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Coup de cœur : Archives

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Hiver 2025

 

Pierre Dhainaut, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Giovanni Angelini, choix François Minod

Frédéric Tison, choix Mireille Diaz-Florian

Pierre Kobelchoix Dana Shishmanian

Flaviano Pisanelli, choix Éric Chassefière

 

 

choix Dominique Zinenberg :

Pierre Dhainaut

 

Orgueil, bâtir un chapitre et le clore,

mieux vaut permettre à la main

de s’aventurer, ne plus être une intruse,

une ombre au milieu d’ombres :

elle cessera forcément, mais généreuse,

elle rendra généreux notre ouvrage,

il restera inachevé.

 

                         *

 

Tracer avec soin chaque lettre et respecter

les intervalles, aimer le frôlement

du crayon, de la plume ou du pinceau,

la feuille aura la propreté, elle aura le sort

de ce qui n’oppose aucune entrave aux vents,

l’éclat, l’éclat de l’encre, la persistance,

l’un des noms du poème avec « passage ».

 

                        *

 

Ou dessiner un cœur sur l’écorce, sur du sable,

en pensant au lichen comme à la vague

qui les recouvrira : un livre oubliera

quel est son auteur, s’il contient nos empreintes,

il les destine aux poussières, aux averses,

les doigts ont l’ouïe fine des aveugles,

un cœur continuera de battre.

 

 

Extrait de À la plus que présente, L’herbe qui tremble, 2025 (46 p., 15€).

 

choix Éliette Vialle :

Parme Ceriset

 

Des anges à peine éclos se fanent, 

brisés par la mâchoire d'un géant.

Fleurs rompues à la base, 

sève s'écoulant des cœurs de plâtre, 

pétales pleurant le temps 

qui les piétine et les avale 

dans son gouffre de Léviathan...

Un goût de formol aux lèvres, 

je serre autour de la chimère 

mes mains lardées de cicatrices.

Je tue le néant.

 

©Parme Ceriset 

 

Poème écrit il y a quelques années lorsque je travaillais en tant que très jeune médecin dans un service de neurochirurgie et cancérologie pédiatrique. Par la suite, comme certains le savent, j’ai affronté la mort dans ma chair avant d’être sauvée par une greffe des poumons.

(Ces mots figurent dans un recueil à paraître très prochainement.)

 

choix François Minod :

Giovanni Angelini

 

Ce qui nous manque

(extraits)


Novembre

 

Accapare d'abord ce qui te manque

beau ce domaine

sans cesse s'agrandit.

Tout ce qui se soustrait 

nous augmente.

Empourpre nos corps

et nos mots.

 

Un grand soleil d'hiver 

éclaire ce domaine

en sursis 

et sa netteté d'après vendange.

 

 

Cévennes 

 

Dernier ressac d'air chaud

la nature

étincelle là

             sur le roux des érables.

 

On ne repart pas

du lieu abandonné 

mais de la blessure 

               qui nous laisse,

ici

sous l'or du mûrier

où la terre se fait ancre 

et jamais le sang ne se fige 

me rappelle la vigne.

 

L'aven creuse et coule

borné et sans galbe, 

échantillon du temps

en avançant vers la source 

juste son cœur, 

aile de calcaire et feuilles barattées.

 

Lumière enfouie et eau

broyant ses formes

l'aven s'engouffre.

 

 

À Ursula, Pascale et Christian

 

Novice est ce temps sur le fier Luberon 

d'amitié et calcaires. 

D'où que le ciel vienne

le vent le transperce 

tord les thyms dans les fentes

et s'effrite le grès tendre

dans la marne 

          esquilles d'œuf sur la pente, 

terrassier le temps s'entête.

 

Puis s'agrippe la lumière 

et glisse de feuille en feuille

sur les dieux endormis de Provence.

 

Toute la beauté 

nous suit pas à pas, 

sans le savoir nous la suivons

et chaque mot

sans le dire la rejoint.

 

Au loin la Durance coule lisse

comme sur une enclume usée.

 

Pierres gorgées d'eau

le froid les éclate, 

essaim des schistes

qui enterrent la racine.

Voici le poison des images

qui console.

 

Cela aussi est vie

cet ourlet

qui enchâsse les yeux

et les coud

            à ce châtaigner.

                                                                             *

Sœur du vent par tes cheveux

qui l’enluminent.

 

Proches du miroir parlant

des feuilles et ses abeilles.

Par ce temps que tu traverses

et qui m’écarte par ton incompréhensible

sourire au monde.

