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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Mai-juin 2023

 

 

 

Patrick Lepetit : Écho de la lumière

 

(Sémaphore, 2022, 12 euros)

 

 

Lecture par Éric Chassefière

 

 

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Écho de la lumière est un appel à renouer avec la source, avec cette lumière originelle dont est né l’univers, et dont l’écho affaibli, peut-être le fameux rayonnement de corps noir fossile, « faible soupir éteint », serait aussi celui de l’oubli dont nous venons renaître, nous faisant nous-même image inversée de l’univers, corps-univers hébergeant « au creux du front / l’oubli en ses affuts sans fond », « Corps qui se dit et se délie au fil du souffle, / au rythme obsédant des tarentelles, / Profération, profanation / et fragments discontinus d’un discours d’angoisse ». On pense bien sûr au souffle de Brahma et à la théorie de l’univers pulsant. Se faire ainsi soi-même univers, à la fois naissance et respiration, « Au frêle fracas des vertiges, / saluer d’un geste aussi las que majestueux / la précession des équinoxes, / leurs changements au gré des marées / selon la lune et le grand soleil intérieur », rallumer en soi le feu immémorial de la vie, « Vertige et puissance / au-delà du bleu passé de l’horizon, / raviver le regard pour éclore à la joie / dans la beauté des dialogues ultimes ». Comment dire mieux la joie de l’étincelle originelle, à sans fin raviver au creux de soi, qu’à travers ces mots évoquant l’océan primitif et la pâle germination des premiers organismes dans la lumière diffractée des fonds marins : « débordements d’une allégresse / issue de cette étincelle d’avant le devenir / qui fend la nuit organique et son ciel d’eau. / Inverser les signes / dans les palpitations de l’espace, / puis noyé sous l’éblouissement, / se dessiner en filigrane / dans le rayonnement fuligineux de la matière / et la brève accolade de l’aube » ?

 

La forme du recueil lui-même, composé de 34 poèmes de 13 vers chacun, présentés en format centré, chaque poème reprenant comme premier vers le dernier vers du poème précédent, évoque d’ailleurs la structure de l’ADN, chaque séquence poétique, tel un nucléotide, partageant une liaison avec ses voisines. Expliciter la chaîne des 33 liaisons donne une idée de la diversité des enchaînements verbaux qui régissent la genèse de Écho de la lumière ; les voilà :

 

À contre-vent des hystéries...

...Par ces temps d’extravagances...

...À l’aune de l’homme de demain...

...Au charisme des lucioles...

...Vanité de la voix...

...Ni tout à fait au monde...

...Dans la beauté des dialogues ultimes...

...La région invisible du spectre...

...À la grâce des voltigeuses...

...Juste et parfaite ronde des ombres...

...Chaste idylle et haute magie...

...Au fil d’une topographie insensée de la pensée...

...S’épanouir à la marge...

...L’absence interroge...

...Se défaire de l’illusion d’être...

...Oracle des morts...

...Affronter l’irruption du sens en ses chimères...

...Chercher l’improbable équilibre entre soi et le monde...

...Exalté, resplendir enfin...

...Enfant des détresses et des veilles...

...En fine résonance avec l’évidence...

...Obscur pressentiment au balbutiement de l’écoute...

...Brève accolade de l’aube...

...Interroger le réel avec pudeur...

...Dans l’intensité du bleu...

...Faire œuvre en contrechamp...

...Montrer la vie, fragile, térébrante...

...Dans le hasard du geste...

...L’avers des catalepsies...

...Paramétrage de l’oubli...

...Jusqu’à forcer sa propre voix...

...À perte d’haleine...

...Raviver l’esprit des origines...

...Et se laisser rêver.

 

L’homme-univers est bien sûr autrement riche, dans sa diversité et ses passions, que le cosmos-univers physique, et c’est cette chimie complexe que Patrick Lepetit expérimente avec sa séquence de poèmes abrupts et denses, qui paraissent sculptés à même le corps de la lumière.

