Une escale à la rubrique "Coup de
cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur
Nous redonnons vie
ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.
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Poèmes « Coup de
Cœur » des membres du Comité
Novembre-décembre 2023
Estelle Fenzy, choix Dominique Zinenberg
Annie Deveaux Berthelot,
choix
Éliette Vialle
Yehuda Amichaï /
Abdellatif Laâbi, choix François Minod
Pascal Quignard, choix Mireille Diaz-Florian
Patricia Laranco, choix Dana
Shishmanian
Adeline Miermont Giustinati, choix Éric Chassefière
Michel Dufresne,
choix
Michel Ostertag
Jean Perron,
choix
Gertrude Millaire
choix Dominique ZinenbergUne saison fragile Pendant
que l’hiver pose sur les bouches son tulle de vapeur je rêve qu’un frou-frou fera fleurir les roses (p.29) Le
printemps parlera aux bêtes sa langue de mue Je garde mon sang d’hiver mes écailles glacées (p.35) Les
petits mensonges Fais comme si l’air te portait Imagine la vie légère Le poids
des jours ne te garde pas sur terre (p. 51) Fais comme si tu croyais mes jolis mensonges cuirasse-moi la plume de pinson pas gai (p.64) Tout
commence par des ailes Dans ta
chambre Photos souvenirs places de concert et ton étagère de flacons vidés comme un sanctuaire de cristal sacré Assise
au bord du lit je rebrousse nos vies retricote les années une maille à l’endroit une
maille à l’envers en décalé (p.78) Après la pluie (Brest m’aime)
Tu sais faire novembre en juillet avec cet air de n’y pas toucher qui trompe et qui rappelle Les gris s’ajoutent aux gris Un seul
rayon et c’est sur la mer un éclat
sans fond (p.101) Estelle Fenzy, Une saison fragile, Éditions La part commune, 2023 (105 p., 13,90 €) |
choix Éliette VialleDes haillons de la nuit La forêt
se dépouille Le ciel est
innocent Les eaux
sombres du lac coulent de la montagne Le vent
gémit S'envole Telle une
âme qui se lamente Sur le
chemin des ombres L'hiver
revient (Paru
dans On a
oublié de m'aimer, Editions du Lys Bleu, 2020) *** Les larmes au goût d'un sel meurtrier Se noient
dans l'écume des ombres Et la mer
dans sa tourmente Au seuil
de la mort Se couvre
de roses blanches (Paru
dans On a oublié de m'aimer) *** Dans un
buisson d'aubépine J'ai vu
un merle et une fauvette Il était noir Elle
était verte Sautillait Sous un ciel
étoilé qui n'était que pour eux (Paru
dans Par un
matin de brume, Editions du Lys Bleu, 2023) *** Sans même
savoir Où il la
menait Blottie
contre lui Elle le
suivit Quelques
pas vers le paradis (Paru dans Par un matin de brume) *** Nuit sans
sommeil Le cœur
faiblit mais moi je résiste Quelque
part à une fenêtre De la
musique Ne pas
dormir pour ne pas mourir (Inédit, mai 2023) |
choix François MinodLa voix de 2 poètes qui chacun à leur manière nous
touchent par leur humanité. L'un est israélien (Yehuda
Amichaï) et l'autre marocain Abdellatif Laâbi). J'ai pensé que leurs voix, dans ces moments de
troubles, pourraient résonner chez le lecteur. (F.M.) Je vous
écris d'une Jérusalem absente d'Iroushalaïm, d'Al Qods je vous écris d'une Jérusalem inversée qui
peuple mes nuits Je vous
écris sous la croisée des voix dans l'insomnie de la blessure j'écoute j'écris la main écrit le sang dans ma main écrit le sang à l'écoute des voix j'écris malgré tout contre tout j'écris pour Je vous
écris d'un lointain titubant entre les noms j'ai des yeux sans image des yeux tournés vers l'intérieur des voix perdus des yeux retournés vers l'énigme des voix malgré tout contre tout qui se lèvent pour En ce
printemps qui donc se lèvera et dira à la poussière : tu es homme et à l'homme tu retourneras Yehuda Amichaï *** Je vous
écris d'une ville qui n'est pas encore d'une ville qui n'est plus d'une ville à bâtir dans les lignes de vies écorchées dans nos paumes je vous écris dans les nœuds du poème je vous écris d'une ville que je ne connais pas écris donc tant que tu en auras la force...ton écriture... ne sera jamais... un tison de haine alimentant le brasier des haines... Abdellatif Laâbi |
