LECTURE - CHRONIQUE Revues papier ou
électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de livres... |
|
LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Novembre-décembre 2023 Pascal Boulanger. Présentation et
choix de textes par Mireille Diaz-Florian |
Pour parler du poète Pascal
Boulanger, il me faut évoquer en préambule en quoi cette lecture relève d’une
sorte de nécessité. Ma participation à la revue Francopolis a le mérite
de me confronter à des choix exigeants. Même si la périodicité de ses
parutions est vécue, chaque fois, dans une sorte d’urgence, je ne veux en
rien déroger à une règle essentielle : celle qui consiste à prendre le
temps de lire, de relire les textes. Pourrait-il en être autrement
d’ailleurs pour prétendre entrer et faire entrer un lecteur dans l’œuvre de
Pascal Boulanger ? Confrontée à cette temporalité qui oppose la lenteur
de la lecture aux délais contraints de la parution, j’avance avec précaution
pour tenter de saisir après une sorte d’incubation, ce qui s’ajuste au mieux aux
caractéristiques de sa poésie. Je dois également préciser que la
poésie de Pascal Boulanger s’inscrit dans un double espace, celui de deux
recueils dont sont issus les extraits présentés et les pages du réseau
Facebook où je l’ai découvert et où je lis régulièrement ses poèmes.
S’établit alors une lecture entre les pages du livre qui se tient entre mes
mains, m’accompagne dans le métro, le train, se pose sur le bureau et la page
virtuelle qu’il me plait d’imaginer passer entre les mains numériques du
robot. Se crée de ce fait une sorte de polyphonie partagée entre les textes
qui tissent le recueil et la sorte de surprise, d’impromptu du texte
« du jour ». Le premier recueil paru aux éditions
du Cygne : L’intime dense permet de situer le poète dans l’une de ses
filiations littéraires et d’en mesurer la portée au sein de son œuvre. Pascal
Boulanger précise dans l’épigraphe qu’il s’agit d’un « hommage à
Hölderlin ». Celui qu’il nomme « le menuisier du sens », en référence à la vie d’Hölderlin
qui à partir de 1807, jusqu’à sa mort, vivra chez le menuisier Zimmer dans la
tour de Tübingen. L’évocation du poète allemand ne relève pas seulement d’une
constante admiration mais donne au lecteur de Pascal Boulanger les indices
pour cerner son parcours poétique. Pour pénétrer cette intimité
poétique dont le terme Innigkeit en offre toute la résonance, gardons
à l’esprit que la poésie est étroitement liée à la vie qui chaque jour
propose dans l’imprévisible une
manière de regarder le monde donc de l’écrire. « Dans l’encadrement de la fenêtre » premier vers du recueil,
se place le poète. Il y contemplera la beauté de la nature, « touchant un ciel touchant/ où s’écrit un
mystère ». Il y placera l’amour d’une Diotima symbolique, « celle dont les baisers sont comme les
reflets du ciel ». Et
s’il y a douleur, « si les
anecdotes qui surgissent crament / la trame du sommeil », reste la
poussée métaphysique qui élève, transfigure. Si Pascal Boulanger, après une vie
professionnelle de bibliothécaire à Paris, a décidé de son retrait en
Normandie, n’est-ce pas pour assumer au quotidien, le désir d’écrire dans un endroit
ouvert sur la mer, « tout le
lointain », dont témoignent ses poèmes publiés sur le réseau, comme
les photos jointes à cette présentation, qu’il a bien voulu m’envoyer et qui,
sans être une illustration, n’en révèle pas moins l’importance du lieu de son
écriture. Il est devenu « le
promeneur qui marche sur la baie/ tient la main de l’aimée/ même
absente. » ©Mireille
Diaz-Florian Photo de Pascal Boulanger L’intime
dense
Pascal Boulanger Éditions du Cygne (2020) Dans l’encadrement de la fenêtre les floraisons, tout le lointain en couronne & l’amour ressemble à du feu. Dans toutes les langues la plénitude cachée se dévoile au-delà de toute attente. *** Hier n’est que le seuil où tremblent les trembles d’argent jamais las l’amour de ses yeux fixe & contemple les vagues bleues qui s’étendent avant de remonter vers la source. Le chemin qui monte & celui qui
descend sont le même quand le ciel devient comme la maison du peintre. *** Gardant soif près de la belle Garonne avec le souvenir là-bas de Diotima le menuisier du sens oublie que le temps existe il ne compte plus les jours de la vie à la fenêtre lumineuse qui se devine & s’approche *** Innigkeit intendere
l’intime dense sur l’abîme courage cœur, dans la poussière dorée comme ce dieu resté à l’écart & qui sépare la femme douce qui s’allonge & appelle au silence ne sait plus choisir entre l’amour long & l’amour à vif *** Photo de Pascal Boulanger *** Le deuxième recueil que j’ai lu, que
je relis encore, démarche indispensable pour m’autoriser à en parler – à en
écrire surtout –, s’intitule Mourir ne
me suffit pas. L’épigraphe signée Pierre Reverdy : « Je n’ai pas assez de place pour
mourir » rappelle cette appartenance à une ascendance poétique qui
traverse l’œuvre de Pascal Boulanger et corrobore la force du titre. Nous est donc confirmé dès le seuil, le lien consubstantiel de
l’écriture et de la vie inscrite dans le champ de la finitude. Dès lors le recueil se présente
comme un parcours méditatif qui permet au lecteur dans « le vivant présent » de
questionner « l’inachevé ».
