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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Été 2025

 

 

 

L’érotisme discret d’Anne-Marie Beeckman

 

 

(*)

 

 

Par Michel Herland

 

 

Alors que ce numéro de Francopolis rend compte d’un ouvrage de Pierre Peuchmaurd, il y a une certaine logique à évoquer également l’un des derniers recueils d’Anne-Marie Beeckman, Le Trèfle incarnat, Une journée de Nô, paru au demeurant chez le même éditeur, Pierre Mainard (*) – puisque A.-M. Beeckman, née en 1952, fut la compagne de Peuchmaurd (1948-2009) et, à l’instar de ce dernier, l’auteur d’une œuvre considérable (vingt-huit recueils de diverses importances publiés depuis 1993).

 

Le Trèfle incarnat rassemble neuf poèmes sous-titrés alternativement « Nô » et « Kyôgen ». Au Japon, le « Nô » est le théâtre classique, jouant sur des rapports dramatiques, souvent fantastiques, tandis que le « Kyôgen » est le théâtre comique. Dans ce recueil les poèmes « Kyôgen » se démarquent par une veine surréaliste plus accentuée, les poèmes « Nô » cultivant un ton plus grave. Voir, par exemple, ces extraits du premier « Nô », « Les longs éphémères » :

 

L’hiver ne cède pas. Il y a une valse lente de l’amour à la mort, dans le givre, et, fines aiguilles, le glaive acéré des glaçons

[…]

La vie palpite si joliment quand elle s’en va.

 

« Il y a chez ce poète de la féminité en alerte et du désir en feu, la joie et la licence et l’effervescence du lit, la férocité du plaisir et la morsure de l’amour », écrivait Alain Joubert dans La Quinzaine littéraire (n° 825, 16 février 2002). Si Le Trèfle incarnat paraît plus maîtrisé à cet égard que les ouvrages auxquels se réfère Joubert, un érotisme discret est partout présent. Dans le « Kyôgen » « Le Montreur d’insectes », par exemple :

 

J’étais une framboise,

quelque chose comme une cerise perdue,

le ver s’y mettait.

Le papillon emportait mes derniers doutes.

 

Ou dans le « Nô » intitulé significativement « Louve Garou » :

 

Les filles sont de race folle.

[…]

Où as-tu mis ton lièvre ?

J’ai fouillé tes douves.

J’ai levé de tes noces le sanglant calicot.

 […]

Ma bouche, fille, sur ton étui de porcelaine.

 

Et tant d’autres passages que l’on aimerait citer dans ce petit mais riche recueil, mais comme il faut finir, un dernier extrait, du « Nô » « Périssologie de l’automne » qui s’ouvre sur une citation de Pierre Peuchmaurd (La dernière feuille tombée / on voit mieux / qu’il n’y a rien).  Ou comment dire le deuil :

 

Je suis dispersée.

On étend sur ma bouche le drap du nécrophile.

Masque sans yeux,

la caresse du vent.

Sur la table trois pommes de néant

et les papillons vides.

Le regard bute sur la ligne d’horizon.

Derrière les yeux, les savanes

où les filles brûlent.

J’avais le balancement du désir dans les fesses.

Aux quatre vents les sauterelles.

Nord des colapses.

Sud des colères.

Bras en croix et cisailles.

 

Enfin, on ne saurait parler de ce livre sans mentionner les illustrations de Georges-Henri Morin, poète lui-même, qui ont inspiré les poèmes, des dessins qui surprennent, représentant des figures anguleuses, vaguement anthropomorphes.

 

© Michel Herland

 

(*)

 

Anne-Marie Beeckman, Le Trèfle incarnat, poèmes sur des dessins de Georges-Henri Morin, Nérac, Pierre Mainard, 2019, 58 p., 12 €.

 

 

Note de lecture de Michel Herland

Francopolis – Été 2025

 

 

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