Une escale à la rubrique "Coup de
cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur
Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont
séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.
***
Poèmes « Coup de
Cœur » des membres du Comité
Été 2025
Agnès Adda, choix Dominique Zinenberg
Bernard Bienaimé,
choix
Éliette Vialle
Ossip Mandelstam, choix François Minod
Jean-Yves Masson, choix
Mireille Diaz-Florian
Catherine Andrieu & Jean-Michel
Sananes, choix Dana
Shishmanian
Chantal
Enocq, choix Éric
Chassefière
Mahmoud
Darwich, choix Louisa Nadour
choix Dominique Zinenberg :Agnès
Adda EAUX 1 À cette altitude On ne saurait prétendre toucher juste Distinguer l’eau De la terre, des nuages Départir du solide Comme au commencement Le liquide et l’évanescent. Il est même des nappes cotonneuses, plus
volatiles Pour se glisser à vive allure sous les lacs
figés Par les failles du glacier, du roc Entre cimes corsetées de blancheur. Des ondes établiront là des repères Mais non l’œil, si aiguë soit sa vision. À cette altitude Aussitôt voit-il qu’il médite L’œil Éclaireur de rêves Radar de légendes. Il n’est vie qui puisse frayer Avec l’air ici raréfié. Seul l’acier qui te protège Vaste nacelle de métal Te suspend si haut, si haut ! Couffin de rien que de fer dur Cette arche qui porte colombe D’où s’envolera le poème. Extrait de Telle quelle, l’émotion de dire, éd.
Unicité, 2025 (119 p. 14 €). |
choix Éliette Vialle :Bernard Bienaimé sur la feuille je pose mon rêve éphéméride agité ou s’émiette mon corps à la chrysalide du vent un doux cocon me cache de l’appétit de la grive joufflue un matin printanier me dessine papillon il a posé le bleu sur un fil de pluie mélancolie
doucement amère du sourire émondé l’aile de l’oiseau plie le dernier soleil le clown triste est mort écrire sur l’autre page des copeaux de nuit égarer les mots dans la poussière du temps et poursuivre le rêve sur l’aile du rivage sans autre but que la verve du vent Nuage sur
le toit d'un clocher où les tuiles bigarrées vernissent l'azur une tourterelle semble ignorer l'appel des cloches dévergondées et s'éloigne de l'instant le cercueil repose sur quatre pieds noirs il y a trop à aimer pour irriguer la plage le soleil si haut a vaincu les nuages tu aimais tant la mer et les
fontaines obliques qu'à dérouler le ciel tu es partie si vite il y a trop à aimer pour irriguer
la page Poser sur
le bruit le regard nu du délié d'hirondelles émietter le froissement des vernes aux griffes du vent semer un désordre de pluie au bruissement des luzernes effacer le rire pointu du temps de l'asphodèle épuisée tant d'amours
à retenir Reproduits de la page
FB de l’auteur |
choix François Minod :
Ossip Mandelstam Extraits des
Cahiers de Voronej (1935-1937) Traduit
du russe par Henri Abril Editions
Circé, 1999 Tu n'es pas morte encore. Tu
n'es pas seul encore, Tant que pour toi et ton amie
mendiante La majesté des plaines est
comme un réconfort, Et la brume, et le froid, et
les tourmentes. Dans le faste du pauvre, dans
la misère reine, v Vis calmement, sereinement
: Bénis soient tous ces jours et
ces nuits qui s'enchaînent, Et les doux sons du labeur
innocent. Mais malheureux celui qui
craint les aboiements Comme son ombre, et que le
vent harponne ; Pitoyable celui qui, à peine
vivant, Demande à son ombre l'aumône. 16
janvier 1937 Seul, je regarde le gel bien
en face : Il ne va nulle part, je viens. Il s'aplanit, ondule et ses
