Une escale à la rubrique "Coup de
cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur
Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont
séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.
***
Poèmes « Coup de
Cœur » des membres du Comité
Été 2024
Pierre Dhainaut, choix
Dominique Zinenberg
Marie Cholette,
choix Éliette
Vialle
Alain Minod, choix François Minod
Henri Bauchau, choix
Mireille Diaz-Florian
Kader Rabia / Richard Taillefer, choix Dana Shishmanian
Jacques Guigou, choix Éric Chassefière
Michel Dufresne,
choix
Michel Ostertag
Pierre Wattebled,
choix
Gertrude Millaire
Mona
Gamal El Dine, choix Louisa Nadour
choix Dominique Zinenberg :À l’écart, à
l’étroit, la page, si nous lui ajoutions un peu de poussière ou de givre, ne transmuerait pas en échos le bruit de la voyelle « i » et ne mettrait pas ce qui manque en mouvement : au moins avons-nous la
patience de préparer la suite, un cœur battant appelle à l’aide. (p.9) * Éveil, le
juste éveil, c’est d’abord un rayon qui semble émaner d’une déchirure des rideaux rouges, c’est davantage, chacun de nos enfants se reconnaît dans le balbutiement où s’esquisse une
phrase à sa façon d’affranchir la voix
bienheureuse, d’abattre un à un les murs, de rejoindre le chœur des souffles. (p.
19) * Ouvrir les
yeux, ouvrir en ces couloirs l’opaque, sommes-nous seuls à respirer ? Nous ferons mieux
qu’être des hôtes retirant les verrous : nous ne possédons
rien, mais nous pouvons approfondir l’élan, de plus en plus, le front nu, jusqu’à l’aube il neigera dans l’invisible. (p.33) Extraits de Pierre Dhainaut,
Éveil Trois fois, Éditions du Douayeul
(2024) |
choix Éliette Vialle :Branches rigides dans leur manchon de glace Les frêles branches d'un
tremble rigides dans leur
manchon translucide de glace subissent émues les
embrassements du
vent et de
perdre leur
chapeau et de
laisser pendre au
bout du pied leur
chaussure et le
mascara qui tombe de leurs
longs cils merveilleux rapprochements sensuels que
permet l'hiver ses giboulées ses
glaçons pendant aux
corniches ses
corsets de givre qui
toujours émeuvent mon
regard mes
gestes ma
silhouette offerte au
nordet à la
bise ©Marie
Cholette, L’Islet-sur-Mer, Le 1er mars 2024 Le vent peigne sa chevelure de neige Il émane de ce
paysage devant moi une
ineffable douceur une
légèreté sans
pareille une odeur
prononcée de sapin et
d'épinette des
blancheurs se sont
lourdement posées sur les
branches ployées sous la
neige des
éclats d’étoiles m'environnent sous mes
pieds la neige
s'enfonce à la
mesure du
rythme musical de mes
pas j’écoute cette
musique hivernale pendant que
le vent peigne sa
chevelure d’un
blanc à
couper le
souffle je me
penche et je confectionne des
boules de neige bien
tapées que je
lance au loin oh cette
journée que la
neige a
décorée d’un bout à
l’autre de mon
pays mon pays
revêtu d’un
habit de neige ©Marie Cholette, L’Islet-sur-Mer, Le 10 mars 2024. |
choix François Minod :
Alain Minod DIVERSION Lumière calme : tissu du
soir Epouse la
terre Ecoute son
ronronnement Au creux de l’arbre noué O l’enfant Poussé là Avec la pie voleuse Qui guette ton départ Tout l’hermitage
se vide jusque là Mais toi tu t’aventures à
voler Dans l’Ici Nœuds d’arbre Figures d’ombre Et Danse Danser Ah ! L’enfant D’Ici et Là « Pace lucia » A la langue revêche Ramassée dans les
arborescences Que le cri premier se Se retrouve et se Module avec Les chants des oiseaux Avant la nuit Allez ! Lutinons par les murs Peut-être dresserons-nous en Écriture La moindre tresse La moire mèche D’une humanité déchevelée Puis sur le pont avant d’une Rue anonyme Aller treiller
