue faux

qu’il ne faut pas s’y fier

que tout est calculé

répété

mal restitué » (p.90)

 

La plupart des poèmes du recueil offrent un travail de déréliction, un travail de sape, une mise à mort de l’idéalisation, du poétique, du lyrisme.

 

« tu voudrais tout retenir

et tout me file entre les doigts

comme le sable des sabliers

les souvenirs

ou l’enfance

mais ne crois pas

que je m’en foute

bien sûr que j’ai des regrets

tout ce que j’ai perdu

j’aurai dû mieux le ranger

il faudrait tout classer

épingler

graver dans le marbre

(mais j’ai tout inventé) » (p. 25)

 

Que reste-t-il du poème quand le poète vide ses poèmes de tout ce qui, d’ordinaire, remplit la poésie ?

Il reste une forme, une mise en page qui dit clairement : « je suis en train de lire un poème avec le passage à la ligne qui ne ressemble pas à celui de la prose, avec les espaces qui séparent une strophe d’une autre ».

 

N’y a-t-il vraiment que cela ?

 

Olivier Adam, avec ce recueil, publie pour la première fois de la poésie ; habituellement il écrit des romans. Et l’on n’est donc pas étonné que le recueil tout entier ressemble à de l’autofiction avec en corollaire son déni (« mais j’ai tout inventé »), que les poèmes sont très souvent narratifs, qu’ils retracent l’enfance, l’adolescence du narrateur et de sa fratrie, qu’on y trouve pêle-mêle des sorties ou vacances avec les parents, des promenades avec le grand-père comme dans le poème « La forêt » (p.45), des moments de vie scolaire, de vie à Nantes dans un quartier populaire, des rappels musicaux, sportifs ou littéraires (un des poèmes par exemple s’appelle »Modiano »p.27), un sentiment d’ennui, d’indifférenciation, de vague frustration. Comme dans un roman, le je peu à peu se dessine. Un je qui se dénigre, prend un malin plaisir à se saisir comme quelqu’un de morose, qui n’est jamais content, qui ne sourit pas, qui, à l’adolescence s’habille toujours en noir, qui est perçu comme prétentieux (un des poèmes s’intitule « Pour qui je me prends », p. 113) :

 

« te souviens-tu seulement

du jour où tu as décidé

d’être triste

du jour où tu as décidé

d’endosser ce costume

d’accueillir le chien jaune

la hyène

le yack

de leur laisser

toute la place

 

te souviens-tu seulement

du jour où tu as

décidé de jouer ce rôle

et du moment où

cette écorce est devenue

ta propre peau

par accoutumance

ou parce que tu avais imaginé

un jour

que ça te donnerait

l’air intéressant

 

tu t’es infecté toi-même

tu t’es inoculé

ton propre malheur

à force de te scruter

à force de creuser

ta propre tombe

de papier

 

quand vas-tu enfin

passer à autre chose

(mais il est trop tard

Depuis si longtemps déjà) » (p.51-54)

 

On voit bien dans ce poème appelé « La complaisance » que le poète cerne le je du protagoniste du recueil comme celui d’un personnage avec lequel il entretient sans doute, mais est-ce si sûr que cela, un lien de parenté. N’entend-on pas à côté de la voix du narrateur qui semble déplorer la mentalité de son personnage ou de lui-même jouant un personnage, la voix de ceux qui lui ont fait maintes fois ce reproche d’inauthenticité, de comédien ? Et ne sent-on pas par la même occasion l’idée que l’écrivain, le poète ne peuvent faire autrement que « creuser leur tombe de papier » et que c’est toujours déjà trop tard pour changer de destin ?

 

Autour du je évoluent des personnages secondaires : les parents, les frères, les grands-parents, la femme aimée par laquelle s’ouvre et se ferme le recueil.

 

Comme dans « Zone » de Guillaume Apollinaire, le pronom tu fonctionne comme une projection du moi, un double à qui l’on s’adresse, sauf bien sûr dans le poème liminaire et le poème final où le tu est clairement adressé, dédié à la femme aimée.

