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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Printemps 2025

 

 

Bruno Geneste :

Petite histoire du Festival de la Parole Poétique Sémaphore

 

Revue Sémaphore, février 2025 (17,00 €)

 

Note de lecture de Éric Chassefière

 

Une image contenant texte, journal, capture d’écran, Police

Description générée automatiquement

 

 

La 20ème édition du Festival de la Parole Poétique Sémaphore, organisé par la Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé, vient tout juste de se tenir, du 28 février au 3 mars, à Moëlan-sur-Mer. Un festival dédié cette année à Joan Baez, militante des droits civiques aux côtés de Martin Luther King et de l’écrivain afro-américain James Baldwin, et dont l’engagement auprès des plus défavorisés a été constant tout au long de sa vie. Une édition placée donc, comme les précédentes, sous le signe de la résistance. Une quinzaine de poètes invités pour la fameuse Jam session poétique du vendredi soir au centre culturel L’Ellipse de Moëlan-sur-Mer, les lectures à la Chapelle Saint-Jacques Clohars-Carnoët du samedi après-midi, et celles de nouveau à l’Ellipse du dimanche après-midi. Le samedi soir, comme toujours, un concert à l’Ellipse, ici en hommage à Joan Baez. Le tout entrecoupé de performances données par certains des poètes invités ou par les poètes invitants : Paul Sanda, Président de la Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé, et Bruno Geneste, fondateur du festival et qui en est le directeur artistique. La musique est partie intégrante des lectures et performances, avec des musiciens tels que Loran Ran ou Arno Marquet.

Le festival débute le vendredi soir par la remise du prix Xavier Grall, cette année à Catherine Urien. La traditionnelle conférence du dimanche après-midi, qui portait cette année sur Joan Baez, ses engagements et ses chansons, était donnée par Patrick Lepetit et Jean Azarel. Ce dernier et Louis Bertholom animaient les lectures. Sans oublier l’exposition à la Chapelle Saint-Jacques Clohars-Carnoët, dont le vernissage a lieu le dimanche matin, proposée cette année par Stéphane Cariou.

Pour marquer les 20 ans du Festival, une lecture d’un long poème de Xavier Grall, intitulé « Incandescences » (extrait de La sône des pluies et des tombes) a été faite par cinq anciens lauréats du prix à l’occasion de sa remise à Catherine Urien. En voici le début :

 

        Feux de mer, feux de terre                                            

        terre de feu, vie de feu

        danse ! danse ! danse !

        aime ! brûle ! brûle ! aime !

 

Brûlent les phares dans les démences éoliennes

feux chantants, antiennes

Ouessant ! Penmarc’h ! Sein !

baou ! baou ! baou !

Lumière du monde qui chaque nuit renaît

dans le partage des eaux

âmes des trépassées mes beaux navires

allez ! allez ! allez !

car nos morts sont des feux

feu mon père

feu mon frère

mes feux errants

feux de Bretagne aux confins des paradis

brûlez ! brûlez ! brûlez !

Phares plantés, pleine houle

menhirs couronnés de lueurs

pierres debout dans le buisson des vagues

phares, feux fraternels

pour les naufragés s’il vous plaît

brûler ! brûlez ! brûlez !

et pour les vivants s’il vous plaît

envoyez votre musique de flammes sur les cargos perdus

 

        Feux de mer, feux de terre

        terre de feu, vie de feu

        danse ! danse ! danse !

        aime ! brûle ! aime !

 

Quand ils passaient le Horn                                                       

ils juraient Dieu qu’ils n’y retourneraient plus

ils enverguaient nuit et froidure

avec des pauvres mains pleines de gerçures et de gelures

les albatros haubanés chantaient le Libera

et comme c’est triste un albatros qui meurt !

froid ! enfer !

enfer froid !

transis ! transis ! transis !

damnés seront transis

froide haine ! froide peine !

le cœur en glace, l’esprit gelé 

pas de flamme dans l’enfer

ô l’éternelle bise !

 

Passé le Horn infernal

les marins retrouvaient l’épiphanie

des phares et des balises

et le Chili venait à eux comme une femme

Valparaiso !

finie l’obsession de l’iceberg à blanche gueule de Satan

finie l’angoisse,  finie !

bonjour paradis

et ils dansaient aux bras des araucanes

la chaude, la marine, la bonne chanson

 

        Feux de mer, feux de terre

        terre de feu, vie de feu

        danse ! danse ! danse !

        aime ! brûle ! brûle ! aime !

 

[…]

 

C’est dans ce contexte qu’a été édité à cette occasion un numéro spécial de la revue Sémaphore conçu par Bruno Geneste racontant la « Petite histoire du Festival de la Parole Poétique Sémaphore », qui retrace les vingt éditions successives du festival, avec ses poètes invités, ses lauréats du prix Xavier Grall, ses musiciens, ses artistes exposés à la Chapelle, ses prolongements, notamment en direction des enfants et des jeunes pour les sensibiliser à l’écriture poétique, ainsi que le décrit Isabelle Moign, ses témoignages, par la reproduction de lettres manuscrites de poètes ou d’artistes, le tout entrecoupé de textes des poètes ayant participé au festival. Un document d’une centaine de pages d’une grande richesse, traduisant bien la luxuriance verbale et musicale de cet événement réellement exceptionnel.

