LECTURE - CHRONIQUE
Revues
papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de
livres... |
|
LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Janvier-mars 2024 Focus sur 9 revues de poésie Diérèse, Rose des temps, Verso, Portulan bleu, Contre-Allées,
Comme en poésie, À l’index, Florilège, Voix Lecture par Éric Chassefière |
Diérèse, n°89,
hiver-printemps 2024 Ce
nouveau numéro de Diérèse s’ouvre par un fort beau texte de Gilles Lades intitulé « L’émotion, la poésie ». À
propos de l’émotion : « Nous devinons qu’elle a des rapports
évidents quoique secrets avec les franges subconscientes, voire
inconscientes, de notre être. Elle entretient des rapports réversibles avec
notre imaginaire, dont les couleurs et l’essor ne sauraient être séparés
d’elle. Parce qu’elle est perception vive, du saisissement à l’exaltation,
elle incite tout naturellement au partage du ressenti ». Et c’est
précisément par ce partage, plus fortement encore quand les textes sont lus
par le poète, que le poème touche le lecteur, ou l’auditeur, par le
« sentiment d’urgence » qu’il éveille en lui, urgence d’entrer en
résonance au diapason du poème. Lades souligne
l’intensité particulière de l’émotion qui saisit le poète, lorsqu’après une
période où l’écriture a été laissée de côté, il revient à la page,
interrogeant avec inquiétude le silence, dont il attend la réponse en mots et
images qui redonnera sens et chemin à sa vie. Quel poète, revenant à sa
plume, n’a pas ressenti le bonheur de la parole retrouvée, surgie des
tréfonds de l’être ? Le poème ne joue-t-il pas à la façon du regard,
prélude à la rencontre, questionne Lades :
« véhicule d’évidence, d’énergie, et d’abord contact entre deux
sensibilités, qui mène vers un irréversible possible. Seul le verbe poétique
peut épuiser sa radiance en unissant auteur et lecteur, dans un empan qui
relie l’intime […] au cosmique » ? La
section « Poésies du monde » s’ouvre par un dossier consacré à la
poésie tibétaine, introduit par Philippe Raynaud. Une poésie marquée par la
tragédie de l’invasion chinoise en 1950, suivie d’une sanglante période de
répression et de colonisation s’étendant sur plusieurs décennies. Cela n’est
que dans les années 1980, avec le poète Dondrupgyäl,
que la poésie tibétaine s’émancipe des canons de la tradition, remontant au
VIIe siècle. Ce dernier, dans un long poème en vers libres
(« le torrent de la jeunesse »), exhorte la jeunesse à entrer dans
la modernité, forte d’un immense héritage à cultiver. La poésie tibétaine est
très active, avec notamment l’émergence de nombreuses femmes poètes. La page Wikipedia de Françoise Robin, professeur de littérature
tibétaine, offre d’intéressantes pistes pour la mieux découvrir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_Robin_(tib%C3%A9tologue). Citons par exemple ces quelques
vers du poème « Cuisine » de la poète Sonam Tsomo
(qui écrit en trois langues, le tibétain, l’hindi et l’anglais), disant ici
pauvreté et solidarité du noyau familial d’origine : Les murs de notre cuisine ne
semblent pas supporter la pesanteur de la matière et pendant la mousson,
l’eau suinte des murs comme si elle pleurait en silence Dans l’odeur du curry et du masala, mes sœurs ont enterré leurs secrets, les ont mélangés aux
épices et nous les ont servis comme pour nous dire qu’elles avaient partagé leurs
secrets avec nous Et quand mon père est décédé, mes
sœurs ne sont pas restées longtemps dans la cuisine non, elles ont passé la plupart de
leur temps dans le petit débarras, à l’arrière Depuis ce jour notre cuisine sent le rance La
même section offre encore un dossier sur la poète allemande Renate Schön, présentée et traduite par Joël Vincent, dont les
poèmes sont accompagnés d’aquarelles de Franck Bertran.
Une poésie de l’instant, très inspirée par les éléments, les plus discrets
soient-ils, de la nature, et à la coloration souvent onirique. Ainsi :
« 15 degrés de fraîcheur, nord nord-ouest, sur / la falaise un banc de
pingouins qui couvent,/ des artistes en équilibre, au bec rouge. // Le vent
siffle, fouette la mer. Rapide, / vue depuis le sommet d’une vergue, des
pensées / sur le bateau pour y découvrir un mouillage. // Se dégourdir les
jambes, casquette enfoncée sur les oreilles, // Se réchauffer en battant des
mains, l’air respirable fait voile / L’éveil de la curiosité fait s’ensabler
le sommeil ». Pour le troisième dossier, le « domaine
américain », c’est le poète Kenneth Koch, peu traduit en français, qui
est à l’honneur, présenté par Daniel Martinez et traduit par Jean-Yves
Cadoret. Koch s’est notamment intéressé à la poésie française du XXe
siècle, et a réalisé de nombreux livres d’artiste avec le peintre et graveur
français Bertrand Dorny, fait peu connu et rarement
cité dans la bibliographie du poète. « La poésie de Kenneth Koch, qui a
su s’extraire du surréalisme sans en perdre la touche subversive verse
souvent dans l’ironie, le mot d’esprit, ou plus encore la satyre ». Quatre
poèmes portant les titres des quatre saisons, traduits pour la première fois,
sont présentés ici. Quelques vers de « L’hiver » :
« Chante plus fort, hibernal oiseau, s’il te plaît ! / Je ne
reculerai pas devant tes chants plus sibyllins / Mais serai comblé d’avoir
aperçu si loin / Dans le blanc des yeux de ces quatre saisons / Les jeunes
amoureux touchés par le soleil ». Suivent
les cahiers, des proses, des hommages et les traditionnelles bonnes feuilles,
présentant de riches recensions. Une quarantaine de poètes sont à l’affiche.
