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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Novembre-décembre 2022

 

 

 

Anne Mounic : Plus que ça, un infini

(Encres Vives n°517, 2022, 6,20 euros)

 

Lecture par Éric Chassefière

 

Une image contenant texte, plante, bleu, palmier

Description générée automatiquement

Anne Mounic, Asters, hélianthe (pastel, 2021 ; reproduit du site Annemounic.fr).

 

 

Ce très beau recueil d’Anne Mounic chante l’amour de la nature, ou plus exactement du paysage que cette nature offre de ses formes et de ses teintes, tout un univers de nuances colorées, que la lumière ne parvient pas à corroder, qui touchent au plus profond l’âme de la poète. Paysages comme faisant jeux de miroirs avec son paysage intérieur, une plénitude chaude et joyeuse, dont elle nous dit l’extension sans limite : « quelque part, nulle part, un rien / dans l’air, comme si l’on contenait, // soi, un paysage, // plus que ça, un infini… ». Cette infinité de nuances du paysage contemplé et intériorisé, tous ces possibles en germe, la poète en fait richesse, tout autant que stabilité, de sa présence au monde, et au-delà principe de vie et de respect de soi-même : « La dignité // veut l’humeur égale, une forme de maîtrise / afin de nourrir le feu, ici, // dans l’utopie, // de l’infini – tout ce possible dont nous goûterons // les nuances ». La plupart des poèmes du recueil comportent la description très picturale d’un paysage, souvent en demi-teinte, qui sert de base à une réflexion sur le mystère de l’être, qui s’imagine, nous dit la poète, « métamorphose », « mouvante esquisse clair-obscur ». Métamorphose, en quelque sorte transposition dynamique du paysage infiniment nuancé et mouvant que nous appelons de nos sens :

 

« Métamorphose,

 

tel est le nom de cette essence

une et infiniment divisible,

           parfums, sons, courbes

et couleurs, qui s’offrent à nos sens,

et qu’ils recherchent avec cette intensité

d’adhésion que l’on peut nommer « âme ». »

 

Ces paysages à la forte picturalité, c’est tapie dans son intériorité propre que la poète les observe, comme à propos de ce paysage de neige, révélé par un vol de canards qui s’y déploie : « Au chaud, // je me blottis, et le mystère, / sous une couche blanche, granuleuse // palpable, // se tapit. Une mésange, comme affolée, // sautille // de branche en branche ». Intériorité dont elle nous suggère qu’elle est avant tout celle du silence, celui de ce « gouffre de confiance » qu’est « la vaste bouche d’ombre et d’appel / aux saveurs distillées de la phrase » de la maison dans le matin, « un trait, / un rythme, / un bouquet / de mots que les lèvres mènent // à une haleine… ». Ainsi, les mots se font haleine, présence qui touche et réchauffe. La présence de l’autre, le souffle à partager avec lui, telle est donc la promesse de ce silence, cette « rumeur [du silence] où se blottir en confiance ». L’amour est partout présent dans ces lignes, un amour lumineux dans lequel l’autre vient se silhouetter, gardant sa part d’inconnu, car, dans la poésie d’Anne Mounic, le mystère est partout, rien ne se dévoile en parfaite netteté, tout est en permanente évolution.

 

« Voir heureux celui / celle que l’on aime,

c’est se pénétrer du sourire de l’ami(e),

qui, tel un torrent de lumière, inonde

toute la silhouette imaginaire, ce que,

volontiers, on nomme l’ « âme », -

 

le sentiment, la sensation, la pensée,

toute la personne dans le dialogue

de l’intime […] »

 

L’instant, dans ces lignes, est avant tout surgissement, « merveille du premier regard », irruption de la vie riche de toutes ses résonances, « portée / à sa plus sensible vibration » : « faire surgir / la vie dans la courbure de la phrase, / c’est se délecter des jouissances / de l’ombre et du reflet, de la perfection / du trait, du délice de l’écho / et de la résonance ». La vie s’exprime partout dans ce recueil, comme devant ce « tableau » d’un champ de coquelicots : « c’est la vie, ici, / qui se rassemble, se recueille / et surgit, forte, éphémère, / de toute sa vigueur écarlate, / solide et merveilleuse… / fragile, puissante… ». Fragilité donc, autant que force, de cette réalité qui enchante la poète, réalité qu’elle fait jaillir « dans la courbure de la phrase », comme si, semble-t-elle dire, le jaillissement lui-même était poème, ou promesse de poème : « Douce perspective / de toucher, d’émouvoir, d’édifier / dans le rien dans l’air une demeure / flottant au vent… ». Geste du poète qui s’identifie à celui du peintre, émouvoir et toucher, édifier une demeure, peut-être ici constellation de mots dans le silence du vent, où s’élabore le dialogue de l’intime, et, au-delà, de la vie qui est « sève du gouffre ».

 

Car c’est dans la « ferveur de la sève » que s’opère chez Anne Mounic le geste sans fin de reprendre confiance, retrouver continuité, « entretenue sur le fil ténu du / bonheur » confie-t-elle dans l’un de ses poèmes, face au monde changeant de l’altérité : « L’issue / se tapit dans la ferveur de la sève / au cœur des nuées printanières, / et là, / opérer ce rétablissement, / qui restaure l’équilibre / de la confiance », une façon donc de venir reprendre source à l’infini du paysage intérieur. Resourcement qui est œuvre de liberté, liberté que la poète définit comme acquiescement à ses métamorphoses, à « ce « oui » / que murmure la conscience / face à l’inconnu, la vie muette, / cette première fois, au moment / où modestement s’ébauche / le croquis de la silhouette intime, / ombre auréolée de lumière, / tournée vers l’avenir, habitée / du souffle caressant d’un envol, // rayonnante énergie ». On retrouve encore l’idée d’identité incernable, d’imprécision de la silhouette dans la lumière, se projetant vers un avenir à perpétuellement réinventer. L’écriture du recueil est à l’image des pensées qu’il véhicule, fluide, picturale, en constant déploiement à partir d’elle-même. Un authentique bonheur que se laisser aller à la caresse de ces paysages débordants de vie et de beauté qui nous éveillent à notre propre infinitude.

 

©Éric Chassefière

 

Anne Mounic, poétesse, romancière, artiste plasticienne, est décédée le 15 février 2022.

Voir aussi l’hommage sur le site Annemounic.fr d’où est extraite la photo ci-dessus. Pour faire plus ample connaisance avec son œuvre poétique et picturale, à noter aussi un autre site à explorer, qu’elle a animé conjointement avec Guy Braun, son mari, graveur : Atelier GuyAnne.

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, novembre-décembre 2022

 

 

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Créé le 1 mars 2002