LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Été 2025 Jelena Novaković, Le Surréalisme de Belgrade (perspectives
comparatistes). Éditions NON LIEU,
décembre 2023 (244 p., 18 €) Par Nina Zivancević |
La maison d’édition Non Lieu a publié en 2023 un
livre sublime : Le Surréalisme de
Belgrade, un compte rendu assez intéressant sur ce mouvement car il s’est
basé sur une analyse des « perspectives comparatistes », notamment
sur les différences entre le surréalisme français et le surréalisme serbe. Par contre, attention : le livre ne porte pas le
titre « Le surréalisme serbe » mais le surréalisme belgradois qui est un terme générique per se. Même dans l’avant-propos
de son livre Jelena explique les aspects théoriques, thématiques et les
techniques du surréalisme en général, les aspects qu’elle considère d’un
point de vue comparatiste et qui pourraient constituer la base d’une poétique
de ce mouvement – et cette base est plutôt formée sur une théorie de
l’intertextualité. Il y avait une évolution
presque parallèle entre le surréalisme de Paris et celui de Belgrade,
évolution qui a été occultée, selon Jelena Novaković,
par l’idéologie dans les années 1930. Les années 1950 ont vu un rapprochement
entre les deux mouvements, le belgradois et le parisien, mais d’une manière
différente. Par contre, il faut souligner que la
quête de la résurrection de ‘l’homme total’ par la réhabilitation de
l’irrationnel, est restée toujours essentielle dans l’esprit et le but de
deux mouvements, celui du mouvement serbe et celui du mouvement parisien. Ces
deux pays se trouvent dans une situation historique et sociale (même
artistique et littéraire) semblable, marquée par les souvenirs de la guerre
et par la condition dérisoire faite à l’être humain qui refuse de s’en
accommoder. La base commune pour les deux groupes reste la recherche de
l’irrationnel et l’action sociale. Jelena avait déjà
exploré les différents aspects de ces thématiques dans son livre Recherches
sur le Surréalisme. Dans Esquisse
d’une phénoménologie de l’irrationnel, Koča
Popović et Marko Ristić ont envisagé la dialectique hegelienne dans
le contexte du freudisme et du marxisme. Ces deux mouvements ont été
importants pour le surrealisme en general, autant que Marko Ristić et
Koča Popović ont été les figures importants du surrealisme serbe. Dans son etude sur le surrealisme belgradois.
Jelena Novaković a
étudié le rapport entre le hasard et la nécessité, d’une part, sur le plan de
l’expérience de l’art et de la poésie, et d’autre part sur le plan de
l’expérience vécue où se produisent des coïncidences inattendues… qui nient
le cogito cartésien. Dans son livre pertinent pour l’histoire d’un tel
mouvement d’une avant-garde hors normes, Jelena nous explique d’abord le
terrain politique et culturel de la Serbie au début du XXème siècle, terrain
qui nous amène à l’approchement entre le groupe surréaliste français et le
groupe surréaliste serbe. Ici (page 21), elle parle de l’originalité du
surréalisme belgradois et ensuite de l’originalité spécifiquement théorique
au sein dudit groupe. Elle attire également
notre attention sur les différences entre les surréalistes de Belgrade et
ceux de Paris (page 29). L’auteur parle également de surréalisme en général,
comme mouvement qui faisait partie de l’avant-garde artistique ; cette
avant-garde dit historique a exprimé le refus de la réalité existante, mais
elle a aussi mis en question les genres littéraires et artistiques tels
quels. En 1945 Marko Ristić devient l’ambassadeur de la Serbie en France,
mais la fin des années 1940s marque une rupture entre les surréalistes
françaises (Aragon, Eluard, etc.) et leurs
homologues serbes. La politique se mêle de la littérature et de l’art, Tito a
interrompu ses relations avec Staline donc les adhérents français du
mouvement surréaliste ont décidé de rompre avec les surréalistes serbes. Par contre, les années 1950 évoquent un nouveau souffle
dans le monde surréaliste : les traces du surréalisme apparaissaient
aussi dans le roman serbe des années 1950 et 1960 (Aleksandar
Vučo et Oskar Davičo . La fin
du XXème siècle en Serbie nous amène des poètes come Branko Miljković, Bora Radović
et Alek Vukadinović,
qui se réfèrent à Mallarmé mais aussi aux surréalistes français. À cette
époque, la littérature serbe dépasse ses relations avec la littérature
européenne et commence à se développer parallèlement à elle. Dans le chapitre Théories, Thèmes et Techniques
Surréalistes, l’auteur nous présente le rôle du hasard objectif dans l’art et la littérature surréaliste. La
