LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Automne 2024 Michel Diaz et
Lionel Balard Éditions La Simarre, 2024 (25,00€) Dans la lecture d’Éric
Chassefière |
Michel
Diaz nous livre dans ce vaste recueil aux lents méandres de mots et de
pensées, conçu dans l’écoute des sources, qui deviendront ruisseaux puis
rivières, et ponctué de gravures sur bois de Lionel Balard, une méditation
sur la fragilité de l’instant, l’imprévisibilité du chemin, dont le cours
léger de l’eau jaillie de la pierre, et scintillant dans la pénombre des
fourrés ou entre les cailloux de quelque sente étroite, constitue dans ces
pages la métaphore minutieusement explorée. Cette source jaillie de la
pierre, ce chuintement de l’eau qui sourd, une eau nous confie le poète
« déjà liée à la lumière, à la parole commençante, ce balbutiement,
inséparable encore de sa part de pénombre », ce cours encore hésitant à
trouver sa pente, ne sont-ils par ailleurs ceux de la vie, de la parole
balbutiante qui explore, « source qui cherche son chemin / … / à l’orée
du silence et au seuil de la voix », imprévisible chemin qui serait
celui du poème à naître : « une matière souple et fluide,
insaisissable, en calme devenir / dans l’évasement de son souffle, vers cet
inconnu qui l’attend, la trajectoire du poème / pour peu que l’exigence de sa
transparence la maintienne éveillée ». L’eau qui court, scintille,
sinue, rebondit, se fraie passage, se fait au fil des pages matière même des
mots du poète, les poèmes deviennent images fugaces de l’eau, à l’égal des
gravures aux riches effloraisons de noir placées en regard des textes.
Écoutons le poète : son bruit, une caresse d’air, à peine
perceptible, le glissement d’une navigation très lente dans les veines perpétuelle ambulation qui s’abandonne à la
mémoire de son cours, elle est cheminement sans hâte au lieu de sa
disparition ce n’est qu’une brassée de paroles
légères, un chuchotis errant, intraduisible, qui distribue les traces de sa
voix entre les couleurs et les ombres La
forêt ici se fait corps, la rivière qui s’écoule en elle et l’irrigue de sa
mémoire sang qui lui donne vie, mais une vie fragmentée, noyée dans le
bruissement de l’impermanence, « don de la fugitive au perpétuel parler
incertain, qui inlassablement nous dit l’éphémère et le périssable / nous
révélant à chaque instant, au vif des signes, l’inaudible rumeur du
temps ». Il y a dans la poésie de Michel Diaz, cette idée qu’on retrouve
clairement formulée notamment dans son recueil « Sous l’étoile du
jour », d’une errance de l’homme inhérente à sa condition, errance sans
fin dont l’inachèvement même donne sens et substance à sa vie, une
« lente errance, songeuse et parfois éblouie, sur nos chemins
d’imprévisible », écrit-il dans la dédicace à l’exemplaire transmis par
ses soins. Les gravures de Lionel Balard illustrent à merveille cette idée
d’une errance sans limite, avec leurs labyrinthes de motifs blancs et noirs
s’enchevêtrant dans la profondeur de la page, qu’il s’agisse de formes de
fougères s’entrecroisant, d’échelles de reflets s’étageant au long d’une
rivière, d’arbres déployant un incendie de noir dans l’incendie de blanc d’un
ciel, de mosaïques de cailloux et de racines signalant une sente au fond d’un
sous-bois, autant de compositions donnant corps à la déambulation du lecteur
« en ce dédale de ciel dur et de berges muettes » que nous offre le
poète traçant cours de cette eau qui sans fin se dérobe pour renaître
ailleurs. Il
faut se laisser prendre au jeu des méandres et des lenteurs de ces textes qui
cherchent, derrière « l’éphémère et l’impermanence des choses », à
nous faire saisir le miracle de la poésie et de l’accession à l’état de
présence au monde qui en est la condition. Le poète, comme le lecteur, en ces
pages, se font marcheurs, portés par le murmure de ces eaux dont peu à peu
ils parviennent, peut-être, à saisir la source dans l’intégralité de son
cheminement de la naissance à la mort : « le temps n’existerait donc pas
/ telle est l’eau, de loin si troublante et de près si confuse, qui reste là
toujours, mais s’étire et s’échappe comme un chemin, appelé à renaître pour
se défaire dans un murmure de galets, de cailloux et de sable qu’aucune main
ne fouillera jamais ». Comme si le chemin lui-même se faisait écoulement
du temps, que marchant sur le chemin, on atteignait une certaine forme
d’éternité, cette humanité peut-être que nous confère notre obstination à
atteindre un but que nous savons inaccessible, et nous garde de toute
désespérance. Citons Léon Bralda : « Mais
nous marchons dès lors [en quête que nous sommes d’un fugace reflet]
dans la sonorité nouvelle de l’heure qui murmure le monde, appelle un
devenir, nomme à notre encontre ce que sera demain ». Mais laissons
parler Michel Diaz : cette eau, d’aucune forme prise, mais
entre errance et veille miroir de toute impermanence, pour dire la lenteur de
l’indicible, le chatoiement des cendres du fugace et la balafre de son rire clair à
travers ombres et décombres, la vase et le piétinement des pierres, en route
vers l’ailleurs cette blessure irréparable ouverte sur le
vide Blessure
peut-être de l’inachèvement dont nous tirons la force de continuer, explorer
sans relâche ces paysages où se répand la source de vie qui nous a donné
naissance, et qu’il nous faut explorer au plus près de notre être véritable,
si nous voulons vraiment faire poésie, libérer pleinement et sans entraves
cette eau primordiale dont faire, tâcher de faire, le cours de notre vie. Un
beau livre dans lequel se perdre et sans cesse se retrouver entre naissance
et devenir. ©Éric Chassefière |
Note de lecture de
Éric Chassefière
Francopolis, automne 2023
Créé le 1 mars 2002