choix Mireille Diaz-FlorianLes
fenêtres Le bonheur est cet inconnu qui arrive
comme une bourrasque sur la rive. Il désordonne le monde plus que ne
saurait le faire une tempête. Il soulève les charrettes, les
hangars Invisible,
il abat les arbres. Les coques des bateaux volent dans le
ciel. Il
faut avoir du courage quand le bonheur est là. C’est tellement rare :
accueillir le bonheur. Il ne faut pas broncher quand il jaillit, spontané,
étonnant, debout, effaré, raide, pressant, incompréhensible. Il ne faut pas
pâlir devant le bonheur, pas plus qu’on ne doit trembler devant la
souffrance. Un Romain, parce qu’il avait eu l’idée de saisir son couteau pour
se défendre, se pencha, tomba, causa l’incendie de la Ville, qui ne fut plus
qu’une immense cendre terne dans l’aube- où on ne voyait plus que la lame de
ce couteau tombé par terre qui brillait. Le maître d’armes qui instruit les
jeunes hommes, sur le Vlaams Hoofd, face au Kranenhoofd, à Anvers, dit toujours qu’au cours de
l’assaut il faut se garder de surveiller la pointe de l’épée qui étincelle. Il faut s’en tenir au regard de
l’adversaire- ou encore au regard de l’aimée- ne regarder que les yeux seuls. Regarder l’arme, c’est perdre la
tête. Songer à préserver son corps, c’est
déjà mourir. À la mélancolie ne convient que le
paysage où elle s ‘apaise parce qu’elle trouve à s’y étendre. Alors il
se fait aussi infini que la vue peut l’octroyer. - Marie,
Marie ! qu’est-ce que tu regardes ? Marie Aidelle
leur tournait le dos. Elle était à la fenêtre qui donne sur le canal qui
rejoint l’Escaut puis la mer du Nord. Elle haussa les épaules. Ses yeux
étaient comme des turquoises. Elle chuchota à Meaume,
à Abraham, à Hatten, qui se trouvaient tous les trois derrière elle : - Les femmes qui se tiennent debout
derrière le rideau de leur fenêtre ne regardent rien. Il vous semble, à vous,
les hommes, vous qui aimez les compétitions, ou l’excitation du désir, ou la
guerre, à vous qui aimez tant vous jeter à corps perdu dans les grands
discours qui ne vous protègent de rien et qui vous mènent directement à la
mort en multipliant les magnifiques oppositions qui vous leurrent- il vous semble qu’elles
regardent le monde, le lieu, le port, le quai où les hommes courent. Mais
elles ne regardent rien de tout cela. - Que font elles alors à la fenêtre si
elles ne regardent pas le paysage qu’elles y découvrent ? Que font-elles
le front posé contre la vitre ? Au moins regardent-elles le débarcadère
où les marchandises s’entassent ? Au moins regardent-elles la barque qui
revient du navire ? - Elles ne regardent rien du tout.
Elles attendent. Elles attendent, voilà ce qu’elles font, elles attendent.
Elles attendent ce qui n’est pas un navire. Elles guettent ce qui n’est pas
une cargaison. Elles ne recherchent au bout de leurs yeux, certainement pas
un retour, sûrement pas une répétition. Elles attendent une venue
inexplicable. Voilà leur vie. Elles s’élancent ou plutôt elles préparent, en
mobilisant tous leurs muscles sous leur robe, leur élan. Car les femmes sont
pleines de muscles au-delà de toute leur beauté. Leur vie est toujours plus
immense que peut l’être la vôtre. Elles portent et vous ne contenez rien.
Elles engendrent et ne donnez pas naissance. Elles mûrissent et vous ne
produisez pas de fruit. Voici leur amour : il est devant elles. Il n’est
jamais là. Extrait de Pascal Quignard, L’amour
la mer, Gallimard
(Folio) 2023 (première parution : 2022) |
choix Dana ShishmanianJe retranscris ici 3 des plus beaux
poèmes de Patricia dont elle nous a fait don sur sa page Facebook (ancienne / nouvelle) durant l’année 2023. En
profonde empathie et admiration pour son écriture poétique puissante et
allant à l’essentiel.
