LECTURE - CHRONIQUE
Revues
papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de
livres... |
|
LECTURES –
CHRONIQUES – ESSAIS
Note de lecture de
Dominique Zinenberg :
Pierre Dhainaut, Ici
(éditions Arfuyen, 2021, 12 €)
Traits d’union Le recueil Ici s’ouvre sur
« Sorties de nuits » qui contient vingt-huit poèmes composés d’une
seule strophe chacun et d’un nombre de vers approximativement égal. « Prises
d’air » est le second volet de cette œuvre qui se présente sous forme d’un
collier de quatrains puisque le premier et le dernier forment boucle bouclée.
S’ensuit « Polyptyque de novembre », en trois temps, avec des
poèmes conçus d’une seule strophe chacun, alors qu’ils sont secrètement des
sonnets. La dernière partie s’intitule « A portée de poèmes » et l’on
y trouve des fragments en prose : réflexions, analyses, aphorismes. Ici partage un essentiel qui se murmure
plus qu’il ne se profère. Ici est expérience de nuit, de neige, de
ralliements aux oiseaux, aux arbres, aux enfants. C’est connaissance
inachevable de l’urgence. Des urgences hospitalières aux couloirs qui
« se succèdent » « de nuit, toujours de nuit/ dans les
couloirs d’ici. » (p.15), c’est-à-dire dans ce lieu de confrontation avec
le poème inachevé de la vie. Ici cherche « le jeu perpétuel des
souffles » (p.27) qui précède la prononciation du mot, de la phrase, du
poème. Le souffle n’a d’égal que la nuit, grande de vie, de mort possible.
C’est de fine paroi vitale ou mortelle qu’il s’agit Ici, sans que
jamais la pudeur ne défaille. Le « je » n’apparaît jamais, il est
remplacé par un « tu » qui tient à distance et le plus souvent par
un « nous » qui rallie l’humanité tout entière à l’humble inflexion
de la voix du poème. L’oreille une fois éveillée ne
s’éteint pas de tout le jour et de la nuit
suivante et même après quand jours et nuits
n’alternent plus, elle persiste en son travail :
recevoir, recréer, intégrer chaque bruit au rythme universel des cœurs :
la mort ne peut les rendre inertes,
ces mots qui fertilisent, que tu as remerciés sans rien vouloir d’eux, ils se
souviennent de toi, de nous, en ne nommant
personne. (p.23) Partage des mots quitte à ce qu’il
ne prenne pas le temps de finir la phrase « d’autres la poursuivront dans
leur ronde/ il le sait, nous rappelant que seule une parole/ fait vivre,
revivre. » (p.31) La phrase inachevée passe le relais à ceux qui sont
encore dans la ronde et, en attendant, des éclats d’anamnèses sont des
rappels intacts de moments abolis qui ont été éclats de joie. Rappels de la parole C’était à qui riait le plus ou se
taisait, ils s’immobilisaient, ils allaient,
ils tournaient au fil des saisons du matin au soir inséparables : l’ivresse, la pure
ivresse, ils nous la transmettaient spontanément, nous ne fermions jamais les portes, nous les laissions mener à bien leur rôle, loin de nous, avec nous. Notre âge d’or, tout s’appelait alors par des noms d’arbres ou des prénoms d’enfants. (p. 25)
Claire et lumineuse évocation de ce
qui constitue l’enfance : la vie pleine, le mouvement, le tourbillon,
« la pure ivresse » avec la pointe de nostalgie que l’imparfait
produit. Ce que le poète, Ici, maintenant
semble regretter c’est l’acuité de l’enfance à percevoir avec justesse la
nuit comme la pierre, sans doute dans une sorte d’évidence concrète. C’est
pourquoi Pierre Dhainaut peut écrire page 35 : On la dit noire, la nuit, on écrit et l’on obscurcit et l’on transforme en désert la
distance : alors qu’elle n’est que poreuse : comment parvient-on à comprendre qu’une pierre a besoin que les
doigts la palpent, qu’ils l’entrouvrent, qu’ils
l’aident à délivrer notre secret
commun ? Tout l’art consisterait-il à
retrouver le secret de cette adéquation à la nuit, à la pierre, au sens
poreux qui permet de palper, saisir ce qui est sans le rendre stérile ? Avec « Prises d’air »,
l’accès au réel passe par la légèreté de quatrains proches de l’esprit haïku.
Le poète y travaille les paradoxes, les ambiguïtés, y glisse tel zeugma, tels
infinitifs qui sont moins injonctifs qu’ouverts au rêve, au sourire, à la
sérénité. En voici quelques-uns un peu au hasard : Donner encore quand on a tout donné, confiance au temps, confiance. (pages 45 et 58) Qui pense à mourir devant un arc-en-ciel ? Ne pas oublier les traits d’union. (p.49) Ouvrir les poings, la porte, l’espace, ouvrir la nuit. (p.57) Quand se referme le recueil, plus
loin page 88, après la traversée des réanimations et des attentions à la
poésie, ce que nous offre le poète c’est une porte qui s’ouvre. Ou plutôt
c’est un enfant qui ouvre une porte (« Un enfant t’ouvrira la porte,
n’en dis pas plus. ») – et c’est bien cette pensée qui court dans
les pages qui précèdent, qui une fois encore revient : « L’accompli dans
l’inachevé : la vie est-elle à l’image des poèmes ? Il n’y a pas de
réussites, les plus vifs sont des ébauches, des ébauches parfaites,
éternellement préparatoires. » (p. 83-84) ©Dominique
Zinenberg |
Note de lecture de
Dominique Zinenberg
Francopolis, janvier-février 2022
Créé le 1 mars 2002