LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES
– ESSAIS Été 2025 Deux
lectures d’un recueil de Sonia Elvireanu : Sonia Elvireanu, La
lumière du crépuscule / La luce del crespuscolo. Édition bilingue Français / Italien
– préface et traduction en italien de Giuliano Ladolfi. Giuliano Ladolfi editore, 2025 (121
pages, 13 €) |
La beauté de l’évanescenceLa poésie de Sonia Elvireanu célèbre
toujours la beauté de l’évanescence, si précieuse dans sa fragilité. La
lumière du crépuscule, fugitive par essence, en constitue le sanctuaire. C’est pourquoi « le crépuscule
/ ravive les flammes de la vie / se donne à la lumière », écrit Sonia.
Sa poésie est toujours une offrande baignée d’abandon. L’éphémère en fait le
prix : Le
dégel est en moi la fonte des neiges Tout est chemin qui mène
à Dieu selon Sonia Elvireanu, entre ombre et lumière : la poésie en est
la quintessence. * Les paysages suggérés
dans ce recueil sont souvent ceux de la mythologie grecque avec « un été
brûlant », qui ramène le voyageur – Ulysse – vers son Ithaque : de
retour sur ton rivage aux oliviers, tu
es l’infini, l’immensité
de ton Ithaque. Le syncrétisme au sens de fusion,
règne toujours dans la poésie de Sonia Elvireanu. Le Dieu des Chrétiens et
les dieux grecs cohabitent harmonieusement dans un monde rêvé, idéalisé
peut-être. Tout est « luxe, calme et volupté » dans une invitation
au voyage apaisée (1). On pourrait parler de Sagesse :
ce que Sonia nomme L’instant de grâce un
instant divin comme
une fête traverse
mon esprit * J’ignore
si le mot « mystique » est adéquat pour caractériser cette belle
poésie. Peut-être même est-il superflu voire erroné. Sonia
sait ressusciter l’être aimé. Avec elle, l’amour est divin avec parfois une
lune complice. je
cherche la nouvelle lune enveloppée
de nuages le
ciel où se trouve le
Poème, sa lumière Le crépuscule, l’ombre, la lumière
venue de « la brise sans fin du Haut, » telle est la trilogie du
Divin alors seulement, nous dit-elle, un
esprit céleste illumine
l’air comme
si un ange parlait Ainsi le poème Recueillement
offre un miroir subtil de ce recueil et de son autrice : « je me
décompose et me recompose », dit-elle. Le poème est une empreinte,
lieu de la métamorphose entre humilité et resplendissement. Il y a bien
incarnation au sens fort, ontologique, dans la lumière célébrée ici. Entre
rêve et réalité, la poésie est incarnée, elle se fait chair pour mieux
séduire le lecteur entre mer et ciel. (1) Charles Baudelaire L'invitation
au voyage. © Denis Emorine |
Dans les méandres du mystèreSaute immédiatement aux yeux
l’opposition du titre du dernier recueil de Sonia Elvireanu, La lumière du crépuscule, par rapport
à celui précédent, Le regard... un
lever de soleil. Que s’est-il passé dans le “temps intérieur”
intermédiaire ? Il y a eu le jour... un
jour particulier, qui doit être considéré non pas en termes de dimension
chronologique, mais de lumière intérieure, d’une expérience qui a changé la
relation de la poétesse avec elle-même et avec le monde, d’un chemin qui
s’est enfoncé dans les méandres du mystère et qui l’a conduite à découvrir
des réalités absolument inimaginables. Nous sommes donc confrontés à une
nouvelle œuvre dans sa carrière humaine et littéraire. Tout d’abord, elle prend
conscience que son rôle a changé : du rôle de versificateur passionné de
représentations sentimentales suscitées par la beauté de l’existence, elle
assume la mission du pèlerin qui, « au bord des mondes »,
cherche l’eau dans le désert, c’est-à-dire les raisons de sens dans une
dimension ultérieure. Elle doit donc, comme Moïse, diviser la mer par des
« tourbillons rapides et vertigineux » pour s’engouffrer au
moyen de la poésie sur un chemin de lumière dans une solitude absolue. Quel est l’objectif ? La
“descente aux enfers” pour l’Elvireanu ne se limite pas à une recherche
platonique des Idées Mères, mais, selon l’enseignement de S. Augustin :
“Noli foras ire, in te ipsum redi, in
interiore homine habitat veritas” (Ne sors pas de toi-même, rentre en
toi, dans l’intériorité de l’être humain habite la vérité) (« tous les
secrets du monde sont en moi »), le but consiste en un dialogue direct
avec l’Autre, soutenu par une confiance inconditionnelle, propre à un enfant.
