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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Été 2024 Annie Briet : Crépuscule de la joie* (Encres Vives,
2024, 6,60 €) |
C’est avec un lever de soleil que
s’ouvre la lecture du beau recueil de Annie Briet, écrit dans le
recueillement nécessaire au travail de deuil. Perte de l’être cher,
étincellement de la mémoire en chacun des lieux et temps où l’amour noua les
vies, images remontant telles des soleils levés sur l’éternel horizon du
premier matin, inexprimable douleur où souvent l’on sent, sous la braise des
mots, percer la joie de l’enfant qui s’éveille, ainsi se présente cette suite
d’instants que la poète livre dans la plus grande simplicité d’expression au
lecteur, qu’elle prend soin, en ce Crépuscule de la joie, d’accueillir dans
la prometteuse clarté du jour nouveau : Le
jour d’hiver se lève Les lueurs roses du soleil lissent le ciel derrière les troncs noirs du petit bois de chênes Une bande gris-bleu au-dessus. Ce rose et ce bleu Couleurs de chambres d’enfants pour une vie qui s’éveille Ici, comme tout au long du recueil,
on est avant tout dans la vie, dans la respiration de la vie, telle celle de
ce feu dans la cheminée qui accompagne au fil de l’écriture le temps de la
mémoire. « Les flammes dans l’âtre / pareilles à des cheveux fous dans
le vent / révèlent le bois / Elles puisent en lui / leur force de vie / Elles
sont la vie / le mouvement de la vie », le feu à la fois révèle et prend
force, l’amour peut-être est bois à la naissance du poème, amour comme flamme
lancée vers le monde : « Une flamme prodigieuse s’élançait / de ton
cœur vers le blé du monde / la musique de l’espace ». Offrande de cette
flamme, peut-être celle de l’écriture, qui tant unissait les vies, à la terre
qui fut première inspiratrice. Près de l’âtre, la chatte dans l’attente du
retour de celui qui n’est plus : « Elle attend des caresses / des
poignées de paroles douces / même quand ma voix / n’est plus qu’un matin de
pluie ». On devine la voix de la pluie, l’écoute silencieuse, « ce
bruit de source de notre vie / inaudible aux autres ». La terre, celle des blés, de
l’éclosion de l’aujourd’hui, mais aussi celle des pierres, ce qu’elles nous
disent, dans leur silence, de la parole ancestrale de l’homme. La poète nous
parle des pierres ramassées au cours des voyages faits à deux, puis rapportées
à la maison, comme autant de témoignages de l’histoire des terres visitées.
« Que peuvent les mots / sur tant d’abîme // Rechercher à nouveau / la
pierre / immuable / silencieuse / la seule à posséder / la parole d’origine /
la seule à m’apaiser », interroge la poète. Ces pierres, ne sont-elles
la part de silence des poèmes écrits sur place, en voyage, dans l’instant de
l’ouverture au monde, comme si pierres et poèmes étaient les deux faces d’une
même parole, concrétudes des mots et de la pierre mêlés en une même vérité à
serrer au creux de sa main ? « Toucher la pierre la porter / c’est
tenir l’éternité dans ses paumes / durant notre vie éphémère »,
peut-être éternité du poème dont à travers la pierre on caresse le silence.
Éternité qui est au cœur de la pierre, qui en est comme le noyau, ainsi de ce
galet « en forme de cœur », comme la poète aimait tant en ramasser
sur la plage pour en consteller sa maison, qui vient à se briser, dévoilant
son cœur longuement travaillé par la mer : « L’une d’elles, / il y
a peu, / m’a échappé / s’est brisée / au beau milieu // Un cœur noir / une
pierre de lave / polie par la mer / pendant des milliers d’années ». Et
c’est, relisant ces poèmes d’ici et d’ailleurs, caressant ces pierres, la communion
avec celui dont on partagea l’amour de la terre et des mots : « Les
doigts de ta main / Les paumes de tes mains / qui ont touché / tant de
pierres / tant de livres / écrit tant de pages // devenus cendres // Dans
l’âtre / les cendres du bois / douces / comme un ventre d’oiseau //
Irréparable blessure ». Et l’on revient au feu, qui dévore le bois sans
en effacer la douceur au toucher, le feu qui commet l’irréparable, mais
n’éteint jamais l’espoir ; et à l’oiseau, qui en ces poèmes accompagne
le rêve : « Et tu n’as cessé / de voguer / avec tes rêves /
poussières d’oiseaux ». Le ciel, les oiseaux, le feu, autant d’éléments
constituant la cosmogonie de la poète, en qui s’affrontent (ou se
joignent ?) douleur de la perte, disant l’éphémère d’une vie d’homme, et
émerveillement face à la nature, en perpétuelle renaissance. Il y a dans la poésie de Annie Briet une grande retenue, une pureté d’expression et de
sentiment qui donne aux mots à la fois transparence et profondeur. Les mots,
dans cette mise à nu de la parole, prennent véritablement pouvoir de
recréation, on nait à proprement parler des mots, comme devant cette forêt
couverte de neige dont on fait poème : Nous aimions tout autant la neige La lente chute des flocons La longue lente descente du ciel sur la terre L’enivrement de la première neige L’enivrement des premières fois Une féerie en forêt Tant de blancheur posée sur l’herbe des prés. Tant de pureté soudain surgie pour se mettre au monde avec les mots Nul atermoiement dans l’expression
de la douleur, des mots forts nourris du bois fort de l’amour de la vie
: « Le ciel coulait de mes yeux / Je marchais / naufragée d’absence /
égarée en moi-même / noix sans sa coquille / sans protection, nue / Ce manque
infini de toi // Vivre et mourir, c’est la terre / Le temps et son poing de
pierre ». La sincérité des mots, la simplicité des images, se conjuguent
ici pour offrir ce verbe puissant et délicat qui dit tant de la douleur, mais
aussi de la force pour la surmonter. C’est ainsi qu’il faut prendre ce
recueil, comme une leçon de vie. Le poème se clôt par une reprise d’éléments
des premier et deuxième poèmes, avec cette strophe
placée en fin de recueil : Matin du monde baigné de poésie par les oiseaux Leur écriture dans le ciel Leur silence l’hiver Splendeur chaque jour renouvelée éphémère, éternelle Le cycle est achevé. C’est ainsi,
entre l’aube et le matin, que s’inscrit ce Crépuscule de la joie, qui en est
aussi, en quelque sorte, l’avènement dans le jeu incessant de l’éphémère et
de l’éternel. Un très beau recueil, à la fois de deuil et d’espoir, que nous
offre là Annie Briet, dans une langue simple et
lumineuse, sans fioriture, disant l’immédiate beauté du monde. * Pour
commander le recueil, contacter l’éditeur à l’adresse encres.vives34@gmail.com ©Éric Chassefière |
Annie Briet
Note de lecture de Éric Chassefière
Francopolis, Été 2024
Créé le 1 mars 2002