le sang du soir Sur les murs Egratignés Arme sans crime Que cet échancrement Qui traque cependant Toute expiation D’avoir à souffler des Lumières O « Les toits
tranquilles » où se Perdent les pigeons
barbares ! Laissons les hauteurs
s’abandonner Aux lèvres de Sang Enfants affamés ! Ce
roucoulement De pilleurs : Arrachez-le vite aux affres De la parole brouillante Avec les ailes démesurées de
votre Désir qui ne ment pas (Tous les petits maîtres des
envols Seront peut-être cloués au
pilori De leur mensonge) Le poète – Sauvage ! =
Entre enfance et sortilège…
*** VERS OÙ LA
VILLE ? Toi contre la muraille Sablée d'un ailleurs Pâle inconnue proche Tu emmêles ta chevelure Sous les doigts du vent Et les clins d’œil Du soleil Tu t'emportes Avec les noires ogives Et les yeux glacés De la muraille Tu vrilles - vers où ? - Par les cordes des hauteurs Par le tambour au ventre O l'enlevée Des fauves ! A
la croisée verte De l'horizon Jetée Avec la mer Toi : simple lien Dit de ma ville Si chamarrée Que je ne la vois Plus
*** PAR LE
BORD D’AMPHORE Ma poésie est une amphore Elle casse avec le secret De la nuit Elle est devenue Toi Dans son étranglement Au cou de Porphyre Qu’étreignent Les yeux du désir Toi l’ancillaire source De paroles Glisse Comme un hymne De renaissance Dans le boisseau De ma voix Je te supplie De boire A l’aulne De mes pas Avant que ne déborde l’encre De mes silences Par tous les noms Que je ne sais plus dire Tenir Les anses de ton souffle Emporte Mon petit monde Dans les conjugaisons serrées Des plus lointaines rives Marines Là où Se croisent les pilotes De toute prophétie Du bonheur enfoui Sous La vague première Extraits de : © Alain Minod, La ville où le nulle part a
lieu, Librairie -Galerie Racine, premier trimestre 2000 *
Voir dans ce même numéro l’Hommage à Alain Minod, avec une
intervention de François Minod, à la rubrique Francosemailles. |
choix Mireille Diaz-Florian :Henri Bauchau
Dans le rouge aveugle soleil
j’ai mémoire d’un sommeil vert Et de la nativité des couleurs
sur les armures, sur les lances et le cheval bleu de la terre. Au temps du songe végétal,
est-ce qu’elle était la géante Et le beau bleu géant démon dans
la cécité des artères ? Argile, dit le maître muet,
argile est adorée par l’esprit qui déchiffre Argile est consumée par le sang
quand il trace Les inscriptions profondes. *** Cellule J’entends tomber sans
bruit la neige de janvier J’écoute ce que je
suis dans les
milliards de
cellules qui me
connaissent et que
j’ignore *** L’enfant de sel Pour A L’oreille à la
porte de sel j’entends sous l’océan sommeil une
soudaine enfance J’entends le premier peuple *** La goutte d’eau Le plus
ancien des mots Glisse
comme un regret des fêtes sous-marines Quand le
sexe était bleu Et le corps
en couleurs de terre et de merveille. Ou mon
arbre était fée, d’un cours impénétrable Il
tordait l’algue longue et verte des rivières Dans la
cellule en goutte d’eau La nuit
blanche égrenait, lente, les cris de perle. Lecture du corps Extraits
de La Chine intérieure, Poésie 74 Seghers, 1974. Henry Bauchau (1913-2012) est un poète,
romancier, dramaturge et psychanalyste belge, de langue française. Il naît
dans une famille de la haute bourgeoisie belge. Sa petite enfance est marquée
par l'invasion allemande et l'incendie de la maison de ses grands-parents maternels
à Louvain par les soldats germaniques.
