LECTURE - CHRONIQUE Revues papier ou
électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de livres... |
|
LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Printemps 2024 La revue Poésie/première
n° 87 Recension par Dominique Zinenberg Le
cri des poètes. Toile de Pierre Zinenberg (p. 36 du numéro) |
Le numéro 87 de la revue Poésie/première
est paru en janvier 2024. Le dossier, juste après l’édito synthétique et
d’une grande pertinence doublée d’élégance proposé par Martine
Morillon-Carreau, se consacre à la relation entre la poésie et la liberté.
Les articles questionnement aussi bien la liberté formelle qui taraude les
poètes depuis toujours que l’engagement pour la liberté à travers des combats
multiples : les poètes veulent se libérer ou libérer des chaînes de
l’esclavage (c’est ce dont traite
l’article de Martine-Morillon-Carreau sur Aimé Césaire « maillon de la
cadène » et libre poète) ; ils résistent aux censures, ils
deviennent des résistants et des poètes de la Résistance ce que développe
Gérard Mottet en prenant l’exemple , en particulier, de René Char ; à
quoi Isabelle Lévesque répond en évoquant d’une part que certains poètes ont
aussi servi « tyrannies et dictateurs »et d’autre part, que
les poètes sont aussi, et que cela doit être mentionné, revendiqué, proclamé,
des femmes et que dans notre contemporanéité, elles libèrent une vision
poétique encore peu entendue, et se libèrent de carcans par trop masculins,
d’où l’insistance dans la plus grande partie de son article à citer des
femmes. Pour Monique W. Labidoire la liberté et la poésie font bon ménage,
car la première liberté, pour elle, signifie pouvoir écrire sur absolument
tout et pour peu qu’on s’y engage à fond, il est tout aussi légitime de se
consacrer en poésie à l’amour, à la nature, aux combats contre les guerres et
les injustices qu’à tout autre sujet. Dans mon propre article j’insiste d’une
part sur « la servitude volontaire des poètes » qui est le titre
que j’ai choisi et sur les arcanes du poème, de son élaboration, qui
contraint le poète à suivre la logique du poème qu’il crée. Guillaume de Pracomtal présente des fragments de réflexion sur
l’écriture poétique, le tout parcouru d’une onde de choc et de joie quand il
fait ce constat exaltant : « J’écris, alors je suis
libre. » Pour rendre hommage au poète et
plasticien Frédéric Tison mort en fin d’année 2023, la revue propose tout au
long des pages, des tableaux (Encres et Pastels) de lui, puis de la page 101
à 106, sa biographie et divers hommages poétiques ou critiques. Un seul
tableau n’est pas de lui, mais de mon frère Pierre Zinenberg : à sa
façon, il symbolise la liberté en représentant des personnes nues. C’est
« le cri des poètes ». Un poème d’Alain Duault « La
guerre » (p.37 à 45) décrit la guerre en Ukraine, et à la fin les
atrocités qui ont lieu au Proche-Orient, et c’est tout simplement poignant.
Ce poème est suivi d’une analyse par Hervé-Pierre Lambert de l’œuvre du même
Alain Duault Le ciel jaloux des roses ce qui permet aux lecteurs de la
revue d’approfondir la connaissance de cet auteur et de se rendre compte
combien le poète charrie un monde « tout d’intensité multisensorielle, avec l’omniprésence des sensations
visuelles, olfactives, tactiles, auditives, gustatives. » Pascal Nora présente le portrait
d’Hector Berenguer, tandis que moi je présente celui de Pierre Dhainaut. Portraits c’est-à-dire interviews qui
permettent de mieux connaître le fonctionnement des poètes interrogés. Ainsi
pour Hector Berenguer, la poésie allie la recherche esthétique à la recherche
philosophique, voire à une certaine approche mystique et syncrétique car le
désir de trouver du sens, un sens, lui paraît essentiel. Quant à Pierre Dhainaut, sa poésie, si sensible, est sous-tendue par la
nécessité de s’ouvrir aux autres et de dire de la plus juste façon, avec des
mots simples et sans emphase, que ce qui est essentiel c’est cette recherche
elle-même, continue, secrète, concrète et qui aboutit au poème, au continuum
du poème pour lequel il a consacré son existence. Sabine Zuberek
se plonge dans La troisième voix, recueil écrit en duo entre Isabelle
Lévesque et Pierre Dhainaut. Elle parvient à
célébrer les deux poètes, en les distinguant l’un de l’autre et en essayant
d’analyser cette « troisième voix » qui
naît des deux explicitement présentes. Jacqueline Persini
s’entretient avec Marjan (peintre) et l’auteur d’Une
enfance en oraison à savoir Patrick Navaï. Puis
elle présente l’œuvre en pointant
surtout l’ouverture d’esprit des deux réalisateurs du recueil et insiste sur
« la traversée des malheurs » comme sur la transcendance lumineuse
qui les guide : « Et c’est comme une prière qui s’insinue dans
un ciel devenu lumineux. » Bernard Fournier écrit une chronique
« La poésie en contrebande » qui synthétise les lieux où les
recueils de poèmes se nichent ; il nous fait découvrir les Forêts domaniales
de la mémoire » de Marc Alyn, et pour
finir Havres de Patricia Castex-Menier. Rémi Madar
s’intéresse aussi bien à Eugène Guillevic pour Possibles futurs qu’à
Frédéric Tison pour La Table d’attente. Puis viennent les « Moments
poétiques » avec les poètes Bernard Grasset, William Souny,
Madeleine Saint-Cast, Sophie Djorkaeff et
« Poésie plurielle » avec neuf poètes donc neuf poèmes. En dehors du long hommage à Frédéric
Tison, il y a celui consacré à Kenneth White par Pascal Mora et celui
consacré à Jean-François Mathé par Pierre Perrin. Et comme toujours, ce sont les notes
de lectures qui referment la revue. Alors bonne lecture car les
réflexions foisonnent et les pépites poétiques et artistiques nous aimantent
et nous font dire : « Vive la poésie ». ©Dominique Zinenberg |
Poésie/première n° 87
Par Dominique Zinenberg
Francopolis, Printemps 2024
Créé le 1 mars 2002