(D.S.) Enfonce-toi dans la forêt cet aquatique demi-jour où les
distances-tromperies ricochent sans orientation et redeviens-y l’enfant d’eau dans la larme d’un utérus. Recroqueville-toi partout où tu trouves des escaliers serrant de trop
près les maisons, les fortifications de fleurs. Regarde par-dessus les toits et les montagnes au corps abrupt la
simplicité du matin sourde transparente et sans mots. La mer a tant de miettes d’yeux qui te fixent en se déformant, en
recreusant leurs cavités et leurs aubades de hasard. Ravale tes mots enchantés, tes chansons qui n’ont pas de plis, tes
masses dures de cristal. Une odeur de mousse mouillée traîne s’élève ; il fait soleil, il pleut
des araignées de sang. Monte des villages pentus, des vertiges en colimaçon comme autant de
doutes glissants, de précipices à la voix d’or. Couds sur ta peau des peaux sacrées, des échardes arrachées au bois, des
patiences d’un autre temps, des patchworks de cadrans secrets, des
effilochements d’azur et des mélopées de tonnerre ! (FB, juillet 2023, Paris) *** Je n’ai jamais su ce que je faisais sur cette
terre. C’est peut-être pour ça que je regarde en l’air,
que je préfère le chant des oiseaux aux palabres des Hommes; que je plonge
sans cesse mon regard dans ce qui se déroule le plus haut que ça peut : les
hautes branches, qu’elles soient souplement squelettiques ou feuillues; les
changements d’aspect de luminosité, de teinte de notre bonne vieille lune;
les minuscules cigares volants des avions en vol, aussi blancs et brillants
que les mouettes; les oiseaux qui n’en finissent pas de sillonner,
apparaissent et disparaissent comme par magie, avec leurs déplacements
fébriles, rectilignes ou planants comme l’état d’extase, d’élévation suprême
et, bien entendu, les nuages, dont je rêve d’escalader les parois bulleuses
et elles aussi immaculées, à la texture de meringue. (FB, 21/04/2023). *** Les plages de lumière se sont attroupées dans les vastes confins membranes soulevées par un mystérieux mouvement de respir. Elles ont avancé en duveteux troupeau, semblables à des amibes en forme de Protée sur le substrat d’espace qu’offrait le
matin; c’est alors que mon corps s’est orné de fissures. C’est alors que mon thorax s’est coupé en deux puis craquelé comme le font les terres à nu. J’ai compris la passion pour le Bleu des oiseaux et le pouvoir coupant du cristal, du
silex et les trompeuses promesses de la clarté vibrionnant entre les congrès d’arbres roses. Et la tristesse - Pourquoi ? - m’a prise à son bord. (FB, 05/04/2023, 11h55, Paris) |
choix Éric Chassefière
"femelle je marche avec les louves" est un
texte "manifeste", introduction du projet performance
"femelle" femelle je marche avec les
louves femelle je
marche avec les louves dans
une brûlante respiration je
laisse pousser mes cheveux mes poils ma queue mon
ombre se profile entre deux éclats de rire je
marche à quatre pattes je
danse au-dessus des squelettes femelle
je cours libre dévoratrice
des futurs dissectrice des
commencements fille
des rivières et du réveil des oiseaux de
la foudre et des nids de souris je
me pare de glaise et de fossiles d'oiseaux
émeraude et d'insectes cuivre je
frappe un tambour immense pour ouvrir une porte autour
de moi les champs de blé bruissent de paroles s'abreuvent
de tonnerre et d'éclairs à
la joue des déesses femelle
je bondis dans le désert j'arrête
les planètes je
cours jusqu'au bout du temps je
déterre le passage la
rivière sous la rivière l'oreille
vaste de la brume la
peau qui vibre à tout jamais femelle
je descends vers le large vers
la courbure des éléments mes
pattes inscrivent le paysage je
me souviens des mots de ma naissance je
les dépose sur le sol qui tremble je marque
mon territoire j'absorbe
le rythme des vagues et
les nuages dans ma fourrure incubatrice
des boueuses racines roue
gigantesque labourant le ciel l'océan
est mon monastère la
lumière est mon miroir femelle
je m'allonge dans le lichen je
danse au fond d'un puits je
malaxe des poèmes gardienne
des mondes entre les mondes et
de l'haleine des volcans femelle
je mâche la mémoire du temps je
dénoue les tresses du désir je
