LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Septembre-octobre 2022 Gisèle Gueller : L’Imbécile et
l'Encyclopédie. Roman (éditions Brandon et
Compagnie, collection Square Brandon, août 2021, 224 p., 22 euros) Note de lecture de
Mireille Diaz-Florian |
Ce livre est paru un an trop tôt ou
alors, était-il à cette date d’août 2021, destiné à être lu dans la touffeur
des canicules qui ont marqué cette année, la période estivale. Pénétrons dans
ce roman - sinon par les Prolégomènes qui évoquent un épisode de l’enfance du
héros-, à l’instant où, dans les locaux de l’Académie des Auteurs Anonymes se
tient une réunion essentielle : les
vingt-six membres, assis les uns à côté des autres, suent à grosses gouttes
et ce ne sont les pales du ventilateur poussif au fond de la salle qui vont
réussir à arrêter la vague de chaleur sévissant, depuis quelques jours, dans
la région. Mais au-delà des circonstances
météorologiques qui plantent le décor initial, on va découvrir en avançant
dans notre lecture, que le thème de la chaleur peut être un élément
symbolique tout autant qu’anecdotique. En effet la présidente Albertine
Armand établit un constat accablant sur le travail de l’Académie. Engagés
dans la production d’une encyclopédie, les écrivains n’ont rien fait !
Elle propose donc de passer une annonce de recrutement. Évidemment autour de
la table c’est un tollé. Les esprits s’échauffent. La Présidente qui en vient
à dégrafer son chemisier car entre la
chaleur et ses émotions, elle a l’impression d’être assise sur un volcan,
a du mal à calmer l’assistance. L’annonce sera finalement votée à main levée.
Sa sobriété laisse la possibilité à un débutant, homme ou femme, avec des qualités rédactionnelles requises de
candidater. On pourrait croire que l’action du
roman se déroule dans l’atmosphère raffinée d’un milieu intellectuel, ouvert
sur les connaissances savantes que nécessite la rédaction d’articles
encyclopédiques. Il n’en est rien. Le candidat qui sera choisi lors d’un
entretien dans l’appartement bourgeois de la Présidente ne peut que
surprendre le lecteur. Ce personnage éponyme entrevu dès les premières pages,
au moment où sa mère l’abandonne dans un orphelinat est manifestement à
l’opposé de l’univers de l’Académie. * Sa vie « à géométrie variable » peut certes laisser augurer de
qualités d’adaptation. Mais dans sa chambre sous les toits, nous découvrons
un homme obèse qui transpire et bave
d’abondance, vit chichement d’un emploi de balayeur de la voirie réservé
aux handicapés. Et même si, dans son travail, c’est plutôt le balai qui le tient que l’inverse, certains
indices de son portrait laissent à penser qu’il pourrait assumer la
complexité de l’intrigue. On apprend que l’imbécile attache de l’importance aux insignifiances, fait la différence entre le commun et l’extraordinaire et surtout
- qualité indispensable à la tenue de ce roman - il a une passion pour l’écriture, qui compense son bégaiement
dans la vie quotidienne. On pressent donc qu’il pourra assumer toutes les
péripéties jusqu’au dénouement. Il incombera à la narratrice de confirmer ce
pressentiment dans la construction romanesque, ce qui sera dès lors pris en
charge avec brio. Vous auriez tendance, à ce stade de
la présentation de deux protagonistes, assis à l’instant où je vous en dis
l’essentiel, dans le salon de Mme Armand, à exiger de ma chronique qu’elle
vous fasse entrer rapidement dans le vif du sujet. N’y comptez pas. Tout juste m’est-il permis de vous informer
sur la mission qui lui est confiée : il doit écrire en quatre mois, Vingt-six textes correspondant aux
vingt-six lettre de l’alphabet. Seriez-vous prêt à penser qu’il n’y a pas
là de quoi susciter la curiosité du lecteur, que vous auriez tort. Si
l’histoire s’engage bien sur ce contrat, apparemment simple, justifiant
d’ailleurs le terme d’encyclopédie, il n’en reste pas moins que tout se
complique dès le début de l’alphabet. Des personnages vont surgir dans
l’ordre imparable des règles académiques. Vous connaissez - croyez-vous - Albertine
Armand. Détrompez-vous ! La suite vous surprendra. Vous allez faire
connaissance avec Bernard Boulenger, François Follin,
Irène Italpa, Karl Kabellos.
Et ? Ainsi de suite jusqu’à la fin de l’alphabet ? Oui ! Enfin…
le Z est un problème. N’essayez-pas de me sortir les mots du clavier. Je n’en
dirai pas plus. Juste que dans le roman apparaît le commissaire Lérot… Pourquoi ?