Il étudie en lettres à la Faculté Saint-Louis, puis de droit à
l'université de Louvain. Il est séduit par les idées pacifistes dans les
années vingt et trente,
Avant d'être mobilisé en 1939, il exerce des activités dans le
journalisme et milite dans des mouvements de jeunesse chrétienne. Après la
guerre il vivra en Suisse et en France. En 1947, Bauchau entreprend une psychanalyse
auprès de l'épouse du poète Pierre-Jean Jouve. Cette analyse marquera
profondément sa pensée. C'est en 1958 qu'il publie son premier recueil de
poèmes, "Géologie", qui obtient le prix Max Jacob. En 1960, Ariane
Mnouchkine monte sa pièce "Gengis Khan" aux Arènes de Lutèce. Enfin, il commence son cycle mythologique
et donne successivement "Œdipe sur la route" (1990), "Diotime
et les lions" (1991) et "Antigone" (1997). Parallèlement, la
publication de son "Journal" (1989-1997) éclaire la création,
permet de comprendre l'importance que représentent, pour l'écrivain, la
poésie, les rêves, l'inconscient et l'écriture. |
choix Dana Shishmanian :
Kader Rabia Venir à la vie sous les bombes C'est tendre une main À la terre Et une autre à la chance Traverser la guerre C'est se mêler aux siens En brandissant des rêves Mais lorsque les vôtres Guident et les rêves et la chance
puis... Vous imposent
le silence Attendez-vous soit à mourir ailleurs Ou réinventer la terre qui vous a
vomi. ©Kader Rabia, sa page
Facebook, 18 mai 2024 Bien avant que je naisse on avait déjà préparé mon destin on m'a saisi au vol pour me fourrer dans un sac et on a appelé pays cet engin qu'on a ensuite greffé à un autre truc qu'on a baptisé monde quelque chose en moi on a expérimenté l'orientation du désir la volonté de rester inerte l'art de tuer la cervelle avant le corps la volonté de rapprocher les extrêmes ... À l'opération seul un de mes ongles a
survécu je gratte inlassablement pour crever l'horrible sac. ©Kader Rabia, sa page
Facebook, 19 décembre 2023 *** Richard
Taillefer Ce matin comme un coup de poing dans la gueule. Résister... Résister, résister, résister, jour et nuit. Résister encore. Lasse est
l’amertume, cette lassitude intérieure. Il faut oser se lever, reconnaître le
chemin. L’espace visible et total. Nulle tour n’est trop grande à nos yeux.
On ne se taira pas une nouvelle fois, nous déploierons nos paroles lumineuses
par tous les champs dévastés. Écoute cette chanson qui court à travers le monde. Ces aboiements de
chiens qui grondent derrière les niches de garde. C’est le matin que lou soulèu
se lève. Ce sont toutes ces fenêtres qui s’ouvrent pour laisser le cri se
répandre à l’horizon. Désolé, contre tous les murs qui nous font face, nous continuerons à
rêver, même par temps de brouillard. Laisse une petite lumière Ici est là et puis une autre. J’aime ta main légère La brise chaude et douce de tes lèvres. ©Richard Taillefer, sur sa page Facebook, 10
juin 2024. Texte extrait du recueil Les Invisibles (éditions Gros Textes,
février 2024, avec un avant-propos
d’André Chenet). |
choix Éric Chassefière :
Jacques Guigou Poèmes inédits Cet
aplat sans voix de la mer survient parfois au
matin l’hiver cette douce lassitude exhalée par l’arbre de Judée le sec et le salé s’obstinent sur le sol astres sur littoral les rochers de la jetée taisent leur finitude * Jusque
dans ses rythmes les plus déjouant la mer annonce maintenant cette agonie du temps qui précède le poème * Dès
la première aube malgré le cours du monde et les mères mises à mal immuable l’appel des mouettes parolières * Regarde enfant les roseaux flambent dans les marais aujourd’hui languides les eaux tardent à écourter la destinée du feu * Étonné par la syncope bleutée de l’aube le pèlerin louange le rivage ses sables dévoués à la danse nu-pieds ce rivage avec feu et lieu les contretemps s’éloignant cœur battant le pèlerin attend la seconde syncope * Les
failles de la nuit se comblaient lentement et la pluie nous offrait ici l’offense là le secret aux premiers pas du jour incertains mais sereins les vols de passereaux hasardaient nos destins Jacques Guigou vient de publier aux éditions Encres
Vives (collection Lieu), un recueil intitulé Petite Camargue (2024).