Citons, au hasard de la lecture et des affinités, trois poètes. Tout d’abord
Jacques Merceron avec ses poèmes du bout du monde, dont nous extrayons ces
quelques vers disant le déchainement d’une cascade sous la paix de hauts
sommets enneigés : Glaciaires cascades Sauvage ruée dans le vertigineux
tonitruant Des Trümmelbachfälle 20 000 litres par seconde Dans une furie d’effondrements Dans une rage tourbillonnante Paillettes de feu par millions Martelant sans répit le roc Dans chaque craquelure et crevasse Des garde-fous pour ne pas Glisser dans les suintements de
l’eau En haut tout en haut Immensité blanche nappée de soleil Majestueuse immensité Joie joie dans le cœur Loin
du déchainement du monde, au cœur de la scintillante éternité de la pierre,
Dominique Zinenberg consacre un poème tout en légèreté et délicatesse à la
couleur bleu, dont voici le début : Préambule du bleu cerne
pâle (fatigue) avec territoire dans l’inachevé, franges
azur et haillons les lapis-lazuli, les topazes, les
saphirs, les aigues-marines zénith
aux pierres éblouissantes le bleu en embuscade en eau
turquoise : abandon abondance le bleu si adorablement dans les
yeux d’Hölderlin, nuance
de l’absolu qui déjà s’est perdu dans
l’inachevé la fièvre bleu du spleen est
membrane qui vibre Terminons
par le beau poème intitulé « Chavirement » d’Alain Brissiaud disant l’échange entre une femme et son père
mourant, et le lien de l’amour qui se resserre, revient à la source, dans
l’épreuve décisive : viens plus près ma fille pose ta main sur ma peau touche sens-tu elle est si fine ô
père cette main un horizon perdu je
tremble j’ai si froid maintenant qui
pourrait me couvrir tout
le jour à ton chevet si
fatiguée je
pleure je suis forte ta
vie se dépose sur mes yeux si
longtemps je me crus fautive ma
vie de rien père
entends mon pas dans l’escalier je
viens vers toi le
couloir est si long dis-moi
m’attends-tu * Rose des temps, n°47,
septembre-décembre 2023 Le
Rose des temps de l’automne a pour thème « Miroir /
Mémoire », et c’est une citation de Jean Joubert, le fondateur de la
Maison de la Poésie de Montpellier, qui figure en première page sur le thème
de la rose : « Asseyez-vous peuple de loups, sur les frontières /
et négociez la paix des roses, des ruisseaux, / l’aurore partagée », une
incitation que l’on aimerait tant pouvoir murmurer à l’oreille des puissants
de ce monde, dont la folie meurtrière est décidément, et désespérément, sans
répit. Dans son éditorial, Patrick Picornot, s’en
prend à une époque que le pilonnage médiatique vide de toute mémoire :
« Une population vidée de toute mémoire ? Une population sans aucun
avenir, sans aucune filiation et bientôt sans descendance ? ». Dans
ces temps de concentration du pouvoir médiatique et éditorial entre les mains
de quelques grands capitalistes forcenés de la rentabilité, et d’omnipotence
des réseaux sociaux, le citoyen se voit petit à petit privé d’accès à
l’information vraie, dans sa diversité et sa richesse, et notamment bien sûr
à la parole poétique, porteuse par essence de vérité, passée sous silence par
la plupart des médias. « Soyons en poésie des quêteurs de vérité. Que la
poésie s’efforce jour à jour de se polir en authentique miroir du réel.
Creusons les chemins souterrains de la mémoire en tentant de construire un
avenir possible ». On ne peut bien sûr que penser à la montée en force
de l’extrême droite, et du danger qu’elle représente pour la liberté
d’expression, donc pour la poésie. La
rubrique Jadis et naguère présente deux poèmes, l’un de Jean-Vincent
Verdonnet, l’autre de Madeleine Novarina, tous les
deux nés dans les années 1920. Verdonnet est un poète largement reconnu, dont les éditions
Rougerie ont publié une intégrale de l’œuvre : « Avec des thèmes se
référant fréquemment à la nature, le poète y découvre un miroir de l’être
humain. Il crée un lien entre soi et les choses », ainsi, au soir, dans
un paysage marin : Les
ombres espérant encore rejoindre
cette part secrète de
toi-même là où s’obstine le
souffle frêle du destin qui
pousse une à une ses vagues à
travers les plages et les dunes d’un
insituable couchant Madeleine
Novarina, peintre et poète, a été pendant la guerre
résistante à Lyon, proche du groupe Combat, et n’a échappé que par miracle à
la déportation. Après la guerre, ses gouaches la font remarquer d’André
Breton, qui l’invite aux réunions du groupe surréaliste. Elle dit dans le
poème présenté sa « couleur intérieure », le rouge, par opposition
à sa couleur de façade, le vert, par laquelle elle se fond à la nature
environnante : « Je m’oppose verte mais au fond rouge / Très rouge
je le répète incroyablement rouge ». Gérard Paris consacre la rubrique Sources
Vives à Jean Mambrino, dont la longue formation
littéraire et théologique le conduit à entrer chez les jésuites. Il admire
particulièrement les poètes anglais (Eliot, Raine, Hopkins), lui-même
