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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture par Éric Chassefière :

 

Baltique. Oiseau de Froid, de Bruno Geneste

(éditions Rafael de Surtis/Poésie, 2014, 15 €)

 

 

L’oiseau proche, dans son « attenance » (au poète contemplant la mer, à son corps-poème ?), oiseau à l’état de trace de ses ailes, dont on ne semble voir du corps que le « bec de feu », oiseau de feu paru à la « vitre d’aube », vient ouvrir de sa présence tutélaire « Baltique. Oiseau de Froid ». L’immensité lustrale de la mer, des lignes de dunes et de baies qui lui font lisières, appelle « une nouvelle éternité », espace et temps, peut-être celle que l’oiseau, renaissant de ses cendres tel le phénix, témoin de l’immortalité de l’esprit - dont le poète nous dit que règne sur la mer les « chamaniques figures » -, vient lui insuffler.

Poète devenu l’homme-océan, celui qui contemplant la Baltique, depuis le hublot du navire qui l’emporte, s’est laissé absorber par la mer qui s’offre, toute cette blancheur que les vagues portent à son regard, cet étincellement du ciel, tout cela avec quoi il entre en communion, à l’aube d’un hiver qui annonce sa renaissance par « les premiers mots de la voix », dont on ne peut douter qu’ils sont ceux de la poésie :

 

et que les dernières feuilles d’automne

tombent

   dans la transparence

                                  de ton corps

comme les premiers mots

                                  de la voix

 

Et comme en symétrie à ce poème d’ouverture intitulé « Attenance droite », cette « Attenance gauche » qui clôt le recueil, toujours celle de l’oiseau, du poète ici fait oiseau avec ces deux trous du bec, ce bec « avec lequel tu respires / comme avec tes yeux ». Le poète, dans sa fusion avec la mer, prend ailes d’oiseau, plumes lissées « du flux et du reflux / du grand respir   de cette présence / de ce moment blanc   forgeant le visible », homme-océan devenu homme-oiseau. L’oiseau « aux ailes déployées / et aux syllabes criées » est ici l’œil du poète qui voit la lumière, respire en elle la présence de la mer, dont l’écume est figée comme la neige dans l’éternité, dans un retour à l’instant primordial - « d’avant toute trace », car, peut-être, les pas du poète, comme les vols d’oiseaux, ne sont que traces, aussitôt disparues.

Et c’est de cet instant de communion avec l’oiseau, dans la pure sensation du vol, que le poète, de ses mains de sculpteur, forge le visible. Il y a dans ce dernier texte, comme un retour à la renaissance du phénix évoquée dans le poème d’ouverture, suggérant une respiration, rythme, peut-être, du cycle de mort-résurrection de l’oiseau légendaire.

 

Photo extraite de l’affiche d’une lecture-conférence à la Bibliothèque d'Arzano le 26 mai 2017

(reproduite du site de l’auteur).

 

Ces deux « Attenances », qui encadrent le recueil, en en reprenant des fragments - en italiques dans le texte -, peut-être forment-elles un portique, le creux d’une route entre deux talus d’herbe grise, débouchant sur la mer, et dans laquelle on ne voit que la mer, son échelle d’écume blanche jusqu’au lointain, et le ciel qui s’y fond à elle, tout le reste occulté, portique par lequel le poète nous fait entrer dans son errance baltique, au fil de ces « contours » qui en forment la trame. Contours parce que, peut-être, tout ce qui se voit sur la mer n’apparait d’abord qu’à l’horizon, près du ciel, île - « en retrait la barque / son ciel poussé » -, dunes - « creusées / chavirées / de roche » -, falaises - « blanchies / d’aurore » -, lignes découpant la profondeur, inscrivant plutôt qu’elles ne délimitent.

Contours I, qui forme le cœur du recueil, et auquel sont empruntés tous les fragments poétiques repris dans les deux « Attenances », a été écrit à Olsztyn, en Pologne, à l’occasion d’une invitation de Bruno Geneste à participer au Journées de la Francophonie et de la Culture Française en 2010, au cours desquelles il a rencontré le poète polonais Kazimierz Brakoniecki, dont un extrait de poème ouvre la séquence. Les poèmes de ce premier Contours sont nés d’une excursion sur la Baltique réalisée quelques temps après ces Journées. Les huit premiers poèmes sur les seize qui le composent sont ceux qui ont fourni le matériau à « Attenance droite », qui ouvre le recueil, les huit suivants se rattachant à « Attenance gauche », qui le clôt. Désir sans doute, de symétrie, à l’image de celle qui prélude à l’éclosion, quand « s’allume / la nuit de silex », et que se rompt l’amarre « au-dessus du vide / au bord extrême de la lumière / à ouvrir l’espace et le temps ». Symétrie, autant que sa brisure, qui nous évoque le Big-Bang. La barque lentement dérive :