conception de l’écriture se réfère à la psychanalyse freudienne et l’image
poétique comme le fruit du hasard. Là, la crise spirituelle est survenue
après la première guerre mondiale, et puis après la seconde, mais à mon avis
nous aurions pu intituler notre colloque « Breton, notre
contemporain » car l’avancement du nouveau fascisme et de l’extrême
droite dans le monde d’aujourd’hui signale ici le besoin d’une analyse
approfondie de la méthode surréaliste. Je voudrais souligner
ici l’importance du livre de Jelena Novakovic qui
non seulement explique l’héritage du surréalisme serbe, mais également
l’importance de l’approche surréaliste internationale qui affirme ses valeurs
humaines et la lutte de l’homme pour la liberté totale. Le mouvement a
toujours défendu les valeurs humanistes qui placent un accent sur le pouvoir
de l’imagination, du rêve et de la valeur dans la vie et dans l’art, obtenue
par le travail de l’inconscient humain. Pour citer un paragraphe dans le
livre de Jelena Novakovic : « Dans Sans Mesure de Marko Ristić, l’automatisme des mots cède la place à
l’automatisme des événements : le récit qui suit le rythme de la vie du
narrateur pendant un an saisit certains "coïncidences
insoupçonnées"… ce que Breton appelle "le hasard objectif". Le
rôle du hasard sort du domaine de l’écriture et entre dans le domaine de la
vie. Dans les romans poétiques de Breton et Aragon, le fil narratif est une
sorte d’automatisme de pas lors de promenades dans les rues parisiennes, les
pas guidées par les mots figurant sur les inscriptions et les annonces
publicitaires qui font découvrir au narrateur ses désirs et ses
craintes. » Personnellement, pour
moi le surréalisme est ce « fil narratif qui nous amène au hasard et à
l’automatisme de pas lors des promenades » ; -le surréalisme est mon
enfance, les dimanches-matins avec mon père visitant « l’église
surréaliste » ou l’appartement de Dušan Matić, un vrai professeur, poète comme penseur et
écrivain ; - le surréalisme est les
samedis-après-midi dans « la cathédrale du surréalisme » ou la
maison de Djordje Kostić,
le fondateur du surréalisme serbe. Quant à mes rencontres avec les
surréalistes internationales, je remarque que : - le surréalisme est
aussi ma promenade avec le poète roumain Gherasim
Luca : « Tu es une vraie fille du dernier surréaliste
belgradois », exclamait-il. - Surréalisme, c’est mon
premier récital poétique en France avec Giselle Prassinos
en 1991 dans la bibliothèque d’Angers. - Le surréalisme, ce
sont ma connaissance et mes belles amitiés avec Sarane
Alexandrian et Alain Jouffroy, les célèbres
secrétaires de Breton. C’est Jouffroy qui m’a une fois confié :
« Mon enfant, dans la littérature comme dans tous les arts, tout se passe par l’amour et
l’amitié ! » C’est Sarane Alexandrian qui m’avait appris la responsabilité d’un
révolutionnaire des mots ; il m’a dit : « Si Mallarmé croyait
que le vieux monde va terminer par la création d’un livre, les surréalistes
ont cru que le nouveau monde commence toujours avec la naissance d’une
revue. » Juste devant sa mort, Sarane m’a
avoué à l’hôpital qu’il voudrait mourir et enfin se reposer, mais qu’il
devait terminer d’abord la nouvelle publication de sa revue Supérieur
Inconnu. © Nina Zivancević |
(*)
Présentation du livre et de
l’auteure sur le site de l’éditeur : Le surréalisme de Belgrade
s’épanouit entre 1922 et 1932. Il se développe en même temps que le
surréalisme français, mais, en tant que mouvement organisé, il se forme un
peu plus tard que celui de Paris et sa durée est plus courte. En tant que mouvement organisé le
surréalisme de Belgrade commence en 1930, au début de la période
d’absolutisme en Serbie, qui va durer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale
(Dictature du 6 janvier 1929 et Constitution octroyée du 3 septembre 1931) et
où l’esprit surréaliste d’opposition et de révolte prend un caractère social
et politique, en accord avec l’esprit révolutionnaire du surréalisme
français. Quand on parle du surréalisme de
Belgrade, trois questions se posent : sur quel terrain intellectuel,
politique et littéraire ce mouvement s’est-il greffé en Serbie ? Comment
a-t-il enrichi la production surréaliste ? Comment ses fleurons ont-ils
été occultés, pour reparaître, d’une manière différente, plus discrète, après
la Seconde Guerre mondiale, au cours des années 1950 ?
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Une chronique de Nina Zivancević
Francopolis – Été 2025
Créé le 1er mars
2002