LECTURE - CHRONIQUE 

 

Revues papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de livres...

ACCUEIL

ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

 

LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Mars-avril 2023

 

 

 

Miche Cosem : La pierre à ciel ouvert

(Encres Vives/ Lieu n°391, 2020, 6,10 euros)

 

Lecture par Éric Chassefière

Une image contenant texte

Description générée automatiquement

 

Michel Cosem nous entraine par monts et par vaux dans la campagne qui entoure Rocamadour, petit village en bordure de falaise, « cette immense falaise dressée sur l’Alzou, habillée et ornée selon les siècles et les rêves des hommes de fenêtres romanes et gothiques, de tourelles qui se regardent ». Le poète parcourt les alentours de Rocamadour, « le Causse, ses pierres, ses genévriers et ses moutons, ses dolmens, ses gorges et moulins », se perd par ces chemins disparaissant sous les arbres, « sans bagages et chaussé(s) de vérité », semblant inviter, peut-être de l’encre de l’ombre qui vient s’y découper, le promeneur à faire poème de son pas, se dépouiller de ce qui n’est pas présence pure à la nature qui l’environne. Nous sommes dans l’instant, l’éternelle renaissance de l’instant, ainsi de ces tiges printanières qui « ont déjà mis leurs graines dans le futur ». Les mots du poète se confondent avec les semences de la terre essaimées par les oiseaux, le paysage est autant lieu physique qu’espace de mémoire et de mythes : « Les prés dorés donnent fleurs et graines aux oiseaux et les légendes s’en vont dans les chemins secrets de la mémoire et de l’imaginaire liés comme des pétales. Le vent se promène comme une demoiselle transparente portant à la falaise des nouvelles de toujours », comme si toujours existait déjà, si ce temps qui va et vient était un toujours, non pas éternité mais mouvement de flux et de reflux, rythme (« Le ciel danse pour ne pas mourir »). Chemins qui sont de « fulgurance » dans ce murmure d’herbes et de murets : « Il y en a partout qui appellent / Et prononcent les mots de la beauté / Agitent des fleurs passagères / Et des nuages innocents / Pourtant semble-t-il / Tout au bout une chose essentielle attend ». Nombreuses petites voix soufflant la beauté dont le poète nous suggère qu’elles annoncent au terme du chemin l’essentiel, l’accession peut-être au cœur sauvage du causse, quelque lieu où se reconnecter à soi-même et à sa mémoire. Le chemin est incertain, nous dit le poète, il est aussi celui de la vie qui se cherche, et l’on retrouve l’idée que marchant on écrit, qu’écrivant de notre pas, essaimant la parole aux quatre vents, c’est notre destinée que nous forgeons :

 

« Sur le chemin des routes incertaines parmi les cailloux les chardons les quelques lavandes qui jouent avec les mousses l’ombre des corps qui passent respirant l’air sauvage le silence ponctué du chant des tourterelles et ce qu’il est nécessaire de courage pour réfléchir à sa destinée.

On va tous ensemble vers des champs entiers de lettres nues qui disent l’avenir et sourient au passage d’un grand songe dans le ciel où nous sommes tous devenus de petits grains de pollen ».

 

Il faut, lisant ces textes, pour l’essentiel des proses aux phrases longues et sans virgule, se laisser porter par les courbes amples de la pensée et des images qui la jalonnent, évoquant les lignes d’un paysage. La parole semble s’y fondre aux bruissements de la nature, son cours épouser tel un ruisseau les creux entre les hauts rochers, le silence s’y faire image de ces horizons lointains que le poète aperçoit de temps à autre : « Au loin la ligne de crête se confond avec de longs nuages qui dessinent des lacs des golfes des embouchures et prolongent ainsi la beauté du monde ». Les mots utilisés sont simples, tout en clartés et transparences, le poète écoute : « écouter parler les pierres ces blanches silhouettes dans le velours noir du Causse », et parle : « il est grand temps d’écrire toutes les confidences et le goût des chants d’oiseaux », instaurant un dialogue avec cette nature à laquelle on le sent profondément attaché. Une nature en dialogue avec elle-même, comme lorsque ce rapace perché dans les rochers aux formes reptiliennes émet son « cri carnassier » à l’adresse des fées de la rivière « ayant dans leurs flancs tous les mystères du monde et les lois de la pierre », une nature en quelque sorte écosystème physique et spirituel vivant en harmonie, riche de tous les antagonismes et de toutes les alliances, à laquelle on ne peut rien retrancher sans risquer de remettre en question son existence même. C’est dans cette complétude, ce dialogue de la nature avec elle-même, que le poète vient respectueusement glisser sa voix, le paysage de sa voix a-t-on envie de dire, qui se mêle à celui de la voix du monde. Écoutons-le parler au coquelicot :

 

« Joli coquelicot

Qui se balance au vent de Rocamadour

Ne perds pas ta belle couleur rouge

Garde-là précieusement à l’heure où le gris l’emporte partout

Un coquelicot gris serait bien triste

Au bord de ce chemin qui s’avance avec certitude

Entre les pierres et les genévriers »

 

La parole est simple, le symbole évident, c’est de ce chemin-là qu’il faut faire sa vie, de cette fleur-là son étoile. Une profondeur s’ouvre, celle du rouge sur le gris, du ciel sur la pierre, « la pierre à ciel ouvert » que disant cela le poète ramasse et tient au creux de sa main, sentant battre en lui le pouls de la nature.

©Éric Chassefière

 

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, mars-avril 2023

 

 

Accueil  ~ Comité Francopolis ~ Sites Partenaires  ~  La charte Contacts

 

Créé le 1 mars 2002