 

labouré d’oiseaux

fouettés d’embruns

traversés de blancheurs remuées

portées à ton regard par les vagues

corps en retrait

voix brisées

Baltique de neiges incandescentes

erratiques

glissements, effacements

 

Puis encore une errance à travers la brume, dans l’espace du songe. La nuit pélagique se fracasse, « ambres, peaux, débris d’os, plumes », les traces de l’oiseau se mêlant à celles de la mer. Le feu, « des amas d’algues de feu », et la glace, celle dont on écrit « les noms de ceux qui n’ont / plus de bouche », le noir et le blanc, en un perpétuel échange dans ce jeu de la vie avec la mort : « soleil vif / noir de braise / jour blanc de grève », ou encore « la glace se fissure / un grand cercle de terre noire / creuse l’eau ». Et toujours, ce glissement du temps sur la vitre du hublot, empreinte aussitôt effacée par nos mains, comme quand la mer efface, condition, peut-être, pour que le pas renaisse. Et puis cet « enfant du froid » qui, sous la lampe, « trace un signe / l’inachèvement », une incertitude sur ce qui va advenir, cette « présence retenue / à cette courbe / à cette absence », peut-être celle de l’enfant « forgeant le visible ».

Contours II, sous-titré « Courbes magnétiques » et dédié à Serge Torri, compagnon d’écriture, est composé de six poèmes très courts, dans l’esprit du haïku, dont le décor est probablement celui de la côte bretonne. Poèmes qui disent la présence de l’instant et de ses sensations, dans la proximité de l’eau et de la lumière, avec ce vent « dans les meurtrissures d’eaux magnétiques / aux cimes des vertiges », cet « oblique de la nuit », ces « abysses de grésil noir », toujours dans ce jeu des contraires, « grésil noir » étant le titre d’un recueil de Serge Torri.

Contours III est composé de cinq poèmes, paysages marins vus encore à travers la vitre d’un hublot, l’horizon qui défile, des lèvres en reflets qui remuent, comme si le poète enfantait la mer de ses mots silencieux, et que celle-ci en retour lui invente « un visage de givre et de buée ». Et ce double du poète (son reflet dans l’œil de l’oiseau créateur ?) qui le fixe dans la dissolution de l’espace et du temps :

 

dehors

 

un homme est dans la fumée

qui te regarde

perdu

dans l’œil vif d’un oiseau de sable

dissolution

flèches d’horloges tombant dans les puits

 

Et cette marée descendante, dévoilant la nuit, emplie de rêves, dont elle a recouvert êtres et choses : « dorment des feux d’os / des coquillages de sommeil / des tribus d’ombres au jusant ».

C’est à Paul Sanda, son compagnon d’improvisations poétiques et de résidences partagées dans « l’(H)ermitage des grands vents », que Bruno Geneste dédie Contours IV, séquence qu’il situe en février 1929 (un hiver particulièrement froid), lors de l’ouverture aux navires à vapeur de routes maritimes vers l’Europe du nord, dans des conditions de navigation extrême, occasionnant des victimes parmi les équipages, dont ce marin espagnol, enterré lors d’une escale, auquel le poète fait allusion dans le dernier texte, peut-être s’identifiant à lui. Dialogue de l’homme avec la mer, dans le silence qui les lie, « comme au premier jour », lui « retiré dans les lointains / à écrire le rêve vivant », de ses mains « retournant / l’obscur de la lune / enfouie dans le sable / si proche / illimité », le proche et le lointain d’un même souffle. Le voici, poète de l’horizon, homme-océan-oiseau, « l’esprit perdu / dans le tumulte des plénitudes ».

 

©Éric Chassefière

 

*** 

 

"Le vendredi 21 novembre à 18 h 30, à la Maison d'Hippolyte, 2 quai Surcouf (Quimperlé), le poète Bruno Geneste et le harpiste Andréa Seki, Catherine Dréau aux percussions, présentent Baltique, oiseau de Froid. Une ballade chamanique sur les rives d'une Baltique de l'esprit et son grand silence de neige" (annonce et photo reproduites du site de l’Agence Bretagne Presse du 11-11-2014).

 

***

Bruno Geneste, né en 1960 à Pont-l’Abbé, poète et écrivain, performeur, co-fondateur, avec Isabelle Moign, du Festival de la Parole Poétique « Sémaphore » à Moëlan-sur-Mer, a publié de nombreux recueils de poèmes ; faire connaissance avec l’auteur sur son site (avec une liste d’ouvrages à commander).

 

 

 

Note de lecture de 

Éric Chassefière 

 

Francopolis, mars-avril 2021

 

 

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Créé le 1 mars 2002