Nul partage me réconforte…

Secret non gardé mieux que secret

puisque sans cesse se renouvelle

et mon manque heureux

car tu me consoles.

 

Vermillon

le monde est toujours neuf

étincelles d’algues

dans l’arrière-pays humide.

À la fourche du frêne

sa mire et sa latitude

qui mesure les angles du ciel,

à la saignée du bras

un panier de lumière

et des souvenirs

                            dans les veines…

le corps écrit tout seul

comme un enfant se cherche

enfant égaré

aux cheveux qui rebiquent.

 

Toujours et encore épais

le badigeon de l’air

                         Sur la crête.

 

***

 

Giovanni Angelini, Ce qui nous manque, Éditions Unicité, 4ème trimestre 2023

Avec ce nouveau recueil, l’auteur semble nous confirmer sa foi dans un langage qui fait vibrer un septième sens pour donner à voir au-delà de ce qui paraît. Une poétique qui fait chavirer dans un réel inaccessible et pourtant sous-jacent, invisible mais pressenti au-delà des mots dans le miracle de chaque instant. Les poèmes sous-tendent une réalité enfouie pour faire éclore ce manque qui, paradoxalement, nous amène à une certaine clarté.  (Extraits de la 4ème de couverture)

 

choix Mireille Diaz-Florian :

Frédéric Tison

Le dernier chant d’Edwine

Les Hommes sans Épaules éditions, 2023

 

J’ai découvert grâce au cercle Aliénor ce recueil de Frédéric Tison qui rassemble l’œuvre poétique de celui qui fut aussi peintre et photographe. Il naît à Tarbes en 1972 et meurt le 13 Novembre 2023 à Paris. Il a collaboré avec la revue Les Hommes sans Épaules et a reçu le prix Louis Guillaume du poème en prose en 2021. Ce recueil est une exploration lente, fascinante.

Mireille Diaz-Florain

 

 

Les Effigies (2013)

Ces ailes

 

Il jetait sur les toits des oiseaux ignorés

Et des voix et des âmes chantaient

Dans la ville malade et la ville enflammée

 

Non des torrents, mais ses bras

Dans la rue toujours la même aux vents blessés

Lançaient ce qui tombait encore ou retombait

 

Les immeubles n’étaient ni d’ici ni de là

Eux s’élevaient mais ils ne disaient rien

Ni à la terre ni à la pluie ni même à ces oiseaux

 

(De toits en toits passait

De fenêtre en fenêtre

Ce qui restait des flûtes et des bois.)

Carnet de la ville sauvage

 

***

 

Aphélie suivi de Noctifer

2018

 

 

QUATRIÈME HEURE

Tierce

 

I

VOYAGEUR d’eau vive

Et nue, toi-même défait de tes habits

Teints de pourpre et d’olive,

 

Approche ce visage et patiente

Pâle jusqu’à l’heure propice. Marche

 

Jusqu’au palais innombrable si

L’ombre t’espère dans le corridor.

 

Tu n’as de cesse que tu ne l’aies étreinte.)

 

II

 

      MA MÉMOIRE VERSERA le thé brûlant de la mer sur tes

lèvres - jusqu’à ton front, elle hissera les anciens vents.

      Elle te dira le corps d’Ulysse et le nom des vaisseaux. Elle

s’effondrera pour bientôt tout redire. Ses yeux seront très clairs. (Tu

feras tienne ma mémoire, tu y ajouteras la tienne étonnante.)

      « Hylas, Hylas », hélera-t-elle au sein des plaines. « Ohé !

Ohé ! » criera-t-elle, parmi les forêts.

      Tout visage n’est qu’un miroir tant qu’il n’a pas parlé.

 

III

 

N’IMPORTE L’ORDONNANCEMENT

      de mes vastes pays

Jardins et demeures. J’ai cherché

L’œuvre où je me trouverais beau, épars,

Aimant et entier. Ému selon l’aube et le soir

De mes étonnements : sueurs,

Tous mes visages, mes torpeurs ! Je fus prisonnier

D’une eau sévère où désormais j’émerveille

Et dans tes yeux règne et me repose.

 

***

 

Le vent pourpre

 

(Poèmes inédits.1987-2023)

 

Ronde des visages

2017

 

Chaque homme porte un livre en lui, une page, un feuillet qui n’a pas eu l’heur d’être publié, un défet certainement, perdu dans la ville. Lorsque l’heure me permet de me promener dans Paris (mais ce pourrait être n’importe quelle ville), ou de paresser à la terrasse d’une brasserie, levant les yeux de mon livre, j’aime regarder les visages des passants que je croise ou qui défilent devant moi, et je les dévisage, je le crois, sans être indiscret et sans une convoitise dont mon propre visage serait le miroir. J’aimerais, car il manque à ma bibliothèque, un livre d’images dont l’objet seul serait le visage.