professeur de lettres et d’anglais. « Tantôt voyant, tantôt voyageur,
Jean Mambrino saisit les frémissements stellaires,
la rosée des constellations ; il navigue à vue entre l’intime et le
gigantesque aux sources de l’immense, dans l’intimité de l’ombre, maniant et
mariant signes, présages, énigmes… ». Mambrino
écrit par exemple : « Pour affronter le vierge de l’être, se mettre
nu, / se mettre à être, se déguiser en inconnu, / entrer dans le feu,
l’erreur, l’errance, la tranquillité / de l’être, l’humilité d’être, l’insaisi qui demeure ». Un poète donc qui se situe
dans le retrait et l’effacement, chemin d’accès à l’être véritable,
l’incessante métamorphose, ce va et vient entre le plus proche et le plus
lointain. Les titres de ses poèmes parlent d’eux-mêmes : Le Rêve
éveillé, La distance intérieure, Le Pouls du désir, Paroles cachées… Des
rubriques sont consacrée à Jacques de la Badaudière,
un poète du XVIIIe siècle, dont Nicolas Saeys
analyse notamment la construction de l’un de ses poèmes, et la façon dont la
rythmique est utilisée pour traduire des émotions, concluant ainsi :
« L’auteur n’engage pas sa passion dans l’écriture, il se contente de la
décrire, raisonnablement, et suspend le vol de son inspiration à son art
propre. C’est le mariage de la circonstance, des règles de versification et
de la subtilité, dans l’approche esthétique, le regard du poète, en spectacle
pour les lecteurs ». Deux poètes proches de Rose des temps
récemment décédés sont ensuite célébrés, Jean Dif
et Yves Letourneur. Puis le Cahier de création présente les poèmes
d’une cinquantaine de poètes, introduits par un poème de Jean Mambrino, déjà cité, que nous reproduisons ici : Plus large que l’espace, que le
souffle en lui qui mesurait l’espace. Dévorée, dissipée la rage des désirs
et visions. Un grand calme solennise le typhon
de l’âme. L’assemblée, sur toutes les pentes,
remplit de son attente l’immensité sans oriflammes. Nul ne regarde. Chacun et tout un
chacun. Vers tout. L’ouverture. La direction. Le chemin est devenu la distance
sans chemin. Une acclamation du silence. Ce qui est fini sans fin. Après
le Cahier de création viennent plusieurs rubriques consacrées au poète
chilien Pablo de Rocka, à Tristan Corbière, poète
méconnu au cours de sa vie et qui ne fut remarqué que plus tard par Verlaine,
et au XXe siècle par Jean Moulin, à la Revue Les lettres
normandes, au Concours pour la jeunesse 2022 organisé par la Société des
Poètes Français, et pour finir à de nombreuses notes de lecture. * Verso, n°195, décembre 2023 Le thème, identifié a posteriori par Alain Wexler à partir des poèmes présentés, est « l’air,
les mots ». Comme toujours, dans son prologue, Wexler
nous présente un texte transversal explicitant le lien entre les poèmes et le
thème, ici plutôt un fil ténu qu’un véritable argumentaire synthétique
déclinant avec légèreté (celle de l’air !) les variations du thème au
fil des pages. Cherchant la complémentarité avec ce prologue, au terme duquel
Alain Wexler s’excuse de ne pas citer tous les
poètes présents dans la livraison, attachons-nous à en citer quelques-uns de
plus. Patrice Blanc nous livre d’énigmatiques
poèmes sur l’hiver, dont celui-ci, qui semble dire la dislocation des corps
et des sentiments, retour peut-être à l’éternité d’une enfance :
« dans mes mains l’hiver se fait colère / et passe les fleuves de nos
têtes // ton sein délivré de l’arbre brûle / courent les algues de tes
paupières // déchiré / l’hiver devenu fleuve a lâché / les ombres du ciel ///
l’hiver est un enfant de pierre ». Citons également Nadège Cheref, dans un poème qui dit la colère contre l’autre
qui ne nous respecte pas, et le désir de solitude-fusion avec la
nature : Une
chose est sûre, c’est que je veux être seule, parmi
les oiseaux qui trottinent sur l’eau pâle et
qui jettent les étoiles à la vie. Et
quand la nuit verse ses larmes sur
vos peurs invisibles, et
que l’obscurité a des allures de
danse nuptiale, je
chante les racines des arbres, qui
gravitent comme des orbites autour
de ma silhouette de feu. Christine Bouchut
évoque une « Faille de cœur », la rejetant dans la solitude :
« La feuille quitte l’arbre / tourne couleur / une autre aura moins de
chance / le cœur / en battements / un instant d’urgence / le monde s’éloigne
/ à rebours / je tais le hurlement / sirène / je m’enivre / en silence / en
larmes / de l’indicible ». Pierre Frenkiel
propose, entre autres, quelques haïkus comme : « La fraicheur est
dans la maison. / Dehors j’observe les oies / Dormir la tête sous
l’aile », ou « Les roses blanches éparses / Jouissent de la chaleur
/ je me gorge d’échecs et de grâce », instants de présence à un
au-dehors à la fois proche et lointain, ailleurs qui peut-être nous rêve.
Stéphane Casenobe, lui, écrit en lettres majuscules
et à ciel ouvert, semblant dire la quête d’une transparence, d’une vérité qui
soit transparence : « JE REDEVIENS INAUDIBLE ET INTELLIGENT / À LA FOIS.
