LECTURE - CHRONIQUE
Revues
papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de
livres... |
|
LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Été 2025 SUR UN CHEMIN DE
LUMIÈRE Éric Chassefière : Pour que
parle la beauté Éditions Rafael de Surtis, 2025 (25,00€) Dans la lecture de
Jacques Guigou * Jacques
Guigou : Là, inaltérant L’Harmattan, 2025 (10€) Dans la lecture
d’Éric Chassefière |
LECTURES
CROISÉES DES DEUX ŒUVRES DANS UN ÉCHANGE DE LETTRES POUR
QUE PARLE LA BEAUTÉ Cher Éric, Davantage
que sur une route, Pour que parle la beauté nous accompagne sur un
chemin de lumière ; nous conduit dans une multitude de jardins autant
charnels que mentaux. Émerveillés,
parfois inquiets, nous parcourons avec toi ces instants-paysages d’Orients et
d’Occidents « où joue la grande fanfare de
l’univers » (p.94). Avec
Cendrars et Bach, tes anges tutélaires, nous parcourons le monde, ton monde
où le Musée de Taïpei et le Mas des vignes de
Tarascon ne font qu’un. Ce monde où tous ces lieux d’hommes, de choses, de
terres et d’eaux deviennent un seul désir : l’embrasser. Car,
Éric, c’est en pèlerin ébloui que tu embrasses le monde et que tu nous en
offres la beauté. Une beauté de l’instant, bref et intense, comme le regard
partagé avec cette femme d’Asie ou encore le tremblement d’un mot « furtif comme le silence du lézard » au théâtre d’Épidaure (p.275). Oui,
Éric, tes écrits sur tes routes sont enchanteurs. Et nous revient alors à
l’esprit cette parole de Lorand Gaspar harmonisant
ton chant du monde : « Ton poème est un versant d’ombre et
de lumière où se dessine pour un instant le cours inaltérable du devenir » (Approche de la parole, 2004). Vives
amitiés, Jacques 5 juin
2025 * LÀ,
INALTÉRANT Merci cher
Jacques pour cet écho à ce livre recueil de mes émerveillements de voyage,
dont la publication m’a tant tenu à cœur. Eh oui, c’est bien d’une étreinte
et d’un baiser au monde qu’il s’agit. Incidemment j’ai utilisé ce mot
« embrasser » dans quelques dédicaces du livre faites à des amis
poètes, et tu as donc vu juste. Juste aussi quand tu dis que tous les lieux
du monde ici parcourus n’en font qu’un. Ce voyage, tu l’as compris, est avant
tout intérieur, j’y cherche en poète à donner par les mots beauté aux choses
et aux êtres rencontrés. Il s’agit dans une large mesure d’une re-création du monde, dans cette lumière dont je tente de
l’éclairer de l’intérieur, lumière riche de toutes celles déployées de ma
mémoire, depuis l’intense illumination de l’été provençal dans ce Mas des
Vignes que tu cites qui m’a vu naître et aimer mon premier jardin, jusqu’aux
ramures délicates des reflets lumineux dans l’eau du lac de Hanoï, que je
compare à de fins cils rayant la nuit. Multiples lumières donc qui
s’interpénètrent, de chaque lieu font un lieu nouveau au toucher des mots
qu’il faut fermer les yeux pour écrire. Chemin
de lumière, comme l’est d’ailleurs le chemin de mots de ton dernier recueil, Là,
inaltérant, que tu m’as fait le plaisir de
m’envoyer, « un chant du monde », dis-tu, « tourné vers ce qui
demeure ». J’y retrouve la brièveté, je dirais d’étincelle (à la fois
instant et éternité), des images, et le souci de ciseler toujours au plus
près le langage, comme le sculpteur cisèle la matière de la pierre, qui
caractérisent ta poésie. De la poésie, tu nous dis qu’ « elle
est / émergence d’une parole / événement d’une présence / souffle d’une
voix » (p. 43). Et c’est vrai, Jacques, qu’à chaque nouvelle strophe, ta
poésie est naissance, surgissement au monde, avec toujours le même
émerveillement, le même désir d’embrasser (car toi aussi tu embrasses).
N’est-ce pas ce que nous dit le titre ? Le lieu du poème n’émousse rien
de la conscience qui le regarde, le promeneur que tu es ne se lasse pas, ne
s’habitue pas, le lieu traversé garde aux ciseaux délicats de tes mots
fulgurance d’éternité. Tu sculptes visage de la beauté dans ces
« rochers de la jetée », qui « taisent leur finitude »
(p. 10). Nous sommes dans l’immense, le Tout, « l’immuable » (p.
15), l’inaltérable. Et la
lumière est là, née de la nuit sembles-tu dire, on pense aux premiers temps
de l’univers : « la nuit laisse fuir / sa lumière secrète /
détachés du fond du monde / des éclats d’avenir / déténèbrent
la plage » (p. 11), lumière donc qui se confond avec devenir, devenir
avec aube, aube avec immensité, celle du Mistral balayant êtres et choses,
celle de la mer partout enlaçant l’écoute. Lumière hors des choses et dans
les choses, la couleur des choses, lumière comme matière : « Ce
soir / les Cévennes rousses / descendent au rivage / la mer flambe » (p.
13). Lumière de la tendresse dans la main de la mère caressant « les
cheveux de l’enfant / sur les sables / dansait / la grâce de
l’instant », lumière au sortir de la nuit que le clair des tourterelles
qui apportent l’espoir (p. 21), lumière de ces roseaux flambant dans les
marais que leurs eaux tardent à éteindre (feu de lumière ou de
matière ?) (p. 27). Ce sont ces chemins de
lumière que toi aussi, Jacques, tu ouvres à notre pas émerveillé. Comme
je te l’ai déjà écrit, on ressent le désir irrépressible de dire à voix haute
les mots de tes poèmes, tant ils sont concrets et rugueux, se font eux-mêmes
paysage sous les yeux devenus doigts qui en parcourent le bas-relief. On
voudrait toucher tes poèmes, à la façon de la lumière excavant formes et
ombres de la matrice de cette Petite Camargue native, tant de fois parcourue
et mise en mots. On se fait lumière, en sorte que s’écrive le poème d’ombre.
La parole de Lorand Gaspar que tu cites s’applique tout
aussi bien à ta poésie, Jacques. Nos chemins de lumière par certains côtés se
rejoignent, et c’est tant mieux. N’est-ce pas la meilleure façon de se parler
que de cheminer ensemble ? Bien à
toi Éric. 7 juin
2025 ©Jacques Guigou et Éric Chassefière |
Notes de lecture de
Jacques Guigou et Éric Chassefière
Francopolis, été 2025
Créé le 1 mars 2002