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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Été 2024

 

 

Véronique Joyaux :

Si loin si proche

Éditions Encres Vives, 2024 (32 p., 6,60 €)

Recension par Dominique Zinenberg

 

Une image contenant dessin, croquis, texte, illustration

Description générée automatiquement

 

Si, dans le titre, il n’y a pas de virgule, entre « si loin » et « si proche » c’est sans doute parce que le proche et le lointain sont réversibles, de même que le dedans et le dehors, qu’il peut même arriver que se confondent le corps et des éléments du paysage, que le sang qui circule dans les êtres se répande à l’extérieur, que tout se métamorphose en signes, en retrouvailles, en effleurements quasi charnels malgré l’absence, malgré le deuil. Comment retrouver la personne aimée qui s’en est allée ? On la cherche dans la nature : le ciel, les arbres, la mer, les sentes, la neige, le vent, les feuilles et au retour de la promenade où l’espace a parlé, l’écriture devient empreinte qui chasse l’oubli : « Dans la rue des mots / des oiseaux qui murmurent ton nom. »  Écrire reste le seul geste possible pour maintenir présent ce qui s’est enfui : l’enfance, l’être aimé, les choses éphémères et précieuses de la vie : « Je recopie ce qui prend souffle » ou bien la poète comme pour justifier son travail d’écriture dit : « Que restera-t-il de nous après la mort si ce ne sont ces mots écrits ? »

Si la première partie du recueil appelé « Vagues toujours » rend compte d’une réalité ambiguë, donc « vague » qui contient toute la sensualité du désir de l’autre, alors même qu’il est déjà parti ; la seconde semble avoir intégré le non-retour ce qui rend la poète plus sensible aux « Instants » qui épinglent la force du présent et suggèrent cependant la profondeur de la douleur et du manque.

Dans « Vagues toujours », il faut que l’autre prenne corps à tout moment de façon fragmentée, mais de façon concrète sous forme comparative « comme ta peau », mais surtout dans l’énumération des parties du corps, de celui qui n’est pas là, comme de celui qui a « vendangé la grappes de tes mots. » Le corps comme dispersé dans le paysage se reconstitue par morceaux : peau, mains, reins, paume, yeux, bras, hanche, visage, voix, doigts, veines etc. Et pour mieux le faire renaître, pour que la vie le pénètre de nouveau, le sang se répand dans les pages, dans le paysage, dans les personnifications multiples qui le convoquent : « Cautérisons la plaie » ; « Tu marches dans le sang des vignes » ; « Mon corps demande un peu de bleu pour raviver les veines » ; « On dirait des arbres qui saignent » ; « les mots circulent dans les veines couleur de cernes » ; « A voix basse le poème s’étale / flaque de sang » ; « une étoile de sang » ; « ne serait-ce qu’une étoile de sang sur ton épaule. » ; « Reviennent pourtant le sang la sève ».

La poète instaure un dialogue où « je » et « tu » tour à tour se disputent la première place. Il y a aussi un « nous » qui abolit l’angoisse de la séparation. Quand c’est le « je » qui intervient c’est que le souci de trouver la personne en allée force la poète à recueillir sa présence au dehors : « je n’ai pas besoin de lever les yeux/ pour savoir qu’un instant tu m’as regardée. » ; elle dit aussi : « j’ai vendangé la grappe de tes mots. » Quand c’est le « tu » c’est comme si un échange verbal avait lieu, la continuation d’un dialogue, le déni de l’interruption du dialogue par la disparition, le don d’une conversation secrète offerte à l’autre, et aussi une manière de donner des nouvelles, de tenir l’autre au courant du quotidien : « Surtout ne pas égarer la page/ Une brèche s’y ouvre/ Se tenir au flanc du rocher/ et tisser pour toi ce poème. » Enfin il y a le « nous » qui abolit dans le temps de l’énonciation la dureté de son impossibilité : « Reçois mon visage comme une obole/ Cache-moi à l’ombre de ton corps/ là où le mur a ses secrets/ là où court la flamme incessante/ Au creux de nos draps nos voix se sont tues/ effacées par le sommeil/ demain l’aube sera bienveillante. »