JE RÉSISTE À LA NUIT DU RÉEL / ET
DE L’UTOPIQUE. J’ÉCRIS À CIEL OUVERT ! / IL EST VAIN
DE LIRE DANS LES YEUX DU POÈTE ». La poésie de Romain Frezzato est scandée par la trépidation des rythmes
urbains : « pédalent dans le vide des vélos et par l’idiome inquiet
de jambes transparentes le tracé spectral des flâneurs les citadins montés
sur des planches et des trottinettes (poésie post-juin-36 heures de récup
week-ends chômés toutes ces longues plages horaires pour que se tressent le
filament des rythmes et des pas et tous ces interstices d’altérité qu’ouvre
l’autre croisé dans les pans du moi) ». D’Annie Hupé, reproduisons le beau poème
intitulé « Cerf-volant », qui dit toute la liberté en germe dans le
geste de l’enfant lançant son cerf-volant : lance,
lance enfant lance
ton franc cerf-volant vole,
vole avec le vent affolant
terres et forêt le
lac affalé, la ronce le
roc entravé t’enlevant,
te racontant à
la crête cévenole à
l’océan frelaté le
vent te fera oracle Myriam Monfront chante
la nature, vent et oiseaux, et ses mystères, ainsi : « Parfois,
majestueux, / fugace, / apparaît le geai bleu / qui disparaît, / comme il est
venu. / Je crois avoir rêvé… ». Le corps dans son anatomie, le pays du
corps, la coquille du corps, la peau du corps et ses parfums, Jean Mémin nous parle du corps, de son immensité où voyager et
rêver. Et encore des textes de Saslac, Anne Soy
(dont le poème reproduit est traduit en espagnol par Miguel Angel Real),
Olivier Millot, Hubert Frealle, Judith, Michel
Gendarme, Alain Jean Macé. Le numéro se termine par un entretien de Carole
Mesrobian avec Catherine Pont-Humbert, autrice et journaliste littéraire, au
sujet de son dernier livre Noir printemps paru aux éditions La Rumeur
Libre, suivie de la traditionnelle revue des revues, « En salade »,
par Christian Degoutte et des chroniques et lectures de recueils récemment
parus. * Portulan bleu, n°42, mars 2024 Le
thème de ce numéro de la revue Portulan bleu, publiée par
l’association Voix Tissées, est « l’élan », que
Patricia Bruneaux décline dans son éditorial, opposant l’élan aux forces
régressives qui tirent notre humanité vers la barbarie et la mort, qui se
termine ainsi : « Conjurons définitivement le sort et transformons
notre élan d’humanité en élan principe de vie. / Enfin soyons sages et
conscients, // Soyons Nous, / Soyons le modèle pour ici et ailleurs, pour
nous tous, et d’autres civilisations extraterrestres que nos trajectoires
astrales et cosmiques traverseront un jour, en mémoire de ce que nous avons
été, de qui nous avons été, et de ce pour quoi nous avons œuvré. // Soyons le
principe même de l’élan des Cœurs du Vivant ». Citons,
au fil de la lecture, quelques poèmes chantant l’élan sous toutes ses formes.
Chantal Couliou : « Comment retrouver
l’élan / d’aller ensemble ? / Comment retrouver la plénitude / des jours
solides ? / Comment rester attentive / à la parole de l’autre / pour un
embarquement immédiat ? ». Alix Lerman
Enriquez : « S’élancer dans la vacuité de la mer, / rire aux éclats
avec les poissons et les algues, / écrire sur la grève des poèmes / avec des
débris de coquillages / et, lorsque tombent les soirs bleus d’automne, /
courir à perdre haleine, s’élancer dans le noir de la nuit ! ».
Nicole Barrière : « Dans la main des nuages, seule, / la vie
s’élance en étoile blanche / Chante sa chanson de mort. / Immense nuit du
corps. Seule, / la vie s’élance en étoile blanche / Brûle mon cœur, mon
corps, mon âme / Jusqu’à immoler la peur / Seule, la vie s’élance ».
Nadine Travacca : « Un pied dans le vide
/ il s’élance / dérangeant le silence / des terres assoupies // À la
verticale / on croirait qu’il danse / mais je sais qu’il court / sa tête déjà
/ de l’autre côté // Conserver l’élan / obéir aux jambes / qui savent comment
/ un pas / et puis l’autre / droit devant / traverser ». Terminons avec
ce poème de Erick Gaussens, qui dit le calme élan
du bonheur revenu à l’écoute de l’arbre peuplé d’oiseaux : La rue était tranquille, C’était moi qui rêvais. Mon humeur versatile, Au bonheur revenait. Dans un sursaut d’espoir, Une espérance humaine, Je croyais percevoir, Fragiles porcelaines, Dans cette calme ruelle A l’humble marronnier, Ouvrant grandes leurs ailes, Des élans de confiance et de vie
mélangés Des élans de confiance et de vie mélangés * Contre-Allées, n°48, automne
2023 « La
poésie : une lueur. Une lumière faible, diffuse, brusque, éphémère,
quoique vive autant que momentanée. Une manifestation passagère, certes, mais
aigüe du sentiment, de notre conscience de vivre. Rien de réducteur dans
cette tentative de définition. La poésie n’illumine pas toujours d’un éclat
intense de désir ou de colère nos jours : elle sait aussi vaciller au
cœur de l’obscurité du monde, agile, alerte, intermittente ». Ainsi
commence l’éditorial de Romain Fustier. Une poésie toute en glissements, écarts,
intériorité, effacement, secrets mûrissements « dans la pénombre, dans
les marges, en dehors, à l’écart. Elle s’y renforce ; elle s’y affermit.
