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LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Hiver 2025 Alain Hoareau : Cendrillon, c’est
moi ! (Éditions Unicité, 2024, 108 p., 13 €) Note de lecture de
Mireille Diaz-Florian |
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Quintet pour ombres Bien sûr, j’ai pensé en achetant le
recueil de nouvelles d’Alain Hoareau, à la célèbre phrase de Flaubert dont la
glose littéraire s’est emparée pour rendre compte du roman Madame Bovary. Bien sûr, je connais le
conte de Cendrillon. J’ai donc tout naturellement tenté d’observer Alain
Hoareau pour faire le lien entre le titre et l’écrivain. Je connaissais la
silhouette rebondie et les moustaches de Flaubert, mais quels indices me
seraient-ils fournis si je rencontrais le bien vivant Alain Hoareau ? Sur le réseau, je découvrais un musicologue,
guitariste classique, au regard clair, au doigté fluide. À Paris, je le
croisais lors de différentes soirées littéraires à la librairie Gallimard.
Mais aucun signe particulier n’apparaissait qui puisse éclairer une
quelconque interprétation. L’afflux du public à la librairie ne me permit à
aucun moment de vérifier si une fine fourrure de vair ornait ses chaussures. Par
ailleurs la soirée se terminant vers 21 h, je ne risquais pas de le voir
détaler à minuit sonné. Il me fallut donc lire soigneusement
les cinq nouvelles pour approcher quelque résolution herméneutique du titre.
Ainsi fut fait. Est-ce à dire que ma lecture éclairera parfaitement cette
énigme que l’analyse littéraire tente de résoudre avec la différenciation
canonique entre le narrateur et l’auteur ? Va pour le narrateur !
Et il était là, tapi dans l’ombre de ses personnages. Car telle en effet est
la lumière de ce recueil, fait de contre-jour, de couleurs en demi-teintes,
légèrement retouchées pour en gommer tout éclat excessif. L’éclairage tamisé permet au lecteur
de franchir discrètement le seuil. Une citation de Yves Bonnefoy :
« le silence est comme l’ébauche de mille métamorphoses » ouvre la
première nouvelle, intitulée justement : Cendrillon. Nous noterons que l’épigraphe de la dernière
nouvelle, La Mystérieuse, convoque
Samuel Beckett qui affirme : « Le silence est notre langue
maternelle. » Le fil du silence, l’écho des titres, crée une sorte de
tension dans l’ensemble du recueil. Nous avancerons, déterminés à saisir les
personnages dans un mouvement paradoxal où ils existent de toute leur
présence filtrée, que le narrateur, maître du jeu, se plaît à révéler sans
pour autant cesser de dissimuler des pans de leur vie que seul le lecteur
devra combler. L’aveu sur le carnet de Cendrillon que découvre sa grande sœur,
feignant de ne pas l’avoir lu : Cendrillon
c’est moi, clarifie-t-il définitivement le titre et a fortiori les liens
entre les nouvelles ? Certes, non. À moins d’accepter que l’évolution de
cette très jeune fille qui commence à entrevoir peu à peu, le monde des adultes
avant de prendre son envol vers un ailleurs, opposé radicalement à toutes les
normes familiales et sociales, ne caractérise un entre-deux où vivent tous
les personnages suivants. Ce sera Julien dont la vie, resserrée
sur un emploi du temps millimétré durant une semaine, glisse soudain comme
les visages derrière les vitres d’un train. Ce peut être également, la
rencontre de Louise et René, avec la complicité avérée du narrateur, l’illusionniste qui tient les cartes en
main. Le voilà qui surligne sa
présence en entraînant le lecteur dans son jeu : N’oubliez pas que Louise est la marionnette entre vos doigts. Et
il nous faudrait donc, victimes de haute manipulation narrative, chercher une
ligne directrice, une vérité ! Jean François le musicien dont la guitare
- je peux en témoigner - appartient à Alain Hoareau, sera-t-il celui qui,
dans la quatrième nouvelle, recentre l’histoire, la sienne et celle des
autres protagonistes ? Nous le regardons relire la partition pour mieux l’entendre, s’interroger
comme nous : Et qu’adviendra-il du
silence au bout de la dernière note posée ? Nous le suivons dans sa
marche vers la plage où l’accompagne le fantôme de Claire, porteuse des
phrases d’un livre inachevé. Quant
à la Mystérieuse qui ferme le
recueil, les propos ne peuvent être plus clairs : À quel pan d’histoire appartenait-elle, quelle pierre de vie
déposerait-elle ? Suffit-il d’être conscient du talent
de demiurge d’Alain Hoareau pour rendre compte de cet ouvrage. Certes non. Le
piège est tout autant dans la maîtrise du style que dans la construction des
histoires. Une fois installé tout près - et parfois éloigné - des
personnages, le lecteur se laisse saisir par le subtil tissage d’une prose poétique.
Le silence résonne des harmoniques où persistent des voix intérieures. Des paysages
se déploient par touches impressionnistes. Se crée un espace intime où se dit,
dans la solitude, la force du désir. Cendrillon
regardait alors la mer, les vagues, jusqu’à se sentir portée dans un
mouvement ample d’élévation bleue qui les amenait jusqu’à se coucher,
blanches, encore frémissantes et sonores. Elle devenait vague en silence que
le sable absorbe. La vague toujours nouvelle et sans retour, déjà confusément
l’image d’un désir, la voix d’un rêve sous un ciel immuable et clair. Les
sensations, les sentiments, les pensées affleurent à la surface du texte et
nous pénétrons, presque à notre insu dans la conscience de chaque personnage.
Nous partageons les moments d’un rêve éveillé qui assume la profondeur d’une
existence imaginée. ©Mireille Diaz-Florian Décembre 2025 |
Note de lecture de Mireille
Diaz-Florian
Francopolis – Hiver 2025
Créé le 1er mars
2002