rides s’effacent, Haleine prodigieuse de la
plaine sans fin. Les yeux mi-clos dans la
misère qu'on empèse, Le soleil est paisible,
soulagé Comme la forêt qui se
décuple... Et la neige Craque dans le regard, telle
un pain sans péché. 16
janvier 1937 O, cet espace lent, cette
plaine oppressante Qui m'emplit jusqu'à la nausée
! L'étendue reprend souffle, au
loin toujours béante... Que n'ai-je au moins les yeux
bandés ! J'aurais mieux supporté le
sable aux mœurs schisteuses De la Kama, des bords dentelés
: Je retiendrais sa manche
timide et peureuse, Ses cercles, festons et
fossés. Et accordés tous deux ̶̶̶ pour un siècle ̶̶̶ ,un
instant Jaloux des limonène rapides, J'entendais sous l'écorce des
arbres flottants S'étendre les anneaux de
fibre. 16
janvier 1937 Que faire de la morte
apparence des plaines, De la soif de miracles dont
elles nous étreignent ? Car l’espace infini qu’en
elles on se figure, Nous le voyons fort bien dans
le sommeil lui-même… Mais la question
grandit : où vont-elles, d’où elles viennent ? Et n’y rampe-t-il pas dans une
lenteur sûre. Celui qu’en rêvant nous
appelons à voix pleine : Le Judas des peuples
futures ? 16
janvier 1937 Ossip Mandeltsam (1891-1938) va écrire à Voronej (où il est
emprisonné par les autorités soviétiques), en quelques mois les plus fertiles
de son existence les poèmes des trois Cahiers qui sont un des sommets
de la poésie russe du vingtième siècle. Arrêté une nouvelle fois en 1938, le
poète est envoyé au goulag et meurt le 27 décembre au seuil de la Kolyma. Le cahier pour Ossip Mandelstam se veut une négation du livre dans ce
qu’il a de normatif et de littéraire « Je n’ai[L1] pas de manuscrits, pas de carnets, pas
d’archives, je n’ai pas d’écriture car je n’écris jamais… Moi un
écrivain ? Au diable » avait dit le poète au début des années
trente. Les trois cahiers qui
composent ce livre couvrent les années 1935-1937. Un ensemble de 250 pages.
Chaque texte est daté précisément. Nous avons choisi de donner à lire au
lecteur les textes écrits le 16 janvier 1937. |
choix Mireille Diaz-Florian :Jean-Yves
Masson Poèmes I,
II, III Les
neuvains du sommeil et de la Sagesse Cheyne Éditeur
2007 I Sommeil, mon confident que je crains de trahir, silencieusement près du puits de sagesse où chaque être s’accorde à son désir, tu poses tes mains sur l’innocence du visage, tu désarmes le mensonge et l’orgueil, rallumes dans le cœur le feu qui le maintient en vie.
Sommeil ô montreur d’ombres ! mémoire de la terre, donneur de force qui enseignes aux yeux absents le prix d’une heure de lumière. II Veilleur veilleur j’attends
dans une chambre sombre et ma garde est sans peur. Un enfant nu sommeille dans ma crypte de temps. Il a la clé de mon empire. J’attends, je vous attends, siècles neufs,
nouveaux âges, je sais des philtres insolents pour qu’encore les lèvres chantent. Je réveille le nom du plus ancien désir. Je suis né d’aujourd’hui, je suis le fils de mon attente : ouvre-toi, mon pays ! au nom de l’avenir. III Les chemins éternels qui mènent au territoire de
beauté, nul ne pourra les effacer, toujours ils attendent que
vienne un voyageur aux lèvres frémissantes de chansons. Ainsi l’été dormant sur la terre adorable, tout l’été revenu aux jardins de la terre en sommeil à midi sous les nuages d’août. Haut pays de lumière et d’air, voici que chante
la montagne au rythme des pas du marcheur qui vient et voit, et voit le bleu le vert criant parmi les champs victoire. Jean-Yves Masson est traducteur,