Bon, vous voulez le lire ce roman, ou quoi ! * Gisèle Gueller
nous offre avec L’imbécile et l’Encyclopédie, un roman que la facture
même de l’ouvrage, publié avec grand soin aux éditions Brandon, rend précieux.
On y trouve en effet, outre le plaisir de la résolution d’une énigme, le
plaisir des mots. On appréciera de suivre pistes et fausses pistes parce que
le style, jubilatoire, nous mène d’un bout à l’autre dans une aventure romanesque
parfaitement maîtrisée. La puissance des portraits et des descriptions, le
rythme de l’intrigue, comme l’inventivité stylistique, nourri à l’évidence
par une passion personnelle de la littérature, séduisent le lecteur. Mais faut-il en déduire que cette
« gourmandise policière » évoquée par la note de l’éditeur se
limite aux règles d’un genre qui joue sur l’attente du lecteur. Ce serait
largement en fausser la portée. Ce livre assume parfaitement la force des
personnages au sein d’une intrigue qui repose sur le pastiche du roman
policier. Choisir comme héros principal un handicapé, nommément désigné par
le terme d’imbécile, relève d’une intention manifeste. Gisèle Gueller dresse un portrait de
l’Imbécile poussé jusqu’à la caricature comme pour défier dans une société
normative, les réactions de rejet qu’il peut susciter. Elle propose au
lecteur non seulement de s’interroger sur son propre regard mais elle lui
permet d’aimer le personnage. Outre la résolution d’une énigme, ce roman plaide
pour le respect de l’autre, la solidarité capable de dépasser les apparences.
On savoure les jeux d’écriture qui
utilisent toutes les ressources de la langue, l’humour des situations, le
mystère de certains personnages. Mais lorsque on referme le livre, reste
l’émotion qui surgit à regarder le couple que forment l’Imbécile et Mme
Castillo, la concierge de l’immeuble. Les résidents ont du mal à comprendre,
voire désapprouvent, le lien qui les unit ; le lecteur, seul, en perçoit
la dimension humaine, fondée sur deux vies confrontées à la souffrance. Ce
sera à Trouville sur la terrasse du restaurant Chez Marinette, puis sur la plage où Adam, l’Imbécile, ramasse
des coquillages, où Rosa la concierge trempe ses pieds dans l’eau, que nous
les laisserons partager cette échappée
belle qui s’apparente au bonheur. Je sais pourquoi à cette toute fin,
j’ai oublié les détails de l’enquête pour écouter la voix de Bourvil qui
chantait La tendresse. ©Mireille Diaz-Florian Août 2022 Parler de Gisèle
Gueller, c’est parler de Facebook… Bien sûr, il serait de bon ton de faire une moue
dubitative pour évoquer le réseau Facebook, de dénoncer l’emprise américano-techno-capitaliste,
voire d’immédiatement énumérer les dangers sur la santé neuronale de nos
concitoyens, sachant que, nous, nous savons pallier ce risque… Je n’en ferai
rien car ce serait nier que dans un cadre limité, il permet d’ouvrir des
portes sur des univers nouveaux, à condition d’y pénétrer avec le respect
nécessaire à l’échange réellement social. Sans Facebook, je ne connaitrais pas Gisèle Gueller*, je n’aurais pas lu L’Imbécile et l’Encyclopédie paru en 2021. Sur le réseau, je
suivais depuis quelques temps, ses textes courts et poétiques, j’aimais ses
photos. Pour tout dire, en
« facebookienne » assumée, j’ai lu ses « posts »,
« liké » ce qu’elle publiait. Et que s’est-il passé ? Je l’ai
rencontrée, à Paris, « pour de vrai » ! Il se pourrait bien
que lors d’une prochaine édition de Francopolis, il me soit possible de la
faire entrer au Salon où il serait question de poésie. Pour l’heure, je vous
propose ma lecture de L’Imbécile et l’Encyclopédie. * GISÈLE GUELLER écrit de la poésie
depuis l'âge de 6 ans après avoir appris à lire à 4 ans. La poésie s'est
imposée comme un deuxième langage dans lequel elle pouvait rêver. Elle a
publié dans des revues comme Glyphes ou
Encre vive. Elle a
aussi participé à Drôles de virus, recueil collectif de nouvelles, livre numérique gratuit, éditions Brandon et Compagnie, 2020. Un premier roman : L’Imbécile
et l'Encyclopédie est paru début septembre 2021 aux éditions Brandon et
Compagnie. Écrire ouvre la porte de l'imaginaire et fait le chemin de vie
plus doux. M. D.-F. |
Note de lecture de
Mireille Diaz-Florian
Francopolis, septembre-octobre 2022
Créé le 1 mars 2002