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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Janvier-février 2023

 

 

Sanda Voïca : Les nuages caressent la terre

 

(Les Lieux-dits éditions*, 2022, 93 p. 18 €)

 

 

Lecture par Dominique Zinenberg

 

 

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Il faut, il est nécessaire que Les nuages caressent la terre, autrement comment serait-il possible de vivre ? Équilibre précaire à trouver sur cette terre dure à laquelle Sanda Voïca se heurte, mais que des nuages-ange caressent, affleurent. Ou qui font signe.

 

Sur une motte anodine

oblongue

des taches irrégulières se promènent :

des nuages caressent la terre

pâle sous le soleil. (p.51, II, 4 « Des couleurs en profondeur »

 

Le retour en poésie est objectivé, ironisé, comme si on attendait au tournant celle qui n’a plus publié depuis Trajectoire déroutée. Si elle reprend enfin la parole « Sanda Voïca / est de retour : Bonjour ! », elle fait commenter les lecteurs découvrant son nouvel opus : « Jamais je ne l’aurais cru. / Son tour en 80 poèmes / Ou plus, si cœur, ventre, cerveau y sont. / Espérons que du bon cru. Meilleur que le précédent ? / La vie vous le dira. Et la lecture. » (p.15)

 

Le titre serait-il trompeur ? On nous vend des caresses et l’on reçoit des coups de poings ! C’est cela l’équilibre précaire : une caresse de Clara, un coup de poing venu du vide, venu du fait que Clara, sa fille se soit étrangée.  Pour dire ce qui n’a pas de mots, il faut créer des barbarismes, des mots valises comme celui du premier inter titre du recueil « Paysange » qui permet un décalage, un autre horizon, un décentrement pour tenter de cerner ce qui s’est radicalement « étrangé » depuis la disparition de Clara : « Tu es devenue ÉTRANGÈRE / plus que je ne l’aurais imaginé ou cru possible. / Plus que je ne l’ai fait moi-même en quittant avec toi la Roumanie, / plus que tu ne rêvais de le faire, adolescente - / quand tu pensais aller vivre en Australie. » (p. 18.)  Double déracinement, double exil et celui que la mort impose ne se compare à rien, c’est un saut dans le vide qui détruit jusqu’aux mots. « Je ramasse le vide, dépôt sur cette feuille dansante/ Comme un long nerf : cicatrice / ou fil de soie dans la lumière. » (p.78)

 

Les ambivalences foisonnent : amour (pour sa fille, amour universel) / haine pour toute mondanité obscène, scandaleuse ; le flux de la vie, des pulsions / l’indifférence à tout ; la douleur dans la chair / des joies soudaines, mais toutes ces ambivalences apparentes se superposent plus qu’elles ne s’opposent, se fondent en mots laids et beaux formant obstinément poèmes : « Le ciel, mon miroir, / Les mots, mon ciel. / L’écritoire – ma terre. » (p.87)

 

Rien de plus éloquent à la toute fin du recueil que le tableau de Sanda Voïca qui s’appelle « Avec Clara (Dialogue) » pour représenter L’Entretien infini de la poète et sa fille morte. « Ton âme se frotte encore à la mienne, je le sais, et même ton corps, tu as pu me le montrer l’autre jour. » (p.35) Seul ce dialogue murmuré ou hurlé par la voie du poème délivre un moment de l’absence.

 

 

 

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Bien des poèmes de la première partie du recueil s’adressent à sa fille : « Tu as trouvé l’or du temps, ma fille, celui qu’André Breton a toujours cherché sans le trouver. » (p.27) Au fil des poèmes, un portrait de Clara est esquissé : ses projets, ses capacités « Et tout ce que tu faisais, et tout ce que tu faisais, et tout ce que tu faisais/ était si bien fait » (p.35), la souffrance endurée durant la maladie : « Tu as tellement souffert » et sa sainteté qui en découle ainsi que les miracles qui vont avec : « Tu as tellement souffert, que tu es devenue une sainte : l’eau dans laquelle j’ai mis la rose blanche que Samuel m’a offerte en ton nom, ce 26 mars, pour mon anniversaire, est toujours intacte./ Eau transparente, pure, et la rose, même si défraîchie, toujours blanche, trois mois après. » (p. 35) Le poème se fait missive intime, mais aussi « mur des lamentations » et dans un cri lapidaire éloquent elle déclare : « Ma shoah, l’absence de Clara. / son anéantissement m’anéantit. » (p.43)