critique littéraire, éditeur, professeur de littérature comparée à
l’université Paris IV. Il a publié chez Verdier un roman : L’isolement, des essais, un recueil de
nouvelles : Ultimes vérités sur la
mort du Nageur. De 2008 à 2011, il est président de la Maison des écrivains et de la
littérature. Il collabore régulièrement depuis plusieurs années au Magazine
littéraire où il rédige chaque mois la page consacrée à la poésie. Les neuvains du sommeil et de la sagesse qui
font suite aux Onzains de la nuit et du
désir, ont été couronnés par le prix
Max-Jacob, par le prix François Coppée (décerné par l’Académie française)
ainsi que par le Prix de la Fondation Rainer Maria Rilke. |
choix Dana Shishmanian :
Catherine Andrieu L’éveil
du feu calme Je
t’ai vu, toi, immobile dans
la fracture du jour, ceint d’un
éclat d’aube plus nu que ta peau. Il y
avait dans tes paumes l’inquiétude des commencements, et dans
tes veines, des rivières trop pleines de silence. Tu
avances sans bruit, comme si
fouler le monde était déjà une faute, et
pourtant… chaque pas
de toi sonne plus juste que la
prière des derniers hommes. Viens, abandonne ce
frêle manteau de retenue. Ici,
les herbes hautes ont la pudeur des caresses et les
sources, la mémoire des lèvres déliées. Je
t’apprendrai à dénouer les lacets de l’éternité, à
laisser le temps s’effondrer d’épuisement entre mes
hanches entrouvertes. Tu ne
craindras plus l’infini, je l’ai
roulé dans le creux de mes poignets, je l’ai
dompté comme un mustang de lumière qui
hennit à l’horizon de mes songes. Regarde-moi. Quand
mes cils battent, c’est l’univers entier qui vacille, et de
mes mots s’échappent des oiseaux de fièvre qui
viennent nicher à la lisière de ta nuque. Je
suis cette femme-là, celle qui
t’allège de toi-même, qui
glisse une aurore neuve entre tes reins fatigués, et
t’offre un royaume sans murailles, où
l’orage s’incline devant la simple douceur d’une main posée. Viens, que je
t’ouvre le passage secret où même
les dieux déposent leurs armes. Là, dans le
pli le plus humble de l’instant, je
t’aimerai jusqu’à t’inventer des ailes. FB, 15 mai 2025, et RALM Jean-Michel Sananes Qui
suis-je ? À ceux
qui veulent m'enfermer dans une identité dénoncée de ni française, ni laïque,
à ceux qui utilisent mon Messenger... Me
voilà contraint à épouser une identité forcée pour leur rappeler la réalité
de chagrins similaires liés aux horreurs de l'Histoire des peuples et de mes
pères. Ce
texte n'est en rien une réponse au poème d'un poète Palestinien dont je
respecte les ressentis. Je
suis Juif et
j'avais maison et avenir à Sidi-Bel-Abbès, une mère
juive aux origines berbères, élevée en
langue arabe, un
grand-père venu de Tétouan la
mémoire chargée des pogroms du Sultan Yazid, de la
furie des janissaires, du sang des morts, des
amputations et du vol de leurs biens. J'avais
maison et chez nous un toit
pour mon fils On m'a
offert la valise ou le cercueil. J'ai
emporté mon enfance, n'ai rien
oublié du carré de marbre où repose grand-père, rien
oublié des ombres de ma maison. Je
sais l'hirondelle et le jasmin les
chants de l'Andalou et les odeurs de Tétouan. Je
sais mes frères yéménites, égyptiens, irakiens, pakistanais,
syriens. Je
sais ce million de réfugiés sans bagages sans
droits et leurs maisons volées. Je les
sais venus en cette terre ancestrale où mille
fois ils furent massacrés, martyrisés par
