LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Mai-juin 2023 Marc-Henri Arfeux : Raga d’irisation (Alcyone, 2023, 19
euros) Lecture par Éric
Chassefière |
Dans
ce nouveau recueil, Marc-Henri Arfeux voyage entre
amour et silence, dans le plus parfait dépouillement du corps et de l’esprit,
en quête de quelque lieu de neiges éternelles où trouver bonheur et repos. Le
chant qui s’élève du cœur du poème, nous dit-il, est offrande, et le travail
d’élévation à travers la déclinaison en mots du voyage lui-même ici
« prend la forme d’une offrande ». La voix partout dans ces poèmes
est « encens », le chant « cendres et aromates », la nuit
« parfum » : « Je
suis fumée d’un bâtonnet / Qui se libère parmi ce jour en gris et blanc /
Comme lait de cendre douces ». « Ce voyage », nous confie le
poète, « déroule un long Raga d’affirmation, d’imploration, d’attente,
d’espoir et de ferveur puis de célébration et de gratitude, chacune de ses
parts devenant à son tour un Raga singulier, voué, selon la tradition
musicale de l’Inde, aux différentes heures ». Raga (dictionnaire
Larousse) : « Mode
musical dans la musique de l'Inde, caractérisé par une structure déterminée,
des ornements et un motif mélodique spécifiques et correspondant à un climat
émotionnel ». Climat qui, pour le « Raga de nuit », est celui de la
solitude et du repliement sur soi, d’où peut éclore l’amour le plus
pur : « Te voici
seul et clos /…/ Silence est le silence de son silence / En longue
imploration. / Alors naît tout l’amour / En sa blancheur de solitude / Au noir
noyau de la lampe, / Joyau d’envers / Où tu reposes // Abandonné ». Les
ragas d’après-midi eux disent lumière et lenteur du temps, silencieux
déploiement du corps : « Les deux ragas d’après-midi / Déplient les
draps de la lumière / … / La lenteur sera longue / Et lente la nostalgie des
heures, / Comme un danseur frôlant le sol / D’invocations muettes ». Le lieu du voyage est ici autant mental que
physique : une « chambre de voyage », « une barque, / Un
lent couloir d’initiation, / Une île de simple apesanteur / Déliant ses
oiseaux », lieu dont le poète nous suggère qu’il est « une
absence », une place cachée « qu’on ne remarque pas ». C’est
ainsi, à l’invisible du lieu intérieur, que se développe la trame chatoyante
des poèmes, enluminée de nombreux motifs floraux et animaux : « La
nuit est un parfum d’offrande / Et le tilleul écoute en mon sommeil / Le
lumignon du merle noir », ou : « Écoute au
cœur du temps fermé / Comme un rosier de nuit. / Écoute l’inspiration du long
silence », ou encore : « Des portes tournent et se
souviennent, / Paupières de seuils dont la rose est si noire / Qu’on ne sait
pas qui la respire ». Le poète lui-même prend respiration d’un feuillage
qui le traverse, et lui redonne jeunesse et force : « Tout un
feuillage s’épanouit en moi, / Et ma cage thoracique / S’écarte / À son
passage. // Il se souvient. / Par lui, je redeviens chant premier d’avant
jour / Dans la fraîcheur du temps ». Le déroulé des deux journées de célébration
nous est fourni par le poète : « D’un premier soir marqué par la
veillée du vide et de l’attente jusqu’à un second soir qui révèlera toute la
douceur du pays de l’âme, ce méditant doit accomplir une redoutable odyssée
nocturne vers le plus nu de l’être et se confronter aux présences qui le
hantent, puis trouver une promesse dans la fragilité d’une aube et suivre
avec un amour croissant la longue ascension du jour vers sa maturité
d’après-midi et les hauteurs immatérielles du second soir ». On ne
saurait reprendre dans le détail le cheminement du poète depuis l’aride soir
de la quête initiale (« La nuit est ton seul nom, / Phalène aux lèvres
de désert, / Formant la rose nouée de vide, / Brûlante et dure comme un galet
/ Tombé du temps. / Tu es cristal disséminé / Cherchant le prisme de son
chant / Selon l’amour, // Blessant visage. ») jusqu’à la libre échappée
du second soir vers les hauteurs irisées de l’être (« Danse enlacée de
l’air, / Écharpe d’altitude / Montant par le respir
du vide. // Annapurna est ton bonheur, / Sourire de neige ultraviolette /
Irisant l’invisible. »). « Dédale est l’immobile où tu
deviens », écrit le poète, faisant ainsi labyrinthe du seul devenir, de
cette musique qui se déploie de toutes ces formes en métamorphose, par
exemple cette lampe : Ma lampe est un murmure Sans mots. Je l’écoute incanter Le cœur de nuit flambante Et la naissance D’un grand rosier Fragile et fin comme un cristal. Voyage infiniment solitaire que cette lente
élévation du « Je suis », « à présent si seul / En son
voyage, / Couché sous la fraîcheur d’astres inconnus / Dont tu ne sais s’ils
sont chemins », cheminant d’ailleurs en ailleurs (« Chaque ailleurs
est patience / Ajoutant un pétale / À la beauté du temps »), qui au
premier matin interroge l’identité de son amour : La voix dans l’aube enfin Psalmodie jusqu’au sang L’intemporelle angoisse de la beauté. Les hirondelles caressent les yeux, Comme le feuillage mouillé de cet éveil Parle à ma vie recomposée. Mon Amour, qui es-tu ? Le poète en sa lente métamorphose se fait
démiurge : « Le monde ouvert / Tourne en ta paume. // Le bleu
parfait d’après-midi / le lisse et forme un seul immense / Autour de la
lumière », fort d’une joie nouvelle : « Et toi, dans la maison
du souffle / Et du regard ouvert, / Tu es jardin d’apesanteur / Souriant au
chagrin ». Le voici bientôt sur les hauteurs du monde, retrouvant,
comprend-on, la joie pure des matins d’enfance : Mantra pureté de l’air Devenant voix Par le tambour de l’oiseau rouge Sur les pétales du temps. Te voici neige à l’unisson des seuils Qui font offrande à tes pas nus Comme un matin d’enfant. Le
poète, au terme de son voyage intérieur, confie dans le dernier poème :
« Je touche un pays, / Comme on rencontre une joue dans la lumière. / …
/ Il n’y a rien / Que cette offrande indéfinie de pauvreté première // Où se
lit un visage ». On comprend que c’est de son humanité qu’il fait
offrande, et que le visage qui se lit dans l’offrande est celui de cet Amour
qui lui est enfin révélé. Un beau livre tout de sensualité et de spiritualité
mêlées où venir longuement goûter à la substance des mots. ©Éric Chassefière |
Note de lecture de
Éric Chassefière
Francopolis, mai-juin 2023
Créé le 1 mars 2002