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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Mais-juin 2023

 

 

 

Gérard Bocholier : Vers le visage

 

(Le silence qui roule, 2023, 15 euros)

 

 

Lecture par Éric Chassefière

 

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C’est par un extrait d’un poème de Jean Grosjean, poète qui l’accueillit à la Nouvelle Revue Française dont il fut chroniqueur régulier à partir des années 1990, que Gérard Bocholier ouvre son recueil Vers le visage : « L’âme entend s’écarter le chantonnement de la vie et s’approcher les pas du silence. Elle pense qu’elle va mourir et qu’elle va peut-être voir vivre le visage. Et déjà elle le voit. ». Grosjean fut un traducteur des textes bibliques, et sa poésie est imprégnée de la présence du divin, d’une promesse d’aube dans chaque nuit qui vient, d’un tremblement du monde qui dit l’infini battement des êtres et des choses. Aube qui peut-être est le visage convoqué par Gérard Bocholier dans le titre du recueil, Visage natal vers lequel au crépuscule de la vie venir se réaccorder, démêler le vrai du faux, retrouver en soi, nous confie-t-il, chemin « Du vrai repos / Du vrai silence ».

C’est dans cette filiation d’une poésie de la sagesse et de l’attention au monde que le présent recueil doit être replacé. D’entrée, le poète exhorte le lecteur à partir en quête de l’éternité, une éternité dont il semble suggérer qu’elle est avant tout plénitude de l’instant, délicate saveur d’une présence au monde à réinventer : « Quittez la chambre / Fermez les livres // L’éternité reste à boire / Comme un vin doux / sur les terrasses ». Et, dès les premiers poèmes, l’idée qu’une lumière brille quelque part, à la fois lointaine et proche, lumière comme un feu qui brûle, dedans et au loin, celui de la vie, car « Ne disparaîtront / Que les cendres // Ce feu en nous / ressemble à l’aube // Rose effeuillée / Sur tes parvis ». Le feu est ainsi au cœur de la rose dont l’effeuillement nous le dévoile, à la fois terme et commencement : « Heureusement / L’étincelle // Heureusement / La source // Tout commence toujours », ou encore : « L’heure est donnée / Lumière offerte // L’heure est reprise / Lumière encore ». Feu qui vacille et ne s’éteint pas de la lampe qu’on porte au cœur de la nuit, lampes inextinguibles disant les longues veilles dans les multiples fenêtres du monde, comme se nourrissant de cette multiplicité même, clarté d’une éclaircie, au plus sombre de la forêt, qui semble attirer le sentier où nous marchons : « Nous voici presque à la lisière / Parsemée de givre / Il ne manque plus qu’un pas / Pour entrer dans la lumière », éclaircie peut-être de l’aube intérieure, celle qui naît de la nuit même où nous nous étions égarés, comme si la nuit était déjà lumière.

La nuit, dans ces poèmes, n’est jamais loin du jour, et c’est précisément dans ce temps bref du basculement de l’un vers l’autre que le poète dit élaborer son chant, comme si le poème ne pouvait prendre naissance que dans le bref instant où nuit et jour s’éclairent mutuellement : « Une tourterelle / Sur la margelle du jour // Les étourneaux déjà / Au bord de la nuit // Juste le temps / De tresser / le fil d’un chant ». Et ce n’est ni dans le miroir, ni dans le livre, « Mais bien dans ce cercle / D’un bleu maternel / Qui s’élargit à la fenêtre // Cette fleur infinie / Où tout a commencé », que le poète vient refermer (ou ré-ouvrir ?) le cercle de sa vie.

La page d’écriture est sans cesse présente sous les mots, miroir peut-être de la main qui pense. Présence physique de la page qui se fait matière de la voix aimée, comme exhumée des profondeurs de la mémoire : « Je touche presque en écrivant / Le grain de ta voix / Enfouie au fond des chambres // Qui donnait aux moires du couchant / Des prémices de paradis », pour la faire annonciatrice de l’aube. Page terreau où faire naître le poème de quelques graines de mots à l’ouvert des mains : « Le cahier devant moi / Quelques graines parfois / Dans ses paumes ouvertes // Je les recueille / Et sème / Sous la très fine averse ». Page mettant l’insaisissable « À portée d’âme », « l’indicible / battant des ailes / Au bord du livre », comme si la page était fenêtre ouverte sur un jardin. Cahier ou livre ouvert, qui est celui que l’enfant n’a pas refermé, pour que d’autres mains, semble dire le poète, se chargent plus tard de le faire : « Sur le chevet / Le livre inachevé / Tend ses deux mains ouvertes // Prêtes pour accueillir / L’ombre chérie / Toujours penchée », disant peut-être, dans l’ultime échange du livre qu’on referme, l’accomplissement d’un amour en quête d’éternité.

La mort est partout présente dans ces textes, elle est le gué qu’il nous faut trouver, « Le gué de la simple mort / Sans peur de couler / De manquer la rive / Où l’enfant d’autrefois me fait signe », le gué donc au terme duquel nous nous reconnectons à nous-même. Idée d’un gué à franchir qui en appelle d’autres : une rivière qui coule (« Le sable du soir descend sous les branches / Déjà il n’y a plus / Que le silence mouvant de la rivière »), un flot qui accompagne (« Quand le vent du soir s’est levé / M’est venue / La pensée des morts // Son onde douce / Autour du cœur »), un cœur qui bat (« Mes psaumes tissés / Autour du mystère // Cherchant le pouls infini »), l’immanence d’une révélation : « Elle était faite / La réponse // Il suffisait de s’approcher / De la voix basse / de la forêt // Des noires antiennes / De la mer », la paix enfin retrouvée sur l’autre bord : « La paix soudain l’embrasse / Dans une musique de vent et de silence // Il ne regarde plus en arrière ». La mort, accueillie dans la paix, se fait renaissance :

 

Poussière sera le nom

Échappé comme un pollen

D’une corolle endeuillée

 

Les murs les jardins suivront

 

La terre aura même haleine

D’aube et d’accomplissement

 

Et parlant à l’être aimé, le poète, déjà couché dans l’ultime chambre, anticipe ses retrouvailles avec l’Autre autant qu’avec l’Un : « Peut-être aurai-je sur ma main / Ta main chérie / Et dans le cœur la rose unique / Épanouie ». L’aube enfin se lève : « Il voit le visage / Face à lui / Qui vit et grandit // Il entend / " Enfin te voici ! / Tu as tant tardé / À me revenir ! " ». Homme enfin renoué à lui-même dans la paix de l’horizon.

Mais Vers le visage est avant tout un long chant d’amour, et nous terminerons cette recension par ce poème qui en dit bien la lumineuse profondeur :

 

Le plus beau

Sans doute est le mot neige

 

Peut-être clairière

Ou visage

 

Et amour

Dans nos deux bouches

Comme un fruit

 

©Éric Chassefière

 

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, mai-juin 2023

 

 

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Créé le 1 mars 2002