 

Nous entrons avec ces poèmes dans un monde à mi-chemin des profondeurs humaine et cosmique, de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, du profondément ailleurs et du profondément ici. Tout y est énigme et questionnement : « À l’heure des parenthèses enchantées, / de fausses confidences en confessions factices, / s’avancer à l’achevé des obsessions / et ritualiser des rumbas l’ardeur, / quand à la croisée des absences / l’énigme de l’espace épouse / la vanité de la voix ». Il faut se laisser prendre au flot abrupt des mots, aux précipices des images, à la beauté des silences comme des éruptions du sens, ou du non-sens. On oscille entre le sublime (« vêtu de la simple splendeur de sa peau / ou cavalier seul au retour du soleil, / … / partager la force des météores / et verser sur la paille du jour / le feu qui brûle sans être vu ») et le tragique (« Anatomie spectrale des songes, / à crier en aliénés hallucinés, / à réparer l’intime / quand la lune entre incarnation et récit / s’éclipse ou réverbère l’éclat des sensations »), la colère (« Tendre l’oreille, écouter en soi monter, / … / les rages à saisir à bras le corps, / l’insoupçonné sous son risque ») et la tendresse (« Gisant dressé en figure sèche / … / entre rouille et lichen, / amertume et tendresse, / échapper au nombre et flotter / dans la nuit des temps mêlés, / la région invisible du spectre »). Nous sommes ici dans notre corps, à l’image du cosmos, autant matière que lumière, c’est dans la partie du spectre de la lumière que nous ne percevons pas, au caché peut-être du rêve qui mélange les temps et de la mémoire qui le nourrit, que nous nous retirons pour échapper à la corruption de la matière. « Excentrique, exténué, échevelé, / chercher l’improbable équilibre entre soi et le monde », nous confie le poète, être ainsi à la fois au monde et hors du monde, chercher cette lumière, cet oubli, qui se terrent au fond de nous à l’affut de la vérité de l’instant, reconnaître la part d’indéterminé du monde (ainsi, peut-être, que nous l’enseigne la physique quantique), fuir l’univoque et le surdéterminé, « Délimiter l’indéterminé à fleur de souffle, / ne pas s’obstiner à hanter le temps, / mais explorer les peurs bleues, / les brumes montées de la terre / ou l’obscur insondé de la pensée, / et décaler le regard / pour, exalté, resplendir enfin ». Resplendir, donc, devenir soi-même étoile, « Rue de nuages en persistance rétinienne, / la fêlure aux lèvres, tout donner, / s’embraser dans l’éternel présent, / poétique et insolent / au sein du cercle sorcier de la chair ». Chercher en soi, dans les profondeurs vertigineuses de sa nuit intérieure, l’harmonie retrouvée, le flamboiement rédempteur du verbe mariant les astres, accepter de la vie fragilité comme douleur :

 

Faire œuvre en contrechamp

des pandémies,

nuit et jour vigilant,

dans l’efficacité des combats essentiels et incessants,

futurs flamboiements de langage

à bousculer les grâces perdues.

Lune rouge et soleil noir

sur la voie royale des larmes,

traquer en soi les sels d’harmonie

là où se marient ordre et entropie

au franchissement des ténèbres.

Hiérogamie stellaire,

montrer le vie, fragile, térébrante.

 

Panser ses blessures au baume de la dérision : « Destination péril et cicatrices à vif, / les astres favorables à l’envers du réel, / se faire littéral au fil de l’inespoir, / tranchant et burlesque / au néant de la farce », retrouver aux marches du printemps harmonie et souffle : « Ombre avant l’entracte, / entendre monter un chant / d’hirondelles à faire le printemps, / héritières et veuves du vent / dans l’harmonie de la pluie. / Pathétique et sybillin / au gré des courants sagittaux, / ouvrir les portes dérobées / à perte d’haleine », répondre à l’appel de l’infini, se donner à la mer, s’y abandonner riche de vie et de mémoire :

 

Accords sourds, souples arabesques,

quand retentit, cosmique, l’appel au plaisir,

questionner en leurs flux et magmas

la nature des énergies,

frayer avec le large,

puis, lesté de longue et vive mémoire,

se libérer de la caresse du ressac.

 

C’est à cette quête, aux confins de notre cosmos intérieur, que nous convie le poète, sur ce chemin dont il nous dit qu’il est celui du renoncement à « l’illusion d’être », au bénéfice, peut-être, de la conviction d’appartenir à ce grand Tout de l’univers qu’il faut faire nôtre pour accéder à la vraie connaissance : « Ethéré pourtant, intempestif, / s’accorder un temps de résilience / entre arrangements trompeurs de mots / et silences impromptus, / lignes de fuite ou perspectives bouchées, / transparences subtiles. / Puis, de lumières dans la nuit en nuits sans lumière, / se défaire de l’illusion d’être ». Reprenons, pour terminer cette chronique, le court commentaire livré par Bruno Geneste sur la quatrième de couverture : « Un texte d’une grande force qui creuse un sillon dans la lumière, au plus près des lignes et des contours invisibles que le poème fait naître au fur et à mesure de l’avancée ».

 

©Éric Chassefière

 

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, mai-juin 2023

 

 

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Créé le 1 mars 2002