 

Un récit troué s’élabore, discret, larvé, mais bien qu’en sourdine, il tend sa trame du début à la fin du recueil. Les poèmes retracent des épisodes qui ressemblent par endroits aux Années d’Annie Ernaux et aussi aux romans de Nicolas Mathieu par leur réalisme, par l’impression de désœuvrement, de non-singularité, de monotonie et Olivier Adam en rend compte par de longues vagues d’énumérations qui pourraient ne pas prendre fin, qui s’étendent, prolifèrent, saturant le poème d’impressions tristes, d’un spleen sans grandeur :

 

« centre-ville endormi

deux ou trois boutiques

le marché couvert

un bar-tabac PMU

plus loin l’école la cour et le préau

plus haut le collège

les tennis

au loin les tours

les pelouses défoncées

guetto-blasters cages d’escalier

puis la forêt

les pneus dans la terre

cliquetis du dérailleur

sous les grands arbres

des sous-bois silencieux » (extrait de « Trinité » p. 61-67)

 

Narration, cadre, personnages et un certain climat et le tout non pas décliné en chapitres mais en poèmes qui permettent de couper court, de se passer de liens narratifs (que le roman rend quasi incontournables) ce qui creuse le mystère, agrandit l’espace imaginaire des lecteurs, laisse à chacun le soin de combler les vides, de superposer ses propres souvenirs à l’aune de ceux distillés dans les poèmes.

 

Et pour en revenir à la forme spécifique du poème, au fait que ce que l’on découvre dans le recueil est bel et bien de la matière poétique et non un roman déguisé, on ajoutera que chaque poème se suffit à lui-même, qu’il est entité ou cadre unique, fresque ou tableau, avec souvent son premier vers qui devient leitmotiv, fait ritournelle, crée un rythme propre et donne le la du poème. Il en est ainsi du premier poème qui donne son titre au recueil et dont le premier vers « personne n’a besoin de savoir » revient cinq fois et reviendra deux fois dans la reprise finale, tandis que dans ce même dernier poème ce qui fait antienne sera la formule « ça reste entre nous » reproduite cinq fois là encore. On trouvera dans « Trinité » le vers inaugural « je n’en reviens pas » qui sera redonné sept fois, créant un effet lancinant, obsédant proche de la chanson, renforcé par le deuxième vers qui revient lui aussi dans le poème « je n’en suis pas revenu ».  Parfois comme dans « Alsace blues » la plupart des strophes commencent par « on » plus un verbe à l’imparfait itératif suggérant la répétition année après année du même rituel des vacances. Il peut y avoir alternance entre deux formules : « À présent/ maintenant ». Cette technique du rappel du même a un fort pouvoir d’envoûtement sur le lecteur. Il s’unit, dans la subtilité poétique aux contrastes entre les énumérations à teneur réaliste et fortement prosaïques avec, l’accès à quelque chose d’élégiaque à quoi on n’était plus préparé et qui fait tout à coup rêver :

 

 « je n’en reviens pas

je n’en suis pas revenu

pas encore

des sentiers en plein ciel

de la lande et des genêts

mûriers perce-pierres

champs de bruyère

vallées de fougères

et l’eau qui bat en contrebas

accueille la lumière variable

zinc aluminium ou bleu crème

turquoise

émeraude » (p.64-65)

 

De la même façon c’est tout un art, tout un charme poétique que de faire vaciller le réel, de placer un filtre, de faire jaunir les photos, faire peser un doute sur le vécu, faire ressentir la part fantasmée de l’existence comme si le passé que l’on tente de recréer tenait plus du rêve que de la réalité, plus de la fiction que du réel, et qu’ainsi tombé dans l’abîme du temps, il ne pouvait plus être qu’une réalité floue, invérifiable et d’autant plus incertaine que d’autres ne s’en souviennent pas de la même façon ou pas du tout.

 

Et enfin, malgré le désenchantement, la déréliction à l’œuvre, il y a l’amour, en arrière-plan pour la famille et au premier-plan, quoique discrètement, l’amour pour celle à qui s’adresse le premier et le dernier poème. Cette boucle bouclée, amoureuse, érotise l’ensemble du recueil, avec pudeur, clandestinement et réussit à créer cette aura mystérieuse de l’intimité où lire comme aimer « ça reste entre nous ».

 

©Dominique Zinenberg

 

 

Note de lecture de

Dominique Zinenberg

Francopolis, septembre-octobre 2023

 

 

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Créé le 1 mars 2002