Elle se tient dès lors prête à saisir tous les possibles, à nous rendre
nous-mêmes, pleins d’attention à tout ». La
poète invitée est Catherine Weinzaepflen. À propos
du poème « Un précipité », reproduit dans ce numéro, la poète
explique dans son entretien avec Romain Fustier : « Un poème peut
s’imposer à partir d’une image de rêve. Je suis une rêveuse invétérée et
d’improbables images m’apparaissent en rêve. Le premier poème d’Un
précipité est issu d’un rêve que j’ai fait il y a longtemps et qui s’est
inscrit dans ma « banque à rêves » parce qu’il était très beau.
Après quoi, il s’agit de trouver une forme. Pour que le travail se poursuive,
il faut trouver un dispositif. Construire ». Le début de ce rêve, où
l’auteure, réticente, confie-t-elle, à l’utilisation du « je », se
prénomme Wendy : Wendy a vu passer un poisson-volant écailles arc-en-ciel - Il
allait où ? (Nathan qui doute) - De
l’école au pré, là vers la rivière leur école dite petite école occupe un angle du parc des Contades Wendy peut voir sa maison depuis la cour de récré - c’était
un oiseau ! décrète Nathan […] Allers-retours
dans ce long poème aux accents à la fois réalistes et oniriques entre enfance
et temps présent, rêve et réalité. La
sélection qui suit présente des poèmes de quatre auteurs : Bertrand Degott, Elias Levi Toledo, Nicolas Rouzet,
Gabriel Zimmermann. Citons, au fil de la lecture, ce beau poème d’amour de
Toledo : effacer la frontière entre toi et moi fonder la maison de nous nous y fondre nous y confondre n’être ici que par le regard de l’autre naître ici dans le regard de l’autre visage est toujours au pluriel et aimer est le pluriel de vivre et cet autre de Nicolas Rouzet,
qui dit la vibration du poème : Dans
le mot, le lieu le
jardin, l’arbre
qui tremble. Dans
le mot, le mot. Puis des entretiens avec Valérie Canat de
Chizy et Cécile Guivarch qui répondent à la
question : « Dans quelle mesure l’écriture est-elle un chantier
pour vous ? ». La première nous en dit : « Chantier de
fouilles, recherches dans le passé, quête de vérité. / une fois le travail de
déconstruction effectué, il s’agissait d’ériger de nouvelles fondations,
solides, sur lesquelles m’appuyer, afin que ma structure ne vacille
pas ». La seconde : « L’écriture est un chantier dès l’instant
où écrire est une fouille, la quête de quelque chose. Un chantier
archéologique, une fouille généalogique en ce qui concerne ma propre
écriture. J’y gratte avec mes mains, mes doigts, j’y gratte à l’aide de
quelques outils et puise dans la mémoire collective, familiale, ou bien dans
mes propres souvenirs ce qui veut bien remonter à la surface, se mettre en
lumière ». Construire en quelque sorte le poème comme on construit sa
vie sur les fondations du temps retrouvé. Puis une reprise de poèmes
d’Olivier Bourdelier : « regarde pousser
les choses qui poussent / arrose s’il le faut / vis la vie belle la / vie
avec la musique », suivi d’un
entretien avec un éditeur (Jacques Renou, L’atelier de Groutel), quelques poèmes extraits de livres reçus, une
recension de « Sa mémoire m’aime » de Cécile Guivarch
par Romain Fustier. Beaucoup de plaisir à lire cette revue, à la présentation
limpide et aérée qui met bien en valeur poèmes et entretiens, nombreux, les
éclairant. * Comme en poésie, n°97, mars 2024 Comme en poésie fait partie des (nombreuses) revues qui ont répondu
favorablement à la demande de l’équipe d’Encres Vives de publier une
annonce sur la reprise de la revue et des éditions du regretté Michel Cosem. Un communiqué constitué d’une double page est
joint au numéro, que Jean-Pierre Lesieur en soit remercié. Son éditorial,
intitulé La Barricade, pointe à juste raison le danger que font planer
sur la liberté d’expression, donc sur la poésie qui en l’une des
manifestations les plus élevées, les dictatures qui s’affirment en de
nombreuses régions du monde. « Elle sera où notre liberté d’expression
lorsque la destination première du poète sera LA PRISON ? ». Alors
oui, comme le propose Jean-Pierre : BARRICADONS LA POÉSIE QUAND IL EN
EST ENCORE TEMPS, mais seulement contre cette extrême-droite populiste et
autoritaire à l’influence croissante, y compris dans les cercles littéraires.