Né en 1941 dans une famille de Vauvert en Petite Camargue, il est
l’auteur de plusieurs ouvrages critiques sur les bouleversements
socio-politiques de la société contemporaine. Créateur des Éditions de
l’impliqué, il est aussi cofondateur de la revue Temps critiques.
Depuis sa prime jeunesse, il compose de la poésie, publiée à partir des
années 1970. En 2020, sous le titre Poésie complète 1980-2020,
sont rassemblés vingt de ses recueils. Certains sont traduits en occitan, en
chinois, en anglais. Avec Sans mal littoral (2022), il
poursuit son cheminement sur le rivage de Petite Camargue pour y guetter la possible venue d’une parole primordiale. Les nombreux
récitals et lectures auxquels il participe sont pour lui moments de partage
du chant du monde. * Voir dans ce même numéro sa contribution au Salon de
lecture – avec un entretien réalisé par Éric Chassefière. |
choix Michel Ostertag :Michel Dufresne |
Des places rouges Où rien ne bouge Où tout est plat, Quelques touristes La mine triste Quelques soldats. Des places vides Où tout est fluide Où tout est flou, Même les gestes Les derniers gestes D’un amour fou. Des places mauves Horizon fauve Entre les tours, Un bus, un tram La ville entame Un autre jour. Des places roses Un peu moroses, Quelques lilas Et plein d’affiches Sous la corniche D’un cinéma. Et l’on se remet Un film de Resnais En raccourci… Rien qui n’a changé, On voudrait crier Place à la vie ! Des places blanches Où rien ne penche Où tout est droit, Des gens qui passent La tête basse Presque sans voix. Des places grises Où tout s’enlise Où l’on s’ennuie, Juste une église Deux vieux qui lisent Bientôt la nuit. Des places bleues Il neige, il pleut On ne sait trop, Printemps timide Comme un grand vide Couleur de l’eau. Des places noires Chargées d’histoire Où l’on se bat, Contre des guerres Comme ses frères Même combat. Et l’on se repasse Un Costa-Gavras En raccourci… Rien qui n’a changé, On voudrait crier Place à la vie ! Des places vertes Où l’on s’arrête Pour déjeuner, Avec des cris De tout-petits Dans les allées. Et l’on voudrait Que tout soit vrai Le moindre bruit, Le coup de craie Qui nous dirait Place À La Vie ! ©Michel Dufresne : Place à la vie !,
chanson, avril 2023 (extrait de la page Collectif Francopolis,
sur Facebook) |
choix Gertrude Millaire :Pierre Wattebled L'esprit se plaît en la mouvance des pensées ; Il se crée entre eux une dépendance Comme si la vie de l'un sur l'autre s'appuyait, Cohabitant tout au long de l'existence. Des idées projetées par l'âme sensible : Questionnements divers liés aux stimuli, D'un corps déchiré entre infini et néant, Nébulosité et joyeuses éclaircies. L'esprit se plaît en la mouvance des pensées : De là à déduire que la clé est en soi, Force vive permettant de la valider. Cohabitant tout au long de l'existence En l'équilibre de multiples contrastes, Elle en fonderait l'essentielle substance. ©Pierre
Wattebled, 10 mai 2024 (extrait de la page Collectif Francopolis,
sur Facebook) |
choix Louisa Nadour :Mona Gamal El Dine L’exilé Je dois vous faire une belle
confidence ©Mona
Gamal El Dine, 2020 (reproduit du site https://poetes-francophonie.com/mona-gamal.html) |
Coups de cœur des membres :
Pierre Dhainaut, choix
Dominique Zinenberg
Marie Cholette,
choix Éliette
Vialle
Alain Minod, choix François Minod
Henri Bauchau, choix
Mireille Diaz-Florian
Kader Rabia / Richard Taillefer, choix Dana Shishmanian
Jacques Guigou, choix Éric Chassefière
Michel Dufresne,
choix
Michel Ostertag
Pierre Wattebled,
choix
Gertrude Millaire
Mona
Gamal El Dine, choix Louisa Nadour
Francopolis Été 2024
Créé le 1 mars 2002