redonne vie aux défunts et
de mon empreinte surgit le feu femelle je
croasse et je caquette je
suis grosse et je suis velue je
rampe dans les plis des mondes inondée
du souffle des déesses femelle
je suis une vielle femme qui
sait les secrets je
suis la racine nourricière cachée
dans la plante de vos pieds ma
peau a le goût de l'humus et
mon museau s'enivre de toutes vos traces femelle
je n'ai pas d'âge mes
moustaches sentent le futur et le passé j'abrite
les mystères et les êtres de brumes des
créatures millénaires escaladent mes hanches et
viennent sucer le sel au
creux de mes seins femelle
je chante avec les morts je
chuchote dans la bouche des nouveau-nés je
lèche les plumes des oiseaux j'ondule
avec les baleines je
marche avec les louves |
Michel Dufresne |
choix Michel Ostertag
Un jour je serai jeune Aussi jeune que toi L’enfant qui me dit : J’aimeS La glace au chocolat. Et le soleil du nord Me donnera le temps Quelques hivers encore Quelques nouveaux printemps. Un jour je serai jeune À la fois jeune et vieux Libéré de mes chaînes Libéré de mes nœuds. Et il pourra neiger De longues journées bleues, J’aurai le cœur léger À peine un peu frileux. Un jour de plus, une semaine, un
mois Ni moins ni plus, juste un jour à
la fois. Le temps n’est rien, le temps ne
compte pas… Vivre sa vie juste un jour à la
fois. Un jour je serai jeune Plus jeune que l’ado Qui roule, se déchaîne Debout sur son vélo. Et le soleil du nord Me donnera le cap, Une maison encore Une prochaine étape. Un jour je serai jeune À la fois jeune et vieux Libéré de ma gêne De ma peur d’être heureux. Et il pourra couler Bien de l’eau sous les ponts, Je laisserai aller Au gré de mes passions. Un jour de plus, une semaine, un
mois (…) Un jour je serai jeune Un peu à ma façon, Je quitterai les chaînes Je couperai le son. Et le soleil du nord Me donnera le ton La couleur d’un accord Un rythme, une chanson. Un jour je serai jeune Le temps d’un scénario Quelque part sous un chêne À chercher le bon mot. Et il pourra passer Tous les nuages noirs, Me laisserai porter Par le flot de l’histoire. Un jour de plus, une semaine, un
mois (…) Un jour je serai jeune Aussi jeune que toi Quand tu me dis : Je t’aime Je t’aime, grand-papa. Et le soleil du nord Fera briller nos yeux Le temps d’un long regard Le temps d’un dernier jeu. Un jour je serai jeune, D’aucuns diront ailleurs, Je sentirai leur gêne Et prendrai le meilleur. Et il pourra pleuvoir Et il pourra neiger Le temps d’une autre histoire Avant de se coucher. Un jour je serai jeune, chanson M.
Dufresne, novembre 2023 (FB
- Sur la page Collectif
Francopolis) |
choix Gertrude MillaireLE TEMPS CONNAÎT LE CHEMIN VERS LA VIE sur des terrains jonchés de feuilles mortes des écureuils cherchent leur nourriture novembre j’entends le souffle des morts au plus près de la gestation du monde le jour à peine plus clair que la nuit les pas dialoguent avec leur écho pour remplacer ses feuilles un arbre accueille les premiers flocons mêlés à la pluie le temps connaît le chemin vers la vie quand tout semble mort fini oublié vivre c’est un peu apprendre à guérir de la démesure de nos désirs chaque jour peu importe où l’on s’assoit on est entraîné par le quotidien voyage intérieur au cœur du réel sur les voies navigables de l’espoir des couleurs apparaissent et disparaissent reflets de paysages sur la vitre les jeux d’enfants les rêves de jeunesse nous accompagnent pendant le trajet le vent peut emporter des pans d’histoire tout ce qui fait entendre sa présence reste le chant souterrain des saisons dans le secret de l’univers nous sommes Texte,
musique et photo : Jean Perron (FB -
Sur la page Collectif
Francopolis) |
Coups de cœur des membres :
Estelle Fenzy, choix Dominique Zinenberg
Annie Deveaux Berthelot,
choix
Éliette Vialle
Yehuda Amichaï /
Abdellatif Laâbi, choix François Minod
Pascal Quignard, choix Mireille Diaz-Florian
Patricia Laranco, choix Dana
Shishmanian
Adeline Miermont Giustinati, choix Éric Chassefière
Michel Dufresne,
choix
Michel Ostertag
Jean Perron,
choix
Gertrude Millaire
Francopolis novembre-décembre 2023
Créé le 1 mars 2002