La barricade, ouvrons-la au contraire quand il s’agit de répandre la parole
poétique, porteuse de paix et de concorde. De
nombreux contributeurs, comme toujours. Notons, au hasard de la lecture,
Daniel Birnbaum avec ses poème courts aux accents
d’aphorismes : « Il n’y a de vraie grâce / que chez l’animal /
parce qu’il ne connaît pas ce mot », ou : « On nous ment
depuis le début / le véritable péché originel / n’est évidemment pas / d’avoir
croqué la pomme / mais de l’avoir vendue » ; Mireille Podchlebnik, chantant la misère du monde et l’espoir de
la lumière : « Un jour de brume / un jour de gris / un jour de
blues // La Marne charrie / des torrents de boue / et le temps pleure / la
misère du monde / les morts / la haine qui se répète / à l’infini // Les
feuilles tardent à jaunir / et pourtant ses reflets or / apportent à nos
cœurs / une lumière / de réconfort » ; Bernard Malinvaud, dans ses
poèmes simples disant les cours mêlés de la vie et de la nature qui
l’environne : Le soleil s’enroule Dans l’écharpe de l’aube Tu déplies les ailes de ton regard Un nuage sonde L’étincelante candeur du ciel Ton regard tisse le bleu des heures L’espoir se confie Dans les bras encore tiède des draps Le doux de l’instant coule dans ton
regard. Annabelle
Gral, avec de beaux poèmes égrenant la journée et
questionnant l’instant : « La fenêtre ouverte / sur un vent de
printemps / Des nuages dessinent des masques / sur la terrasse / Seul le vrai
soleil d’été / pourrait me parler d’un souvenir / enfoui / Peut-être parce
que je n’entends / aucun rire / autour » ; Frédéric Peire, avec ses « impressions d’Éthiopie »
qu’il confie à la revue, impressions nées du souvenir du voyage venant
rallumer au cœur du poète en mal d’inspiration la flamme de la poésie,
ainsi : « Avant la nuit la forêt se mit à bruire, / Une stridence
qui partait de son cœur / Mille élytres se frottaient / En un concert de
grillons. // Les trilles d’un oiseau répondent / À la brillance des feuilles
libres et frétillantes / En contre bas de la forêt, / L’eau du torrent Kabena descend de la montagne / Comme un bâton de pluie /
Et son bruit roule / Les détritus des poubelles / Dans le lit de la rivière /
Où les enfants jouent ». Une grande diversité de textes qui dit la
richesse du paysage poétique actuel. Et bien sûr, en fin de numéro, la
traditionnelle Cité Critique, avec son tour d’horizon des revues. * À l’index, n°48, mars 2024 Dans
son éditorial « Au doigt & à l’œil », Jean-Claude Tardif s’en
prend à l’édition « marchandisée »,
« bollorisée » et « vivendicisée », qui fait la pluie et le beau temps
sur le marché du livre. Trop de livres calibrés et « prêt-à-lire »
tuent la vraie littérature. L’entonnoir des médias, qui ne sélectionne que
les livres qui se vendront le plus, prive le public d’une majorité de livres
qui ne se vendent pas, parmi lesquels bien sûr ceux de poésie. Une vraie
bibliothèque ne se constitue pas sur les plateaux où repassent en boucle les
mêmes auteurs, déroulant le fil du même livre indéfiniment réécrit, mais,
hors de toute contrainte ou incitation, à partir d’un « acte réfléchi où
l’émotion et la personnalité du lecteur se reflètent à part entière ».
« Une bibliothèque est le reflet de celui qui entreprend de la
constituer. Elle s’édifie avec des ouvrages, des auteurs de garde. Non pas
avec des producteurs de « meilleures ventes » qui vont avec notre
société du prêt-à-jeter ». On ne peut que déplorer avec Jean-Claude
Tardif le peu de visibilité de la poésie, conséquence de son absence de la
plupart des médias grand public (et aussi en amont des écoles où sa pratique
devrait pourtant être encouragée). Un
sommaire riche de textes d’une trentaine d’auteurs, poèmes ou nouvelles.
Citons, au hasard de la lecture, Iren Mihaylova, qui dit l’unité du corps et
de la mémoire : « Mes mains sont pleines des mains / qui ne serrent plus les miennes / depuis l’éternité ; //
Mes doigts remplis de ruines / que je n’habite qu’en mémoire / de mes
ancêtres reniés ; // Mes yeux sont pleins des yeux / que je n’ai pas
oubliés ; / De regards entrecroisés à tout jamais / Ineffaçables » ;
Anne Barbusse qui nous livre des extraits de L’incomplète, une série
de poèmes qui semble dire l’impossible quête de l’autre, la lancinante
douleur du manque : le fond de la mer est plus torturé
que le jour rochers et algues déconstruisent les
sables la tête est électrocutée par le
manque et la plage ne propose que paix
provisoire étoffée d’impermanence puis tu marches chaque jour, après
les pluies et tu appliques le vent sur ta peau tes pas ne font presque pas de bruit ils sont bus par le sable et tu frappes ta douleur sur la joue
de la terre Citons
encore les Exercices du plus haut silence de Patrick Joquel, en
promenade dans la montagne : « le salut du geai // après l’orage
nocturne / aube et aurore / moiteur de l’ubac forestier / le sentier m’enlace
et m’élève // la prise régulière d’altitude me ruisselle au visage et me bat
la poitrine / la source / à couvert du mélézin / gorgées de fraîcheur /
gouttes sur nuque / et poursuivre / au pays du mélèze et de l’épilobe ». Notons
la présence significative de poésie étrangère, celle du turc A. Kadir Paksoy, traduite par lui-même, du catalan Joan Vinyoli, traduite par Pierre Mironer,
des brésiliens Cleberton Santos et Vladimir Queiroz, traduite par Dominique Stoenesco.