Le “tu” n’est que le lien d’un dialogue-prière avec l’entité dont elle se
sent attirée et vers laquelle elle s’oriente, selon l’étymologie du mot
“religion” (du latin re-ligare,
c’est-à-dire unir). L’image du voyage est
l’“échelle de Jacob” qui unit la terre au ciel et qui se transforme
poétiquement en représentations du soleil, de la mer, des vols, dessinées
avec une légèreté chromatique (« le blanc brillant, les reflets
d’ocre / se mélangent à la fraîcheur de la mer ») entrelacée de
chuchotements, de synesthésies (« bruissement rose-vert »),
de lueurs et surtout de solitude (« je quitte le rivage du monde, /
je me blottis en silence / comme les flots reviennent à a mer »).
Les conquêtes de l’esprit ne se font pas dans le chaos, dans la frénésie de
la société et même pas dans les querelles, mais dans le silence (« une
brise pure ») qui permet de dialoguer avec soi-même. Selon cette vision, même
le style par rapport aux compositions précédentes change : il devient
plus allusif, cryptique, métaphorique, presque initiatique, évocateur, dans
lequel signifient non seulement les mots, mais aussi les sons et les
allitérations. Nous pouvons également voir cela dans la traduction française. L’ascension du mont
intérieur (« je grimpe parmi les rochers aiguës ») n’est pas
étrangère à la condition existentielle : le conflit entre le bien et le
mal, entre l’aspiration à l’absolu et la limite humaine (« Je me
tiens debout sur le fil d’une épée »), entre la recherche et
l’échec, l’accompagne, documente une lutte sans fin qui conditionne la vie de
chaque mortel et représente notre condition, comme Baudelaire l’avait déjà
perçu : l’être humain se trouve entre l’abîme et le ciel. S’alternent,
donc, perceptions, divergences contrastées (eau douce / eau salée), comme
contrastante est notre nature. L’ascèse se réalise dans
une dimension individuelle, symbolisée par la figure de l’ermite, dans une
alternance d’“homme ancien” (« je me détache de mon ancien corps ») et
d’“homme nouveau” (S. Paul) (un « papillon qui ouvrait ses ailes / à la
lumière pour la première fois ») pour trouver par le recueillement et le
silence l’étreinte spirituelle avec l’éternel : « c’est comme une
incarnation / avec deux visages, / l’un reste le même, / l’autre se
renouvelle sans cesse ». Mais atteindre le sommet
ne signifie pas réaliser une ataraxie inertielle ; là aussi, l’être humain
est appelé à reconstruire l’autel brisé avec les « éclats de marbre blanc
/ sur le plateau rocheux dispersés ». La liturgie du pain et du vin
devient un “pont” pour une expérience supplémentaire qui dépasse les sens et
qui arrive à l’invisible. Du reste,
même Saint-Exupéry reconnaissait que l’essentiel est invisible aux yeux,
comme l’oiseau bleu : ses yeux forent les lointains avec la clarté d’un mage qui voit croître ta beauté comme la pleine lune que filtre le
feuillage. Et donc la poétesse, comme
le “voleur de feu” de Rimbaud, accomplit la tâche de dépasser l’insuffisance
de la raison et de la science pour s’ouvrir à la totalité du réel, mais, par
rapport à l’auteur français, elle ne s’engage pas à vivre une saison en
enfer, mais à atteindre la plénitude de la lumière. Pendant les moments
d’une extase presque mystique (« un instant divin / comme une fête /
traverse mon esprit »), elle tisse un dialogue engageant avec
l’Éternel. Alors la nature se transforme, devient épiphanie du mystère,
exulte de joie et de fragrance ; les couleurs, les parfums, les formes
prennent l’aspect de message (« Les pavots enflamment la terre /
comme les flammes du soleil levant, / subtiles et fragiles, ils jaillissent /
de la terre comme une source ») et chantent « les noces de
la vie ». Résonnent les paroles de l’Apocalypse : « Puis je
vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, parce que le premier ciel et la
première terre étaient passés, et la mer n’était plus ». La
transformation touche l’ensemble du vécu, même le quotidien apparemment sans
aucun sens (« les doigts enveloppés par les vapeurs / d’une tasse de
thé ») et ouvre de magnifiques horizons (la nouvelle Ithaque), car
le cœur est irrésistiblement attiré par le mystère : l’horizon du
crépuscule de l’existence (« le temps d’allumer un cône / d’encens »),
où on peut profiter pleinement du bonheur de cette merveilleuse aventure
spirituelle. Et en effet, dans la
poésie éponyme, la poétesse chante à la fois le bonheur de se sentir, comme
saint François dans le Cantique des créatures, en harmonie avec la nature et
la certitude d’avoir atteint le sens de l’existant (« les choses ont du
sens »). Il ne s’agit pas d’une conquête seulement intellectuelle, nous
sommes confrontés à une expérience semblable à celle de Dante qui dans le
chant final de la Divine Comédie obtient la connaissance universelle dans la
vision de Dieu avec des yeux humains : Dans sa profondeur je vis se fondre,
lié par amour en un volume, ce qui dans l’univers se fragmente : substances et accidents et leur rapport comme fusionnés ensemble d’une manière
telle que ce que je dis en est une simple
étincelle. La perception
sensorielle se transforme en une découverte continue : Un matin banal un ciel blanc, sombre, le jardin enveloppé dans le silence d’un décembre sans feuilles, un bruit de soie Tu t’approches de moi, Tu te glisses entre les lignes quand je t’écris, Les arbres deviennent bleus, et les oiseaux, Les mondes se dévoilent comme l’aube de la nuit. qui atteste une présence certaine,
continue et béatifiante. La nuit remplit l’âme de paix et de silence et
« les doigts deviennent ailes / qui effleurent le mystère ».