 

Du côté de Clara la blancheur, celle de l’ange, du nuage, de la rose blanche, de la robe de mariée ; du côté de la mère le rouge comme dans le poème page 25, première couleur en profondeur de la partie II du recueil intitulé « Des couleurs en profondeur » :

 

Le lit si rouge

La pelouse si verte

Deux couleurs vibrantes

prennent place

s’installent pour toujours

nourries par la même vie. (p.49)

 

Le rouge est dérangeant, le rouge est audacieux, il proclame quelque chose d’innommable face au deuil. Il est un cri, une alerte, un refus. Il est un coup de massue pour le lecteur qu’il faut secouer, choquer, chambouler. De toute façon, il ne le sera jamais autant que celle qui poème après poème est une droguée de peine et chagrin. Mais cette même femme qui s’adresse alors au lecteur fait parallèlement au portrait de sa fille, son autoportrait sans chercher à enjoliver, sans macher ses mots parce qu’elle revendique toutes les contradictions de l’existence, toutes les images délétères qui peuvent surgir comme les célestes, parfois à quelques vers près, car la violence de ce qu’elle vit, elle ne peut pas la transfigurer, il faut qu’elle reste pantelante sur le papier et qu’on trie, nous lecteurs, si l’on peut. « Ma mère – donc Clara – est digne de se lamenter sur elle. / Ma fille – ma mère – ou qui vous voulez/ Digne de devenir mon mur des lamentations. / Où je vais tous les jours – à des moments différents, inattendus. / Ma nouvelle maladie : me lamenter devant un mur fait de la chair, / que je suppose déjà, depuis presque un an dans la terre, bien pourrie, de ma fille. » (p.43).

  

Dans ce recueil en six parties, on a l’impression parfois de lire un journal intime qui passe par tous les climats intérieurs, tous les quotidiens, mais dont le fil conducteur serait la douleur et les mille manières de la dire. Tantôt fusent des injures, tantôt ce sont des anamnèses, tantôt le rappel suffocant de la pluie, d’une impression en mettant la table : « du sol, de la terre, / au-delà de la terre/ une étreinte bouillonnante : / bonheur et malheur couchent ensemble. // Son grondement nous berce. » (p.67) ou comme dans ce poème de « Vibre le vent » un constat de deuil infini :

 

Le train de retour vers la maison

Traverse le champ vide

Le brouillard, fin pan de laine,

S’étirant, au loin

Et l’heure matinale

Lui raclent la poitrine

depuis quarante ans

la douleur épandue sur cette feuille

Dans l’encre bleue

Reste malgré tout intacte (p.73)

 

Et l’on aura beau dire amen, éventuellement prier ou croire aux nuages qui rallient, on aura beau faire vibrer le vent, et que des « écrits en l’air » passent pour des signes de l’au-delà, que les « couleurs en profondeur » deviennent chant et sanglot, que l’horizon soit « Paysange », le recueil tout entier n’en est pas moins seulement – mais ô combien c’est précieux –

 

serpillière de mots.

 

©Dominique Zinenberg

 

 

* Pour commander le recueil, s’adresser à l’éditeur : Germain ROESZ, Les lieux-dits éditions, Zone d’art, 2, rue du Rhin Napoléon, 67 000 Strasbourg, roesz.g@hotmail.com.

 

 

Note de lecture de

Dominique Zinenberg

Francopolis, janvier-février 2023

 

 

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Créé le 1 mars 2002