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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Dominique Zinenberg :

Eldorado Lampedusa d’Estelle Fenzy

(éditions pourquoi viens-tu si tard ? 2021, 15 € *)

 

 

Écrit par Estelle Fenzy en français, traduit par Rabiha Alnashi en arabe et par Angèle Paoli en italien, ce recueil de courts poèmes est un hommage funèbre aux victimes du naufrage en mer du 3 octobre 2013 dans lequel trois cents personnes ont péri. 

« Ce naufrage, dit Estelle Fenzy, a été un choc terrible. Le monde entier découvrait l’ampleur d’un drame resté au large des côtes. Au large des consciences. » 

La traduction arabe obéit à une nécessité respectueuse à l’égard de ceux qui sont morts et qui ne parlaient sans doute qu’en Arabe. Cela participe d’une volonté que les disparus, sans nom, aient au moins le réconfort de la langue d’origine pour être enveloppés comme d’un suaire. Quant à l’Italien, c’est la langue qui est parlé dans le territoire où ces personnes reposent… c’est suffisant pour qu’elle soit représentée.

Trois photos de Patrick Zachmann accompagnent le texte. Celle de la première de couverture rend concrètement compte du drame qui s’est joué : quelques habits d’enfants ou d’adultes ou des objets du quotidien au milieu du sable et des algues des profondeurs.

Les poèmes évoquent par tableaux l’itinéraire de l’errance jusqu’au tragique naufrage. Chaque titre ne contient qu’un mot choisi avec soin : mères, montagnes, sables, payer, debout, nuit, surface, bateaux, île. Les poèmes d’Estelle Fenzy ne sont pas bavards, ils vont à l’essentiel en quelques vers comme autant d’inscriptions funéraires. Ils évoquent un « nous » comme si la poétesse rendait la parole aux naufragés et qu’en même temps ils semblent former un chœur à l’unisson d’espoir, de souffrance, de projet et de destin.

 

Procession

hommes fourmis

 

Lignes de peau

 

Poser les mots

 

Sueur sous les ongles

et main sur l’épaule

 

Et ce « nous » permet de suggérer au plus près la solidarité avec les naufragés, comme si le choc de ce drame en mer ne pouvait qu’ensevelir une part de nous-même avec eux.

 

Une image récurrente traverse tout le recueil, c’est celle, paradoxale et très poignante, de la maternité. Dès le premier tableau « Mères » contient la parole de l’espoir, de la permission, du mouvement du départ : « Elles ont dit/ Pars/ ». Plus loin, le naufrage est décrit comme un accouchement : « Expulsés/ ruisselants// nuques molles// livrés/ aux langes du pont// notre premier cri/lapide la nuit. » Et plus loin encore dans le recueil ce premier vers : « Barque parturiente ».

 

Comment supporterait-on de retracer ce chemin macabre sans introduire, l’image inverse, celle de la naissance ? Comment tenir « dans le hurlement // des flammes/ et des ténèbres » ? Que ce chant funèbre, cette prière de respect, cette trace infime de trois cents personnes disparues puisse aussi devenir un chant de vie, qui transcende leur mort et soit prise de conscience d’amour et compassion :

 

Que l’on s’arrête

se recueille

 

Nous pleuvons

météores

 

Nuées minérales

couchées

 

sans nom

 

©Dominique Zinenberg

 

* Droits d’auteur reversés à la Cimade.

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, septembre-octobre 2021

 

 

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Créé le 1 mars 2002