À suivre le poète, nous n’échapperons pas à des visions qui assombrissent
notre cheminement. Nous traverserons la trame des jours dans une « ville verrouillée de panneaux de déchets
de mazout », dans des rues « sans
chapelle et sans lèvres / où n’habitent que des fantômes ».
Nous devrons assumer « Dans la
lignification de la langue/ la parole sans parole ». Le monde déploie sous nos yeux – et
combien ces mots soudain résonnent avec l’actualité au moment où j’écris –
des pans de ruines dans le bruit de l’Histoire. Est-ce à dire que nous
restons avec ce recueil dans un univers de déréliction ? Il me faut
avancer à mi-chemin pour m’arrêter sur le beau titre de Survivance où la parole trace fermement une route neuve car « quelque chose pourtant survit / emportant
la boue amassée ». Je peux percevoir au-dehors, même volets fermés, un
monde parfait : « le souffle
dehors / qui constelle une pluie d’écume ». Sans doute restera-t-il la
médiocrité de ceux qui jouent « près
de la Croix », la tunique aux
dés ». Sans doute la violence restera-t-elle inscrite dans l’humaine
condition. Certes « Le déluge
d’images depuis les satellites » nous fait-il entrer dans « l’âge écranique ».
Mais à lire et relire, je saisis les vers qui m’innocentent. Je prélève
délibérément les mots qui portent haut la mission de la poésie, défi
essentiel à un monde où « le
délire de la raison engendre des monstres. » Je m’empare des images qui laissent
trace et ce jusqu’à la fin de mon temps de lire, mon temps de vivre, qui
échappe à toute mesure du temps. Je
regarde une enfance qui passe de l’autre côté du miroir « après avoir secoué la tour Eiffel sous verre/ qu’on avait posé
sur le buffet ». Et si à lire et vivre, la tristesse parfois nous
envahit, je tourne la page. J’avance alors jusqu’aux poèmes de Pascal
Boulanger. Ce pourrait être celui-ci : « Midi près d’une fontaine ressuscitera la parabole de l’eau vive » ©Mireille
Diaz-Florian Photo de Pascal Boulanger Mourir
ne me suffit pas
Pascal Boulanger Éditions du Corlevour
(2016) Finistère
Toutes les îles sont laissées en
friche la chambre est abandonnée par les
vagues Je ferme les persiennes j’ai besoin d’une lumière grise loin des chiens qui aboient pour m’habituer à la mort. *** Double
à Pierrick de Clermont Je ne suis pas réfractaire aux miracles dans la double blancheur laine & neige ni à ceux qui inventent l’espace le champ de gravitation dans la source blanche & bleue les couleurs de la Vierge *** Approche
Je ne dors plus en paix dans ces bras-là en boule d’été que la parole sépare À l’approche de la mort familier des sursauts derrière les fenêtres -
je le sens bien - J’ai trop duré perdant courage -
jeté pour rien - *** Les murs
Je dresse des murs aveugles du côté des possibles la Croix fait-elle
de celui qui la porte un vivant ? Certains jours la mer des joncs ne
s’ouvre plus la dent de loup posée sur le rocher se
fend & se putréfie plus aucun fleuve souterrain n’apparaît
à la lumière. *** L’arrière-cour
Et cela mourir, revivre Je respire dans sa bouche cependant
que ses yeux disent ici n’est jamais là où je suis Or, quelque chose subsiste,
s’écoule, parle de la monnaie sans doute passant sous la boucle & je suis pareil à vous plus ou moins vivant dans l’arrière-cour
délabrée. *** Lumière
C’est une autre lumière spirituelle
& tendre sur les jonquilles sur les corps à genoux c’est une dentelle de mouettes qui console la mer *** L’attente
l’ours en peluche semblable çà l’ange
gardien a été oublié sur un banc & l’enfant ne sait plus comment trouver les forces de l’amour ni sur qui appuyer ses mains
égratignées Sur le toit du monde aux plaines immenses et gelées les étoiles se penchent lentement dans l’éternelle attente. *** La trace
Comme la flamme des cierges tremble & semble apaiser l’univers ! Près des chaises de paille la trace est la présence même Ni regards ni sourires ni âmes ni les vents qui déchirent les vagues ne s’anéantissent dans la mort La beauté vaincue n’en finit pas de
triompher sur l’herbe des prairies sur la poitrine douce des femmes *** Photo de Mireille Diaz-Florian |
Mireille Diaz-Florian
Francopolis, novembre-décembre 2023
Créé le 1 mars 2002