À Elvireanu se pose le
problème de représenter l’ineffable. Du reste, le mot “mystère” vient du
verbe grec múein (m›ein), qui indique
l’action de fermer les yeux et la bouche : les mystiques parlent en se
taisant et se taisent en parlant, et l’oxymoron devient souvent le seul
instrument dont ils disposent pour exprimer l’extase qu’ils ont vécue, comme
on trouve dans le poète du XIVe siècle Iacopone da Todi: Quand la joie s’échauffe, elle fait l’homme chanter ; et la langue bégaie, il ne sait pas si parler ; mais il ne peut pas cacher (si grande
est !) la douceur. Bien qu’elle ne soit pas
ignorante de l’énorme difficulté, Elvireanu aborde le problème énorme d’une
manière originale et c’est-à-dire par la représentation de sensations, de
perceptions concrètes, non ineffables, non abstraites. Il semble que la
poétesse, arrivée au sommet de sa “montagne sacrée” intérieure, tout en
continuant à se trouver dans la dimension terrestre, vit dans un monde
nouveau, où le temps, l’espace, la limite, la souffrance s’écartent pour
laisser place à la béatitude pure et non contaminée. Alors le crépuscule
« ravive / les flammes de la vie », devient la saison
existentielle de la pleine réalisation, non pas la fin d’un chemin difficile,
mais le début d’une saison merveilleuse. Même en hiver « une paix /
comme une bénédiction / purifie les eaux intérieures » ; en janvier
« les matins ont la rosée de l’amour ». Le doute :
« Comment garder / la lumière / de tout ce qui m’entoure / [...]
? » se résout tout de suite en prière, transformée en expérience de l’« infini du ciel ». Le texte ne doit donc
pas être abordé comme une lecture d’une expérience d’une autre personne, mais
comme un voyage personnel sur la voie tracée par l’auteur vers une dimension
“autre”, symbolisée par l’ascension d’une montagne. Du reste, la rencontre avec
Dieu dans la Bible se fait toujours en un lieu supérieur : Moïse reçoit
les tables de la loi sur le mont Sinaï, Jésus se transforme sur le Tabor, le
Calvaire lui-même est situé sur une hauteur. Les Psaumes parlent de la
montagne comme le lieu privilégié pour la rencontre avec Lui. Même François
Pétrarque, au terme de son ascension du mont Venteux arrive à trouver son
horizon spirituel : « Et les hommes vont contempler les sommets
des montagnes, les vastes vagues de la mer, les larges courants des fleuves,
l’immensité de l’océan, le cours des astres et ils se négligent ». De
là-haut, en effet, on peut voir et entendre ce qui reste caché dans la plaine
: Le chant d’un oiseau scintille dans les ombres du crépuscule, Le bleu infini frémit comme la lumière qui m’enveloppe. Le recueil poétique de
l’Elvireanu représente donc un véritable itinerarium
in Deum, mais, tandis que dans le texte de saint Bonaventure est décrit
le chemin accompli par l’“esprit” par la connaissance, ici le parcours
apparaît accompli dans la totalité d’un être humain doué de sens (la
contemplation de la nature), d’intellect (la conscience de ce qui est en
train d’arriver), de sentiments (l’amour pour Dieu) et de mysticisme (la
perception d’une dimension supérieure aux catégories espace-temps). La
contemplation de l’extraordinaire beauté de la création n’est pas « quasi liber et pictura », comme chante
Alain de Lille, mais elle est hypostase de la Parole primordiale : « Fiat lux », cette lumière qui dans la
splendeur, dans la chaleur et dans la transformation, a produit la relation
directe entre l’être humain et l’Être divin. Rien n’est plus loin de la
conception scientifique moderne et contemporaine qui interprète la réalité uniquement
sous le profil mécaniste et déterministe ; également, rien n’est plus loin de
toute conception animiste ou panthéiste. La nature contemplée avec des yeux
nouveaux se présente comme une preuve évidente d’une “ultrarealité”, d’une
dimension éternelle, à laquelle la race humaine est appelée à vivre au-delà
des frontières du temps et de l’espace. Et la poésie ne se soustrait pas à la
tâche de “dire” l’ineffable. © Giuliano Ladolfi |
Notes de lecture d’un recueil de Sonia
Elvireanu
Francopolis – Été 2025
Recherche Dana Shishmanian
Créé le 1er mars
2002