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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Été 2024

 

 

 

Georges Drano : Le poème que je t’écris

(La rumeur libre, 2023, 104 pages, 14 €)

 

Une image contenant texte, Police, écriture manuscrite, calligraphie

Description générée automatiquement

 

 

Dans la poésie de Georges Drano, la parole accompagne le poète, tel le chant d’un ruisseau un marcheur, ruisseau caché par la broussaille dont le cours parfois s’éloigne et parfois se rapproche du chemin suivi par le marcheur. Rythme du pas et mélodie du chant mutuellement se cherchent, composant la musique de ces poèmes au souffle délicat, dont au fil de la lecture, du pas de la lecture en reprenant la comparaison avec le marcheur, on fait sienne la discrète respiration. Entendre par les mots du poème ce qui sinon n’est pas entendu :

 

Quand tu reprends un récit

dans la lumière insaisissable

d’une chanson quotidienne

 

Ô cœur léger doux temps

du poème au bord des lèvres

Tu entends ce qui n’est pas entendu

dans l’ordinaire du jour

 

Ce qui pourrait s’éteindre sans bruit

Tu le réveilles au sortir des sentiers battus.

 

La parole ici n’est jamais donnée, il faut la chercher loin en soi-même, là où l’écriture, habitant le grain même de la page, « déplace des ombres / agite des branches / soulève des racines des paroles / Des visages apparaissent ». Le poème, le visage, sont cela même que l’écriture vient interroger, revivifier de toute cette vie qui, grandissant en elle, cherche la lumière :

 

Tu avances avec une écriture

qui te cherche

Dans le retour d’un poème

ou d’un visage.

Pas à pas tu remontes

l’invisible trajet des mots dans les mots

où montent les lunes,

croissent les arbres et les herbes

qui réapprennent le jour

 

« Le poème que je t’écris », c’est le titre du recueil (et son cœur vivant), l’est pour l’amour de l’autre, unique ou multiple, pour le rejoindre (rejoindre l’humain) dans une avancée commune vers l’inconnu, vers la lumière : « Dans le poème que je t’écris / Nul chemin ne revient sur ses pas / Il conduit vers des lieux inconnus / derrière les arbres au-delà des sommets ». 

La première partie s’intitule « Pour te rejoindre ». Il s’agit bien par les mots d’éveiller, mettre au jour une parole déjà présente - mais sous-jacente : « Le poème que je t’écris / réveille les mots / sous la poussière des livres / et tout recommence ». Une parole à l’unisson de cette nature partout présente parlant à l’oreille du poète, comme dans ces mots où l’on sent le souffle d’une brise (un pas ?), les couchant comme elle le ferait d’un herbage vers la maison commune, lieu d’un partage par l’écriture : « Moments de la plume trempée / Où sont les mots penchés / Vers la maison // Ô buissons ensoleillés / Est-ce là notre écriture ? ». Les mots sont ce qui passe et repasse, ce ruisseau, ce vent, cela qu’il faut habiter à deux pour chacun rejoindre l’autre : « Pourtant nous sommes là / dans le peu qui ne cesse de passer / dans les mots », se laisser éclairer par lui : « Nous nous avançons l’un vers l’autre / pour réduire notre part d’obscurité ». La parole ouverte invite et guide :

 

Le poème que je t’écris

seul dans la clarté

tu peux y entrer

il n’est pas un refuge

c’est une parole ouverte

à tout instant

 

Elle s’avance

pour te rejoindre

 

Elle est la première

et la dernière heure

 

La deuxième partie, « Jours ouverts », dit la parole libre, la liberté de se rejoindre comme de se perdre : « Le poème que je t’écris / est d’un autre temps / où nous sommes libres / de nous rejoindre / ou de nous perdre ». Il y a quelque chose à éclaircir, un rythme à habiter : « Demande-t-elle la route / elle la demande / Là où les pas sont sa demeure / et sa voix son abri ». Les mots ont pouvoir de rêve, de faire de la nuit le jour, d’ouvrir de nouvelles voies : « Elle sait que le jour égale la nuit / quand les rêves sont portés / par les mots / Ce sont des commencements / qui se perdent jetés par-dessus bord / dans les éclats du temps ». Et toujours ce chant auquel se joindre par le partage du poème : « Elle entend le ruisseau / Un chant plus qu’un bruit d’eau / Rien n’existe alors / Sinon de longues heures d’attente / qui ne finissent jamais / Temps ouvert qui donne / des rêves et n’efface rien / Le ruisseau parcourt un monde / auquel elle voudrait se joindre ». Par le poème, combattre l’absence : « Que faire pour savoir / où nous en sommes / Sinon inventer une autre langue / où absent se dirait être », redonner la parole : « Le poème que je t’écris / le reconnais-tu / Au-delà de toute apparence / c’est toujours le même / dans sa diversité / Il n’a pas de nom / Il t’appartient / Il te rend la parole / Il tient là où nous pouvons / vivre loin de l’usure des mots », habiter l’être : « Habitons le secret / de l’éclaircie / qui nous traverse / Au jardin ouvert / dans le sillon d’une terre / qui porte en elle le poème ». Le chemin qui s’ouvre est celui de la lumière, du pas tangible vers l’avenir, de l’élévation dans l’immensité : « Un récit qui s’avance / vers des points d’eau / Une nuit où les étoiles / touchent aux branches ».

La troisième partie, « Tout recommence », dit les obstacles, le poids de la douleur, le silence qui envahit les mots, mais aussi l’espoir, cette « parole enfoncée dans la nuit / que les arbres protègent / de leur bruit de feuillage », ces mots qu’il faut à tout prix garder ouverts : « Écrire s’écrire / au-delà de toute présence / avec des mots impossibles à refermer / pour se tenir dans l’insouciance / d’un temps qui s’ouvre », seuls capables de recommencement :

 

Les mots se rapprochent

dans la voix qui soulève

le poème que je t’écris

 

Ils se retrouvent près de toi

où ils ignorent le temps qui passe

Ils ne concluent pas

 

Ils cherchent en quoi avancer

pour franchir tous les obstacles

Ils ne réduisent pas ce qu’ils sont

 

Ils résistent à la montée

de paroles qui s’en tiennent là

et s’effacent

 

Ouverts dans tes mains

ils recommencent

pour tout donner

 

Un recueil d’une grande délicatesse d’écriture et de sentiment, chaque poème pareil à une esquisse, que chaque lecteur a loisir de travailler et prolonger à sa guise, dans le bonheur de faire renaître musique et sens. Reprenons pour terminer ces mots de Georges Drano cités dans l’avant-propos : « J’écris ce que je ne sais pas. La poésie est une écriture toujours recommencée à la recherche d’un langage vivant, ouvert et libre qui se construit à partir de la vie, des rêves et des aspirations ».

©Éric Chassefière

 

 

Georges Drano

Lecture par Éric Chassefière

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Créé le 1 mars 2002