De Vinyoli, cette Danse de la mort :
« Aux hasards si divers / de notre temps, la pluie / de nous rassembler,
subtile. / Au milieu de la nuit qui écoute / les bougies s’enflammer
lentement, / multitude de cire rebelle / hivernant sur l’ordre / lointain des
sereines / patries de lumière, ces nobles / porteurs du silence ». De
Santos ce Peut-être : « toujours cette même illusion /
d’être le mot clair / limpide et rapide / puis / demeure l’ancienne certitude
/ le soleil se lèvera même sans poésie // encore peut-être ». De Queiroz, ce Sable : Sable chargé de poussière et de lumière : un dialogue avec les étoiles. Très
beau texte en quatrième de couverture de Jean-Pierre Chérès
sur ce que c’est que la poésie, qui commence ainsi : « La poésie
c’est peut-être vouloir garder, conserver, préserver le présent dans sa
respiration, son inspir et son expir,
son mouvement existentiel, son rythme quotidien. La poésie est dans les
rythmes de l’œil, de l’oreille, de la langue, de la peau, du nez. Être poète,
c’est se donner corps et esprit à la présence du monde, c’est être possédé
par le monde, c’est ouvrir en permanence ses antennes sensible à l’univers,
c’est être humain à part entière ». La poésie donc comme respiration du
corps et de l’esprit, qui en elle ne font qu’un. Terminons avec le beau poème
intitulé L’étranger de Line Szöllözi, qui
fait beaucoup de bien par ces temps de racisme et d’intolérance
généralisés : Étranger et aussi étrange L’étranger merveilleux et
énigmatique Qui a passé la porte Est-il étranger ou étrange ou même
familier Semblable et différent L’étranger qui ouvre la porte Il est présent, enfin On prendra sa coutume, on endossera
sa vêture Nous aurons ombres confondues Il n’y aura rien à expliquer * Florilège, n°194, mars 2024 La
couverture du nouveau numéro de la belle revue bourguignonne présidée depuis
plus de cinquante ans par Stéphen Blanchard rend
hommage à Charles Baudelaire dont un extrait de son poème « L’homme et
la mer » est reproduit : « La mer est ton miroir ; tu
contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame ».
L’illustration est un tableau intitulé La mer de Violette Barbosa,
artiste à l’honneur de la revue ce trimestre. L’éditorial, intitulé
« Pourquoi j’écris ? Résistance existentielle en poésie », est
du poète montpelliérain Jean-Marie Leclercq. Il y exalte l’insurrection de la
parole et l’acte de résistance (« contre tous les tourments de notre
société ») que constitue la création poétique. La rubrique Les
créations présente les poèmes sélectionnés par le comité de lecture, un
par auteur pour chaque numéro. Une soixantaine d’auteurs sont présents.
Citons, au hasard de la lecture, Antoine Leprette
qui dit la quête sans répit de l’autre : « L’homme marche / Il ne
s’arrête pas l’homme / Jamais / Il avance / Un pas / Encore un pas / Il crie
/ Il appelle / Dans la rue, dans la ville / Il marche / Il ne s’arrête pas /
Un pas / Encore un pas / Il crie / Il appelle / Dans la forêt, dans le désert
/ Au sommet des montagnes / Sur la dune, sur la vague / Sous la pluie, dans
la neige / Il crie / Il appelle / Où es-tu ? / Où es-tu ? / Et le
vent répond / Seul le vent répond / Mais qui comprend le vent ? ».
Et aussi Béatrice Gaudy avec ce poème dédié aux enfants du Haut-Karabakh
chassés de leur terre : Ce sont des enfants qui n’ont plus de visage que des larmes Ce sont des enfants qui n’ont plus de pays que des ports Ce sont des enfants sur les routes de l’exode Marie-José
Pascal dit la Pauvre colombe martyrisée de la paix dans les guerres
incessantes qui enflamment le monde : « Pauvre colombe martyrisée,
le temps des pleurs est revenu / Et la folie de tous ces hommes qui ont déjà
perdu leur âme. / Aux antichambres de l’enfer, couverts de sang, couverts de
larmes. / Ces hommes dépourvus de regard qui déversent la haine / Tout autant
que les drames, comme je voudrais qu’ils s’effacent / À jamais des mémoires,
qu’ils s’évanouissent pour toujours / Telle la fumée âpre qui sort des
cheminées en colonnes grisâtres ». Stéphane Casenobe
dit lui la difficulté d’écrire, les « routes à refaire », les
« pistes à suivre » : « Après tout j’ai joué et j’ai
perdu… / Gros / Lourd / Oui je veux me dissoudre anonymement / Disparaître
entier ! / Fuir la blessure du poème ! Excursion
finale ? ». Citons encore le beau poème nostalgique de Michel Santune : j’avais pour toi des mots de grand silence ceux qui résonnent loin hors de portée de l’esprit et puis ces gestes lents de grande patience pour caresser tes cheveux que le vent de la mer venait lisser aussi car tu portais en toi le secret bien caché des terres anciennes où nous avons vécu sous l’ombelle d’un ciel encore à inventer avant que le temps ne commence quand nous buvions encore à même le sein de l’éternité Après
les poèmes viennent les nombreuses recensions et critiques de recueils et de
numéros de revue récents. Je ne manquerai pas ici de remercier Stephen
Blanchard pour la demi-page intitulée « Continuer Encres Vives
sur les pas de Michel Cosem », un appel à
abonnement pour la revue créée et pilotée pendant soixante ans par Michel Cosem, récemment décédé, que nous venons de reprendre,
Catherine Bruneau et moi-même, avec des membres de l’ancien comité de
rédaction (Annie Briet, Jacqueline Saint-Jean,
Jean-Louis Clarac, Gilles Lades
