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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Hiver 2024

 

 

 

Note de lecture par François Minod :

 

Mosab Abu Toha :

Ce que vous trouverez caché dans mon oreille.

Traduit de l’anglais (Palestine) par Ève de Dampierre-Noiray.

Éditions Julliard, octobre 2024 (192 p., 20 €) 

 

***

 

Extraits du recueil

 

Une image contenant texte, affiche, Police, Couverture de livre

Description générée automatiquement

 

Mosab Abu Toha

 

« Fabriquer des poèmes avec des éclats de verre, de bêton, de barres métalliques, ce n’est pas facile. Parfois mes mains saignent. Mes gants prennent feu chaque fois […] Écrire de la poésie est un acte d’existence. »

Poète, universitaire, bibliothécaire, Mosab Abu Toha est né en 1992 au camp de réfugiés d’AL-Shati, qui veut dire « le camp de la plage » à l’ouest de la bande de Gaza. Il a étudié et travaillé à Gaza. Diplômé de littérature anglaise, il a créé la première bibliothèque anglophone à Gaza – la bibliothèque El SaÏd. Il vit aux États-Unis où il s’est exilé après le 7 octobre.

Le premier livre publié en français, Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, a été publié en avril 2024 après sa publication en anglais en 2022 sous le titre Things You May Find Hidden in My Hear.  

Ce livre raconte la situation à Gaza avant le 7 octobre. « Malheureusement, selon l’auteur, dans un entretien à la maison de la poésie, ce qu’on observe, c’est que les mêmes choses sont en train de se répéter, les mêmes personnes sont en train de se faire tuer, de se faire pulvériser dans la même terre. »                           

Mosab Abu Toha a commencé à écrire en 2014, lors des attaques de l’armée israélienne qui a tué trois de ses amis. Il les mentionne dans cet opus et dans son dernier recueil écrit en anglais Forest of noise.   

Avant d’écrire de la poésie, il a posté sur Facebook « en tant qu’être humain qui observait, qui regardait autour de lui, et non en tant que poète. Je ne me définissais pas à l’époque comme poète mais comme un enfant qui découvrait la vie autour de lui, qui apprenait à ramper, à marcher à quatre pattes, puis à marcher, à tomber, à courir et ensuite à courir pour se sauver parce qu’on lui courait après. »

La poésie de Mosab Abu Toha est essentiellement écrite en anglais « parce que c’est ma façon de raconter au monde extérieur ce qui se passe, le génocide qui est en cours. »  La poésie est pour lui un médium artistique qui l’aide non seulement à réfléchir, à appréhender ce qu’il vit mais aussi à la partager avec les autres.

Mosab Abu Toha se fait le porte-voix des Palestiniens. Il explore les identités éclatées « dans un pays qui n’est plus que dans les cratères. »

« Dans l’univers où nous projette le recueil, la vision poétique côtoie la matière du quotidien pour la transfigurer ou la laisser exister telle quelle : brute, tranchante », écrit la traductrice dans sa note préliminaire.

On ne peut pas, en tant que lecteur, être insensible aux mots du poète, à sa voix qui nous convoque au plus près du drame que vit son peuple mais aussi à la beauté dont sont empreints ses textes et sa façon d’évoquer les objets du quotidien, le lien charnel avec la nature et l’amitié envers ses proches.

L’écriture de Mosab Abu Toha insuffle dans les interstices du texte une forme d’humour, de légèreté, d’ironie, parfois, comme si le poète souhaitait dire que face à l’insoutenable, l’humour était un antidote nécessaire.

©François Minod

 

 

Extraits

 

Ce que vous trouverez caché dans mon oreille

Pour le Dr Alicia M.Quesnel

 

Quand vous m’ouvrirez l’oreille, faîtes-le

très doucement.

La voix de ma mère persiste encore quelque part.

Sa voix est l’écho qui m’aide à retrouver l’équilibre

Lorsque j’ai des vertiges à force d’hypervigilance.

 

Vous trouverez peut-être des chansons en arabe,

Des poèmes en anglais récités à moi-même

Ou le chant que j’adresse aux oiseaux gazouillants

Dans la cour.

 

En recousant la plaie, n’oubliez pas de remettre

toutes ces choses dans mon oreille.

Mais surtout remettez-les en ordre, comme vous

rangeriez vos livres dans votre bibliothèque.

                         II

Le bourdonnement du drone

le F-16 rugissant,

les hurlements des bombes lâchées sur les maisons,

sur les champs, sur les corps,

Le fracas des tirs de roquette au loin :

retirez tout cela de mon petit conduit auditif.

 

Vaporisez la plaie du parfum de vos sourires.

Injectez le chant de la vie dans mes veines pour me réveiller.

Battez doucement le tambour pour que mon esprit

danse

avec le vôtre,

chère docteure, jour et nuit.

 

 

Éclats d’obus cherchent rires

La maison a été bombardée. Tout le monde est mort :

les enfants, les parents, les jouets, les acteurs à la télévision.

Les personnages dans les romans et les poèmes,

le je, le il, le elle. Plus aucun pronom. Pas même

pour les enfants qui l’année prochaine apprendront

les catégories grammaticales.

Les éclats d’obus volent dans l’obscurité,

cherchent les éclats de rire de la famille

cachés derrière les murs

défigurés et les cadres ensanglantés.

La radio s’est tue. Les piles ont brûlé,

l’antenne est détruite.

Même l’animateur a souffert lorsque la radio

a été touchée. Et nous, en attendant la bombe

tomber, nous nous sommes jetés

au sol,

chacun comptait les autres autour de lui.

Nous étions sains et saufs, mais nos cœurs

Ont encore mal.

 

 

Sept doigts

Chaque fois qu’elle croise quelqu’un, elle enfonce

ses petites mains dans les poche de son jean

et les remue comme si elle comptait

des pièces.  (Elle vient de perdre ses doigts à la guerre).

Puis elle s’éloigne,

le dos voûté,

comme un petit nain.

 

 

Déplacé 

à la mémoire d’Edward Said

Je ne suis ni dedans ni dehors.

Je suis entre deux.

Je ne fais partie de rien.

Je suis l’ombre de quelque chose.

Au mieux,

Je suis une chose qui n’existe

pas vraiment.

Je suis en apesanteur,

un grain de temps

à Gaza.

Mais je resterai

là où je suis.

 

Retiens ton rêve

Ferme les yeux

et

marche sur l’océan.

Trempe tes mains dans l’eau

et attrape les mots de ton poème.

 

Écris les mots sur

les nuages.

Ne t’inquiète pas,

ils retrouveront leur terre.

 

Ouvre les yeux dans la nuit,

La mer n’est plus bleue.

 

Cherche autour de toi,

choisis parmi les gouttes

de pluie

tes signes de ponctuation.

Mets ton maillot de bain,

et plonge sous la mer

pour y trouver le titre

de ton épopée.

 

Embarque

sur ta patrie mouvante

ton bateau.

Va te coucher,

et dans ton sommeil,

commence à apprendre

ton rêve.

 

 

Note de lecture par François Minod

Francopolis, Hiver 2024

 

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