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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Novembre-décembre 2022

 

 

 

Colette Klein :

C’est la terre qui marche sous mes pas

(La Feuille de thé, 2019, 20 euros)

 

Lecture par Éric Chassefière

 

Colette Klein, De la fuite du temps, 2022 (peinture exposée au salon d'automne 2022).

 

 

La première partie du recueil, Ce que dit la pierre, est un dialogue silencieux entre la pierre et l’oiseau en forme de cycle, le dernier mot de chacun des dix-huit poèmes la composant étant repris comme premier mot du poème suivant : La pierre Le monde Les rêves L’âme L’écorce Les arbres Le printemps La mort L’enfant L’aimée La caresse Les parfums Les fleurs Les douleurs La paix La transparence Le ciel La neige L’oiseau. La courbe poétique qui s’y dessine, comprise entre les deux termes que constituent la naissance et de la mort de l’oiseau : « Ce que la pierre dit à l’oiseau, / à l’instant de sa naissance, / nul ne l’entend » ; « ce que l’oiseau dit à la pierre / à l’instant de sa chute // personne ne l’entend », est une méditation sur le rapport secret qui unit la terre et le vivant. La pierre, au sens géologique, détient la mémoire du monde, une mémoire qui parle aux éléments de la nature, montagne, vent, ruisseau ; butant sur elle au détour du chemin, nous entendons l’inaudible, « le chant extrême du monde » qui est celui de cette mémoire, de cette cendre de nos ancêtres que nous foulons de nos pas. Mémoire, semble dire la poète, qui ne nous revient qu’aux derniers instants de la vie et nous fait tomber (oiseau en chute que nous sommes alors ?) « sous le drap des rêves ». L’oiseau, dans ces lignes, est pur questionnement, auquel « ni le ciel ni l’enfer ne répondent » ; le désir seul l’anime, sa mort nourrit le temps, il est l’instantané de la vie, ce qui sans cesse renait de l’instant, « le présent déjà oublié / demeure invisible ». Fugacité du vol et de la mort de l’oiseau, éternité de la mémoire et de la parole de la pierre, animent de leurs tensions, antagonistes autant que jumelles, le chant d’amour et de mort qui parcourt ces lignes. Le corps, en quête du « regard de l’ange », s’y dessine, dans un rapport sensuel aux éléments et à l’autre, cela qui de nous-même se mire en l’autre :

 

« L’aimée, derrière le miroir,

est celle qu’on invente pour continuer à vivre,

qui se confond avec l’autel, avec la musique

 

Le sable qu’elle tente de retenir entre ses mains,

s’en va,

au fil de l’eau,

construire des châteaux plus fragiles qu’une caresse. »

 

« La caresse, », ajoute la poète, « c’est un peu de vie qui tremble / à la lisière de l’être , / et qui dénoue le silence … ». La caresse est ici présence au monde, ainsi quand l’auteure évoque ces nuages qui « ne servent qu’à la brise », comme si la brise, pour exister, devait étreindre et emporter. La solitude, chez Colette Klein, est purificatrice, elle donne transparence au visage, permet des échappées à travers l’univers, « de porte en porte », « comme en un labyrinthe ouvert / sur le ciel ». Silence et solitude imprègnent ces poèmes de communion sensuelle et solitaire avec le monde : « Les parfums suscitent, / les images, / les méandres de la folie / qui sauvent de l’exil ». Monde tout entier d’intériorité, de fleuves repliés sur eux-mêmes, dont la lenteur du cours nous protège de la perte et de la dissolution, au prix de la folie, qui en permanence guette.