et Christian Saint-Paul). Stephen Blanchard reproduit en fin de numéro la
« Lettre d’un revuiste de poésie à un poète en quête de publication en
revue papier Comme en poésie » de Jean-Claude Lesieur, lettre que
l’on peut trouver sur le site de Comme en poésie. Lettre dans laquelle le revuiste
affiche son ouverture d’esprit en même temps que sa liberté fondamentale
d’accepter ou refuser un texte : « La poésie que je défends et pour
laquelle vous en conviendrez je donne beaucoup de temps et d’argent ainsi que
pas mal d’amour ne se réfère à aucune chapelle, je ne peux être une tendance
ou une école à moi seul j’accepte toutes les formes et fonds de poésie,
pourvu qu’elles me fassent vibrer, qu’elles élèvent ma pensée et qu’elles me
donnent ce je ne sais quoi indéfinissable qui me fait dire : « là il y a un
véritable écrivain ». Terminons avec la chronique consacrée à la poète
japonaise Akiko Yosano (1878-1942), femme engagée,
résolument féministe, à la poésie sensuelle qui à l’époque choque les
conservateurs. Extrait de son recueil Cheveux emmêlés, paru en 1901 et composé de 399
poèmes disant sa passion naissante pour son futur mari, ces quelques vers
exprimant le bonheur en germe : Avec le brouillon Maculé d’imprécations De mes poésies Je parviens à contenir Le vol noir des papillons * Voix, n°8, automne 2023 La
belle revue annuelle Voix, revue littéraire et artistique coordonnée par
Mireille Diaz-Florian et François Minod, en est à son huitième opus. Elle est
issue du Buffet littéraire, un groupe de poètes, pour
l’essentiel parisiens, qui se réunit une fois par mois en moyenne chez
François Minod pour des lectures de poèmes sur un thème prédéfini. De belle
facture, pages intérieures sur trois colonnes de texte, illustrée de
nombreuses œuvres graphiques en couleur, elle décline voix poétiques (poètes
français), voix d’ailleurs (poètes étrangers), voix critiques (recensions de
recueils, articles de réflexion), voix dédiées (entretiens), voix d’atelier
(sorties d’ateliers d’écriture), voix plastiques (œuvres graphiques).
Mireille Diaz-Florian écrit dans l’éditorial : « ce serait une
fabrication estivale. Il faudrait choisir le bon moment pour traquer les
auteurs entre la sieste sous les arbres, les repas entre amis, la
contemplation d’un paysage, le goût légitime du silence. Mais quels artisans
des mots pourraient résister à nos amicale pressions ? N’ont-ils pas la
certitude que cette petite grande revue justifierait, à elle seule, le sens
de notre patient travail d’écriture. Il s’agira donc, une année de plus, de
croiser nos chemins. / Rendez-vous aux carrefours. Au bel automne ».
C’est, dans ce numéro, au Liban que sont dédiées les Voix d’ailleurs, et
l’artiste peintre Pierre Zinenberg est l’invité des Voix plastiques, avec une
dizaine d’œuvres de lui reproduites au fil des pages. Une
trentaine de poètes fournissent la matière des Voix, dans la présentation
aérée que constitue le découpage de la page en trois colonnes, conférant
verticalité et lumière à la composition graphique des textes. Des formes
géométriques grises ou blanches (triangles, losanges, disques, …)
introduisent de la diversité dans la structuration des pages, imprimant leurs
architectures stylisées sur le fond de colonnades des poèmes. On ne saurait
passer en revue poètes et poèmes. Les compositions de Pierre Zinenberg,
jalonnant le recueil, associent dans leurs titres lettres et couleurs :
Noir – Lettre A, Blanc – Lettre E, Rouge – Lettre I, vert – Lettre U, Bleu –
Lettre O, reprenant la nomenclature proposée par Arthur Rimbaud dans son
poème Voyelles, un panneau des voyelles peint par Zinenberg, dans
lesquels les formes des lettres sont reconnaissables, étant présenté en fin
de recueil. C’est à Michel Cassir que l’on doit le
choix des poètes libanais représentés dans Voix d’ailleurs, (i) les ainés,
tels Georges Schéhadé, Salah Stétié ou Adonis, (ii)
la nouvelle génération, (ii) les jeunes voix. Ainsi, de Salah Stétié : Brûlure de ces yeux brûlés de larmes Dans un jardin de terre avec les
nuits Comme des lampes oubliées dans les
olives Un soir de neige où les rosiers sont
nus Visage ô noir ô noir miroir du monde […] De
Michel Cassir de la nouvelle génération : que de guerres disais-tu que de
guerres et le miracle d’une toute petite
flamme qui fait danser les yeux dans leur splendeur souterraine ton rire dissout la nuit et me fait jouer dans la boue
matinale comme un premier communiant en quête surtout de poésie comme tu es moins morte que ce monde qui arrache sa propre racine on peut enfin nager dans la paix de tes mains De
Ritta Baddoura, jeune
voix : Parce que mes seins Sont lourds D’un lait très sombre Et pourpre Je vais Par le soir Ainsi qu’une bergère Regarder paître Mon troupeau De souvenirs Je vais Par l’espoir Ainsi qu’une prière Sage De tant d’abus Égrener En secret À l’ombre De l’âge Mon chapelet D’obus C’est
de poèmes issus d’ateliers d’écriture que Mireille Diaz Florian construit la
rubrique Voix d’atelier. De beaux textes, ainsi celui de Laure Proust qui
clôt la séquence : Comment dire cela ? Les mots Des
poissons ivres irisés Hors
des filets Va et vient De
l’écume Du
souffle Des bribes ©Éric Chassefière |
Note de lecture de
Éric Chassefière
Francopolis, janvier-mars 2024
Créé le 1 mars 2002