l'ordre romain. Je
sais l'Islam premier, Abu
Bakr al-Siddiq premier
calife et compagnon de Mahomet qui
ramena chez eux les Juifs de La Mecque. Je
sais Saladin qui les
invita à revenir à Jérusalem, je sais
sa lettre aux fils d'Ephraïm, les temps
meilleurs et les temps d'horreur. Je sais
l'Islam nouveau qui oublie ses valeurs et
encore offre "la valise ou le cercueil", interdisant toute
possibilité de paix. Je
sais les livres de la haine et les caricatures, le démon
des intégrismes qui
brandit le sabre et le canon. Je
sais la Loi "Tu
ne te chargeras pas du péché de vengeance". Je
sais que je ne veux pas que l'on
leur fasse ce qu'ils nous ont fait. Je
sais la paix lassée et la
colombe fusillée. Je
sais l'Islam premier et le Judaïsme frères de
sang. Je
sais qu'un jour viendra où, plus
forte que les croyances, la
conscience renaîtra. Il
nous faudra apprendre la paix il nous
faudra vivre à deux. La
haine n'a pas de bon côté. |
choix Éric Chassefiere :Maintenant
le rire n’a plus de peur, ne rien
précipiter au risque
de laisser couler des larmes. Un
accouchement un souffle
dans la pâte rouge une lave des
sons qui descend la pente une bulle de
verre où se frottent les mots rejoint le
fleuve d’eau et se fuse
pour que le chant advienne. La voix
chante la naissance ou la
naissance donne la voix. Elle peut
marcher maintenant…………. ……….. tâtonner vers vers cette
petite lumière. Autour d’ un épais
manteau, d’ un léger
mouvement, un
monde réapparaît. Pénétrer
dans, se glisser à travers, à travers
l’espace d’un instant. Ce moment
où, où on peut
y voir l’éclot d’ une
conscience. Une
avancée dans le temps pour poser
ses pieds sur terre. S’asseoir
devant, respirer profondément, ce n’est
qu’un désir fulgurant qui te prend. Un laps
de temps, où tu
t’évanouis dans la matière. Une
tonalité ancestrale inscrite dans la
roche. Au-delà
de, et pour encore, les paradis
artificiels allégeront les
souffrances trop humaines et quelques mots se graveront dans ton cœur, des mots à
l’encre noire sur la plage blanche, dans sa
transparence les mots
blancs sur la page noire de la nuit. C’est
dans l’immobilité, la
disparition du temps et de l’espace pour dire
l’être que
peut-être sont les mots………….. Extrait de « Un 3 temps », Encres Vives
/ Encres Blanches N°830, 2024 |
choix Louisa
Nadour :
Mahmoud Darwich Quand
tu prépares ton petit-déjeuner, pense aux
autres. (N'oublie
pas le grain aux colombes.) Quand
tu mènes tes guerres, pense aux autres. (N'oublie
pas ceux qui réclament la paix.) Quand
tu règles la facture d'eau, pense aux autres. (Qui
tètent les nuages.) Quand
tu rentres à la maison, ta maison, pense aux
autres. (N'oublie
pas le peuple des tentes.) Quand
tu comptes les étoiles pour dormir, pense aux
autres. (Certains
n'ont pas le loisir de rêver.) Quand
tu te libères par la métonymie, pense aux
autres. (Qui
ont perdu le droit à la parole.) Quand
tu penses aux autres lointains, pense à
toi. (Dis-toi
: Que ne suis-je une bougie dans le noir ?) In Comme des fleurs d'amandiers
ou plus loin © Actes Sud 2007, p.13 |
Coups de cœur des membres :
Agnès Adda, choix Dominique Zinenberg
Bernard Bienaimé,
choix
Éliette Vialle
Ossip Mandelstam, choix François Minod
Jean-Yves Masson, choix
Mireille Diaz-Florian
Catherine Andrieu & Jean-Michel
Sananes, choix Dana
Shishmanian
Chantal
Enocq, choix Éric
Chassefière
Mahmoud
Darwich, choix Louisa Nadour
Francopolis Été 2025
Créé le 1er mars
2002