 

Évoquons maintenant, et tout d’abord, la quatrième et dernière partie du recueil, Ce qui reste de folie, construite sur le modèle de Ce que dit la pierre, avec un cycle de douze poèmes qui s’appuie sur les mots : La lumière Les hirondelles Dissoudre La blessure Le deuil Le chemin Le point de fuite L’invisible Frères Tu ignores La vie. À la première phrase du poème d’ouverture : « Il faut arracher de soi ce qui reste de terre / après la chute / ce qui reste de salive et de sang / après la mort » répond comme en écho dans le dernier poème : « C’est la vie qui déraisonne / Il faut arracher de soi ce qui reste de folie / après la peine ». S’alléger ainsi des scories de la vie terrestre nous permet de « rejoindre / l’autre / perdu dans les bruyères / pour lui rendre son ivresse / et la fixité de la lumière », marchant à sa rencontre, psalmodiant « les dernières notes qui brûlent et montent / comme une envolée d’hirondelles », oiseaux qui ramènent la poète à de lumineux souvenirs d’enfance. Nous dépouillant, nous faisons don d’amour et de lumière à cet autre que notre vie terrestre a tenu éloigné de nous. Nous sommes dans un autre temps, libéré du rythme de ce sablier individuel qui nous enferme et nous éloigne de nos semblables, « vivants et morts / anonymes / jusque dans la nuit qui [les] enlise ». La vie fut une longue quête à l’aveugle, un aveuglement vis-à-vis du monde comme de soi-même : « Tu ignores le parfum qui se dégage / de ton ombre / et du silence qui l’environne » ; le crépuscule, solitude et deuil, fut blessure ; nous entrons, peut-être, dans le temps du poème, celui de la renaissance et de la concorde retrouvée :

 

« Dissoudre un peu de vie

dans les veines du jardin

comme on allume des soleils

dans un bal costumé

 

comme on affuble son regard

de couleurs interdites

 

dire et redire que le poème

est à lui seul un royaume

la paix se partage entre vivants

sans trahison sans blessure ».

 

La deuxième partie du recueil, Ni vivre ni mourir, dit « le rire des campanules / qui boivent à la lumière », la nuit « qui vient, à petits pas, / tombe par excès de silence », nuit qui tout en éteignant la lumière fait lever les étoiles, ne choisissant ni la mort, ni la vie. Nous naissons de la terre et de nos ancêtres qui y sont enterrés, et portons ainsi nos morts en nous : « Les morts savent-ils qu’ils vivent en nous ? / Dans notre corps / Dans les arbres qui grandissent sous nos chairs / Dans nos veines / Derrière nos yeux ».  Le thème de l’arbre, « l’arbre millénaire / qui abrite le ciel et la terre / dans l’intimité de ses blessures », revient à plusieurs reprises dans ces lignes, arbre qui justement croit en terre, ainsi que notre sang, et s’épanouit dans le ciel, comme le font nos yeux. Arbre qui peut se faire éclosion du rêve : « je ne sais si je dors, si je vis. / je suis l’arbre qu’on interdit de toucher, / envahi de lichens et d’ombres millénaires », ou bien encore : « Elle entre dans le premier arbre venu, le caresse de l’intérieur. / Elle s’y endort dans une poussière d’ombre qui la / métamorphose en caillou ». Le passage de la vie à la mort, ou de la mort à la vie, constitue la matière commune aux poèmes de cette séquence.

 

Vient ensuite Ce que me dicte l’absence, dédié à Pierre Esperbé, poète et romancier décédé en 2009, notamment auteur de Narthex (1971), dont un extrait de poème est placé en exergue de l’ensemble. « C’est la terre qui marche sous mes pas », ainsi commence, par ces mots, qui donnent son titre au recueil, le premier poème ; la terre, nous précise la poète, « qui mesure le temps qui me sépare de la forêt, puis de la mort », « tandis que j’avance à ta rencontre, sans jamais parvenir jusqu’à toi, / les poings serrés contre mes yeux ». Ces poèmes sont un chant d’amour à l’aimé défunt, la quête d’une dernière étreinte, de l’instant où pour les deux le temps s’arrêtera, « couchés côte à côte, / sans corps, / sans voix, / mais présents l’un à l’autre ». Un chant tout à la fois onirique et charnel, dans la brûlure réciproque qui consume et l’effacement de la mort porteur d’innocence, le cycle se terminant par ces mots disant l’immensité, comme la singularité, de l’amour : « Et notre amour dissous dans la nuit / nous sépare tout autant qu’il nous unit ».

©Éric Chassefière

 

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, novembre-décembre 2022

 

 

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