Mais laissons Bruno Geneste, créateur et directeur artistique du festival, nous conter sa genèse :

« Tout débute en 2005, je venais de cesser mon activité d'éditeur à l'enseigne des éditions Blanc Silex. L'idée d'un festival en pays de Quimperlé va alors vite se concrétiser, avec cette volonté de diffuser une parole dans un lieu et avec une formule qui ouvriraient des perspectives nouvelles, une parole loin des discours superficiels de la pseudo-culture. Va ainsi s'ouvrir un champ d'exploration des univers poétiques dans leurs plus grandes diversités. C'est donc avec ma compagne, la comédienne et poète Isabelle Moign, que nous allons créer, avec ce festival, un vaste espace poétique. C'est avec l'ami peintre Marc Bernol et Jean Stère, alors vice-président du cinéma Le Kerfany, que nous prendrons rendez-vous avec le directeur de l'Ellipse, le nouveau centre culturel de Moëlan-sur-Mer. Une 1ère édition du Festival de la Parole Poétique est actée, elle aura lieu, ainsi que les éditions suivantes, au début du mois de mars, dans le cadre du Printemps des poètes. Plus tard, pour des questions de liberté de choix de la thématique, le Festival se déroulera en lisière de cette période consacrée à la poésie. La Cocopaq (communauté de communes du pays de Quimperlé) vient tout juste d'obtenir des compétences dans le domaine culturel. Nous rencontrons Françoise Nigen, la responsable du service culturel, et Gaud Coatanlem, directrice du réseau des bibliothèques. Une aide d'un montant de 1 500 euros est votée pour l'organisation de ce premier opus. Très vite, je prends contact avec Alexis Gloaguen, poète et écrivain, qui réside alors dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, lequel acceptera d'être le premier invité d'honneur de notre manifestation. Ce dernier creusera le sillon originel, ouvrira le champ à la multitude et au merveilleux champ du divers. Désormais, poussé par cette volonté de faire rayonner notre festival de poésie en Bretagne, un long travail de mise en contact avec d'autres structures, semblables à la nôtre, va commencer. Des contacts, avec les scènes poétiques en France et à l'étranger, seront vite pris. Nous ne sommes qu'à l'orée d'une aventure exceptionnelle autour de laquelle va se former une équipe de bénévoles composée de personnes à l'énergie intarissable. »

Cette aventure va se construire dans l’esprit de résistance, ne reniant en rien la tradition, mais au contraire la magnifiant, si bien exprimé par Paul Sanda dans sa préface :

« Grâce à ce succès de vingt années, et dans la perpétuation de notre réputation de savoir-faire depuis l'an 2005 donc, le Festival de la Parole Poétique Sémaphore montre, et démontre au tout public - en progressif éveil - que la poésie est plus que jamais un mélange subtil d 'innovations et de traditions, de révoltes, mais aussi d'hommages rendus aux maîtres du passé. Le poète, pour créer, doit inévitablement, en premier lieu, se trouver des racines, des écritures à apprécier et à imiter. Puis, dans l'élaboration progressive d'un langage propre, se démarquer petit à petit de ceux qui l'ont précédé, jusqu'à témoigner d'une œuvre nouvelle, qui autorise une voix véritablement unique et personnelle. Si l'on en croit les grandes expirations dans l'histoire de l'art, soulignées par des rébellions parfois violentes contre la coutume, la poésie ne se conçoit vraiment que dans une certaine rupture. Rupture avec la mode, avec ce qui est en vogue, avec la bonne pensée, et avec les honneurs d'une société qui ne récompense jamais facilement les vraies avant-gardes. Et si, en son temps, le mouvement Dada se mua en incontestable champion de la provocation – et l'on se rappellera alors ici cette sentence péremptoire de Tristan Tzara : « Tout produit du dégoût, susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; protestation aux poings de tout son être en action destructive : dada ». Car, écrivait Daumal, « C'est souvent le sort - ou le tort - des poètes de parler trop tard ou trop tôt ». Le lieu de la parole poétique vraie, en festival, en revue, en recueil, ou en chant, porte profondément en lui-même le germe de la dissidence. Non pas pour le plaisir de la contestation seule, mais en raison de la nécessité pour le poète le plus authentique de bousculer les clichés de la pensée, l'enfermement, l'austérité et la sécheresse de certains fonctionnements acquis capables de détruire inexorablement la véritable liberté. La poésie n'est pas un espace d'évasion dans le délire onirique, ni un moyen de gravir les échelons d'un pouvoir fonctionnarisé quelconque, elle se fonde sur le désir du merveilleux dans le réel, dans le besoin de vivre absolument l'intensité du présent dans le plus de réalité possible, comme le voulait intensément André Breton. »


 

 

Pour se procurer ce numéro, écrire à : Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé, 2 quai Surcouf 29300 Quimperlé. Joindre un chèque de 17 € + 4,72 € de frais de port, soit 22 €.

 

©Éric Chassefière

 

 

Note de lecture de

Éric Chassefière

Francopolis, printemps 2025

 

 

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Créé le 1er mars 2002