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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Dominique Zinenberg :

 

Jean Pichet, Le vent reste incompris

(Les Cahiers Illador 2021, 72 p., 12€)

 

 

En une boucle bouclée, le titre du recueil et son dernier vers se rejoignent l’un dans l’autre comme des mains (p.44). Le constat d’incompréhension dit aussi que le vent est langage, mais langage intraduisible.

 

« Qu’il se mette à hurler

ou fasse un doux murmure,

                     

le vent reste incompris. »

 

Qu’il y ait énigme irrésolue n’empêche pas de tenter de rendre claires les sensations et observations à portée de soi et Jean Pichet avec des mots limpides, des visions élémentaires et profondes sait mieux que personne nous faire passer par le couloir mystérieux du vent, de la flore et de la faune, des gestes simples et essentiels de la vie. Le peu, le guère, l’enseignement du souffle à peine perceptible, voilà ce qu’il est capable de transmettre avec précision et élégance. Nous baignons dans la douceur aux accents quasi verlainiens sans les plaintes et gémissements de ce dernier ; mais nous ne sommes pas loin non plus de Jules Supervielle qui a si bien su révéler la candeur de « la fable du monde » et les naissances en général.

Que de beautés feutrées, furtives dans les évocations du poète ! Qu’il désigne un arbre, un animal, les astres, il saisit les paradoxes les plus touchants, les instants fragiles, il les recueille avec grâce, tout frais encore comme le ferait l’herboriste pour son herbier avec délicatesse et précision.

Rien de fade ou de mièvre, toutefois, dans la poésie de celui qui a offert déjà Une poignée de feuilles avec le même bonheur, la même force discrète, de douce injonction à regarder, écouter, humer, saisir les frémissements, les riens du jour et de la nuit qui font affleurer parfois des légendes, les traces de hauts faits : « Quand ils en ont fini/une légende naît, / comme arrive la pluie/ au soir d’un jour de vent. »

Presque chaque poème contient un titre. La plupart du temps composé d’un nom et son déterminant ou pas. C’est une indication, une direction, un éclairage. Chaque poème introduit une saison, un moment du jour ou de la nuit, une action ou un élément et chaque fois un petit miracle sans prétention advient qui dans un des poèmes s’appelle « Le tout petit peu » :

 

L’ombre du tilleul

pèse sur l’absence.

 

Étouffe le silence. Protège

Quelques fleurs fanées.

 

Ce sont elles, peut-être bien,

qui savent

le tout petit peu

qu’il faut savoir pour continuer. (p.11)

 

Tout reste pudique et mélancolique. Les sentiments et émotions ne sont ni masqués, ni absents, mais les mots qui les traduisent se suffisent à eux-mêmes, ils ne débordent pas dans le récit, se contentent de suggérer le hurlement du désir ou du manque, de l’angoisse peut-être ou la douceur de l’eau qui coule, des feuilles nouvelles du vieil arbre, du chemin que l’on suit, de la nuit venue avec le vent.

L’art très musical de Jean Pichet c’est de créer du silence avec ses mots, d’enfermer le lecteur dans sa rêverie comme Merlin Viviane dans son cercle magique. Chaque poème est un cercle magique dans lequel le lecteur reste, bercé par la musique et l’exactitude des mots.

 

ENCHANTEMENT

 

Au léger de leurs pas, un chemin

s’est ouvert sous les arbres mouvants.

Lui ne dit rien. Les mots se taisent

en lui comme des dieux très lourds,

très froids, très loin de ses lèvres.

C’est elle, sa voix. Il la voit

s’envoler de ses yeux caressants,

se poser sur le vent pour ne plus revenir,

pour qu’il aille près d’elle,

et devienne son chant.

 

Autour d’eux, il fait jour et nuit. (p. 40)

 

Chant d’amour muet fait de pas et de vent. Fait d’un passage, d’une traduction mutique en chant, en mots. À proprement parler comme l’a si bien dit Joë Bousquet quelque chose, pourquoi pas un poème « Traduit du silence » ou plutôt trente-cinq poèmes dont la magie sans artifice opère et agit comme un baume.

 

©Dominique Zinenberg

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, mai-juin 2021

 

 

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Créé le 1 mars 2002