 

ou bien

 

Les visages sont des pages, leurs histoires furent des livres, leurs passages furent le défet qui tombe des livres, et la rue est souvent la bibliothèque de livres qui ne furent pas écrits. Je me propose d’en livrer quelques fragments ici (si je suis dans la ville) et tout sera à poursuivre.

 

 

choix Dana Shishmanian :

Pierre Kobel

Pour faire un mur

Pour faire un mur
il me faut la patience
la longue durée de l’anticipation
un jour durable et ancien

Il me faut la vie tout entière
les pierres plates de la main
les gestes mesurés
pour faire un mur 

Et j’adosse le vivant à la terre
Je m’installe dans la nudité du mot 

Je n’ai de regard que celui du silence 

De quelle étoile sommes-nous l’infime part ?
À quelle unité du vide retournerons-nous ?

 

La poésie est ma maison

 

Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète

Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui (René Guy Cadou)

 

La poésie est ma maison

Les livres en sont les murs

Les mots sont ses fenêtres

 

Viens avec moi, je m’évade

Viens avec moi, un pays se dessine

Viens avec moi, je ne m’arrête plus

 

Nous tracerons un chemin

Nous irons à la parole

Seule demeure.

 

 

***

Vivre au-delà des murs

Tout n’est qu’éclair

Nous ne sommes que passage

 

Quand le monde

S’évanouira

Poussière, cendres, éclats

Je tiendrai l’avenir

Dans le livre de mes mains

 

Ablution de nos rêves brisés.

 

 

Extraits de Maison(s). Le Capital des mots

(collection Melting Poètes Nevermore),

octobre 2025 (12 €) 

 

choix Éric Chassefiere :

Flaviano Pisanelli

 

2 poèmes extraits de Dietro L’assente / Derrière l’absent (bilingue), éditions Ensemble, 2022

 

 

 

La phalène

 

Le poids des paroles comme des pierres

dans l'épave-silence

de ce corps

qui ne contient pas

 

impossible de se retrouver

dans une histoire sans origine

 

sur la toile j'étends la non-couleur

cercle

étau

rature

 

je ne parviens pas à toucher cette douleur

je ne peux dire la non-direction

de mon lit-radeau

 

nommer la perte

c'est mourir en disant

dans le mouvement

 

et la phalène immobile

(de toi messagère)

gardienne vigie compagne

dans une nuit qui est trop nuit

pour veiller le jour.

 

 

*

 

 

Dies irae

 

Et si la mer grossissait

dans l'ermitage de cette nostalgie

 

et si la terre se taisait

après cette parole-bruit

 

et si la vague revenait

sur ce sable assoiffé

 

et si ces mains revenaient toucher

les racines éternelles de l'arbre

 

et si tu attendais encore un instant

avant de prendre congé

 

et si ma tête refusait de penser

pour reprendre la voix du rêve

 

et si le temps se mettait à bégayer

les syllabes incertaines de l'amour

 

et si ces pieds redevenaient empreintes

sur les dunes-frontière

 

et si la glycine fleurissait de la dernière pierre

lancée par la main qui a péché

 

mes bras alors

sauraient accueillir l'Absence

 

de ton sourire muet

derrière la fenêtre

 

et mon cœur compter

les croix éparses

sur le vert de l'herbe

 

 

Villeneuve-lès-Maguelone, 2013

 

 

Flaviano PISANELLI est professeur des universités en langue et littérature italiennes à l’Université de Montpellier Paul-Valéry. Poète et traducteur, il est spécialiste de Pier Paolo Pasolini, sur lequel il a publié de nombreuses études, ainsi que d’écrivains et poètes italiens des XXe et XXIe siècles. Ses recherches se focalisent sur l’étude de la poésie italienne contemporaine, les poètes italophones contemporains et les échanges interculturels dans l’espace de la Méditerranée. Il a publié plusieurs recueils poétiques, entre autres : A peso d’aria (2000, Florence Gazebo éd.), Perla e argilla (2006, Florence Gazebo éd.), Errance et alentours (2013, Oxybia éd., Vence).

 

 

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Pierre Dhainaut, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Giovanni Angelini, choix François Minod

Frédéric Tison, choix Mireille Diaz-Florian

Pierre Kobelchoix Dana Shishmanian

Flaviano Pisanelli, choix Éric Chassefière

 

 

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