La deuxième partie « Instants » est plus ample que la première (20 pages contre 11 pour « Vagues toujours »). Les dialogues se sont tus. Désormais le neutre domine même si un « je » parfois se manifeste, discret, mélancolique, ne déniant plus le deuil : « Soudain je m’en vais dormir dans l’oubli de tout. » La plupart du temps la poète lance ses strophes par des infinitifs injonctifs ou des « on » indéfinis ; parfois par des impératifs à la première personne du pluriel. Cette forme énonciative permet la mise à distance anesthésiante du deuil. Ces injonctions sont une manière de lutter contre la mélancolie, elles dynamisent le texte, deviennent ordre intérieur, impératif catégorique pour secouer la torpeur du deuil qui freinerait le faire, l’observation, le lien à la nature et aux humains. Voici un exemple page 13 (début de la seconde partie) : « Mener le jour de l’autre côté du ciel/ là où les vagues se brisent/ aux premières ondées de septembre/ Écouter les hêtres bruissant/ les drisses dans le port/ archets du vent/ Monter sur la digue/ et regarder la mer. »  et voici une autre strophe page 28 qui fonctionne de la même manière : « S’en aller vers la tiédeur du soir/ Passer sur l’autre rive/ Se perdre sur la route/ Marcher dans les herbes hautes/ Plonger nu dans les étoiles/ Se frotter à l’écorce des arbres/ reprendre sa place/ Quelques heures s’oublier/ se plier aux sources du silence/ Se dire que l’on est heureux/ au risque du mensonge. »  Une des variantes est l’utilisation de l’impératif présent qui ne leurre pas le lecteur qui ne l’assimile pas aux « nous » de la première partie : « Reprenons la phrase où nous l’avons laissée/ dans le remous des saules/ les pas lourds de la mémoire/ Glissons-nous là où tout est limpide/ pour que la mort n’ait pas de prise. » On l’aura compris, à ce stade, la poète ne vit plus son deuil de la même façon que naguère, elle est dans l’invention d’autres ruses pour y survivre. Elle aura recours à la force de la mer, et de la nature en général, aux oiseaux en tant que tels et comme métaphore de son désir de s’évader, de sortir du carcan de l’angoisse : ils sont plumes, duvet, ailes, envol. Ils ont nom : moineaux, hirondelle, et même quand on ne les nomme pas, les oiseaux traversent les strophes, les saisons, les horizons du poème. Ce qui protège aussi c’est la maison et l’évocation de l’enfance : garde-fou au spleen trop violent. Ainsi page 17 la poète réunit en une strophe les thématiques qui adoucissent les jours d’un trop long hiver. Elle suggère alors la force apaisante du nid, de l’intime :

 

                                  La maison dort dans la plaine assoupie

                                  Elle plonge ses racines dans le sol

                                  aorte vive volets adossés au vent

                                  lueur dans la nuit

                                  trait de crayon

                                  La maison j’y plonge mes doigts

                                  J’y cache mes tendresses

                                  Elle se dresse tel un phare

                                  Un oiseau de bonne augure

                                  Elle brille dans l’ombre

                                  lieu de l’enfance

                                  Ses rideaux bruissent et se plient

                                  La maison est douce sous la paume comme un édredon de

                                  plumes.

                               

Le recueil se termine sur une note d’espoir comme si la vie reprenait ses droits, que le futur redevenait possible et qu’il fallait continuer d’interroger les élans vitaux, le désir d’écrire car dit la poète « Nos vies s’allument comme des lampes ».

En tout cas la trajectoire de douleur, d’épreuves et de courage, à travers ses poèmes à vif, nous émeuvent par leur sensibilité à fleur de peau, leur sensualité, leur justesse.

 

©Dominique Zinenberg

 

 

Véronique Joyaux

Lecture par Dominique Zinenberg

Francopolis, Été 2024

 

 

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Créé le 1 mars 2002