LECTURE - CHRONIQUE
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livres... |
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Autome 2025 Serge
Núñez Tolin, Langue qui me commence. Éditions Rougerie, avril 2025 (75 p.,13 euros) Une
lecture par Guénane Cade |
Selon notre mélopée intérieure, un
recueil de poésie nous parle toujours un peu, beaucoup, rarement pas du tout.
S’appeler Serge Núñez Tolin oriente le titre.
S’allume alors l’avant-propos, une sorte de guide avec son mot silence
qui lève le voile sur le nom de l’auteur. S’il vous est arrivé de répéter
infiniment mon nom mon nom, double palindrome, vous ouvrirez aisément
la porte à ce livre. Se souvenir, laisser le souvenir passer, repasser par le
cœur, par tout le corps, sans exclure qu’il puisse vous secourir. Oh,
quelle douleur la vérité, oh, quelle douleur le mensonge ! Disait
Federico García Lorca. Pour Serge Nuñez Tolin, il aurait pu ajouter ¡Oh,
que dolor el silencio
! Dans les mots, cet impossible
silence, le tien. Ton silence. Padre. 1936 en Espagne, la dictature tue el
abuelo, le grand-père. Silence. Abuelo tu. Mais, magie de l’enfance, rien
ne peut tuer la joie de « l’enfant du bord de mer ». Les mots tus, le vent
les emporte, poursuivre avec « les mots qu’on a », sauter dans la vie, dans
la tendresse familiale et la clarté du jour. Ne pas nouer d’autres nœuds au
nœud des origines. L’enfant marche, joue, apprend, permet déjà au poète de
respirer. Des rires de joie comme réponse au
paysage. Comme réponse. Comme. Fuir, s’expatrier, perdre sa langue
à l’étranger, se couper la langue, laisser une autre entrer. Dans le malaise
du silence, dans les solos du silence, repartir toujours, il faut, quel que
soit le poids du sac à silence et le poète nous tend les mots. Le poète saute
toujours dans l’enfance, retrouve les sensations, redessine les surprises
même si le mot silence demeure l’unique ponctuation de l’errance, il demeure
un enfant qui marche et « demande à sa respiration de le suivre ».
Entendre le rire de l’enfant Serge Núñez Tolin, il a sa
joie pour réponse et toujours le vent marin sur la peau. Entendre l’homme qui
saura accueillir la tendresse consentie avec sa langue à lui. Me laisser gagner par le monde, y
trouver la langue que je parle. La langue qui me
commence. Padre, j’ai façonné ton silence avec
des mots. Poésie au souffle horizontal, non
agressive et pourtant, dans cette mélopée, les heurts sont là. Le silence est
partout, cousu dans le poète il se propage en nous. Parler de soi, se lire en
écrivant. Écrire dans une langue et sentir une autre sur sa langue. Écrire
au-delà de l’audible, du visible, résumer le passé. Sorcellerie, ce qui nous
appartient derrière les mots, ce qui vit en nous et n’a pas de mots, ce qui
fut, même hors du feu, continue de bouillir en nous. Ceux qui voyagent dans
leur généalogie savent l’attraction indéfinissable d’un secret. Rideau de silence saturé de mots, le
silence de l’enfance a entretenu « la grande faim des mots », le
silence a forgé le poète. Les mots et le silence se sont
confondus, présentant chacun quelque chose de l’autre. Ça
faisait une langue qui ne s’entendait pas en son entier si on ne se taisait pas avec elle. J’ai
fait confiance au vide. Est-ce lui qui écrit ou son secret ?
Qu’importe, il a trouvé sa langue. Le secret « produit » le silence. Le poète
doit le contenir, l’écrire sans trembler, s’y blottir. C’est « le récit
d’une langue à soi ». Qui porte en lui un secret le sait, comme une
bougie parfois on aimerait le moucher sans l’éteindre. La main dans la main
du silence, la main du père sans père, le poète parle avec son enfance, il a
« trouvé sa langue » et nous l’offre avec « la simplicité du réel ».
Ce recueil nous ramène à la vie, à
l’expression simple parler avec le cœur,
loin, très loin de l’insignifiance. © Guénane Cade |
(*)
Pour faire connaissance avec Serge Núñez Tolin, poète belge (né à Bruxelles en 1961) de
parents espagnols émigrés, voir sur la toile : ·
Une présentation
avec une biobibliographie à jour : https://objectifplumes.be/author/serge-nunez-tolin/. ·
Des notes de lecture à plusieurs de
ses recueils de poèmes : https://www.recoursaupoeme.fr/category/auteurs/serge-nunez-tolin/ |
Note de lecture de Guénane
Cade
Francopolis – Automne 2025
Créé le 1er mars
2002