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Automne 2025

 

 

Libre parole à

Ara Alexandre Shishmanian :

 

L’Homme – Nécessité et Liberté

 

(*)

 

Victor Brauner, Cavalier du rien (1951)

(Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Sables d’Olonne,

photo prise par Dana Shishmanian, juillet 2015)

 

 

Par le destin, l’homme descend dans les dieux – les dieux se contemplent dans l’homme.

L’homme est la mesure de toute connaissance !

Les systèmes (politiques, sociaux, économiques et même naturels), du fait même qu’ils sont des systèmes, favorisent la sélection inertielle ! Paradoxalement en apparence, même l’évolution technologique ne fait qu’accroître l’inertie des systèmes !

La folie, comme l’hérésie ou, selon certains, l’opposition politique, ne représente donc rien d’autre que la contestation de l’idée fixe au pouvoir ! Une prise de position anti-idiosyncratique !

En fait, et c’est ce qui explique son déclin inévitable, la politique impérialiste d’un pays, loin d’exprimer un accroissement de vitalité, est la conséquence d’une inertie des compétences qui oriente toute la structure vers la forme d’activité la plus simple : celle fondée sur l’agressivité collective !

Une fois la masse critique d’un empire atteinte et tant soit peu dépassée, l’inertie intrinsèque de la structure devient évidente, attirant une dégénérescence d’autant plus profonde qu’elle est plus lente ! C’est peut-être ce qui se passe actuellement avec l’empire russe, mais il ne me semble pas exclus que ce soit le cas aussi avec l’empire américain ! Assisterions-nous à une crise générale de la formule impériale ?

Le pouvoir politique n’est rien d’autre que la vectorisation de l’aliénation psychologique humaine – la liberté déviée de ses buts intérieurs profonds et projetée vers l’extériorité des buts fictifs !

La politique est étrangère à la connaissance de soi – elle ne peut être qu’une détermination de l’aliénation (ou plutôt un camouflage) en tant que seule « connaissance de soi » permise – et surtout, profitable !

Asservir l’essence libre de l’homme à travers les mécanismes du « politique » et du « social » est la plus vile aliénation !

Ne pas être complice du système inconscient sous-jacent (la sous-jacence), plus profond et plus stable que tous les systèmes conscients de surface, mais aussi ne pas être complice de ces systèmes de surface eux-mêmes (politiques, sociaux, religieux ou simplement de l’ordre semi-conscient des préjugés) finit par vous mettre en danger de la manière la plus grave qui soit !

L’homme libre est l’homme le plus détesté !

L’homme, seul représentant sensible de la conscience, lutte précisément contre l’inconscient, et ce, quelle que soit la façon dont nous définirions ce dernier (Dieu, nature, état, autorité générique, etc.) !

La liberté et l’inconscient, le pouvoir et la conscience, le monde et l’homme sont des termes absolument incompatibles. C’est pourquoi, fonctionnellement et structurellement, le monde consiste en une sape permanente de l’homme.

La clé réside dans la faible individuation de l’inconscient. Car il semble évident que le « divin » et le « démoniaque » appartiennent exclusivement à cette sphère, essentiellement mimétique, de l’inconscient. Au contraire, la conscience, pour autant que nous puissions l’apprécier, appartient exclusivement à la sphère de l’humain – ou plutôt, la sphère de l’humain lui appartient, bien qu’imparfaitement !

À travers l’outil – l’expression supposée de notre évolution – se manifeste, en fait, non pas le conscient mais l’inconscient.

Le progrès technologique correspond à un progrès de l’inconscient, et non à une régression de celui-ci. Plus il y a de réalisations, plus il y a d’inconscient !...

Les ordinateurs sont les yeux de plus en plus attentifs de l’inconscient qui nous guette.

La complicité des intérêts détruit l’histoire tout comme, bien sûr, la technologie détruira la complicité des intérêts. Le moi capitaliste sera détruit par l’intellect mécanique appelé « intelligence artificielle ».

En comparant l’homme avec le chimpanzé, on peut dire que la tendance au mal dépend de la grégarité – la seule qui déclenche des relations de pouvoir, donc l’agressivité – alors que la tendance au bien dépend de l’isolement ! L’homme bon est l’homme seul !

La capacité d’être seul est le trésor le plus précieux de l’homme – l’animalité est associative (meutes, troupeaux, essaims, fourmilières...).

Le totalitarisme semble s’être imposé au XXe siècle sur fond d’indétermination de l’individu indéfiniment libre. Curieusement, la soif de liberté et la soif de sens ont généré ou, en tout cas, ont favorisé le totalitarisme. Le sens a été remplacé par le commandement, la nécessité – par l’arbitraire.

La démission de l’individu prépare le totalitarisme !

L’homme est né en se singularisant par la contemplation.

L’expression doit passer avant la possession !

La métaphysique est le seul domaine de la connaissance qui inclut par principe l’homme !

Bien sûr, l’existence de Dieu ne peut être prouvée existentiellement par l’expérience commune – il n’en est pas de même avec l’expérience mystique ! Mais, en partant des données de la nature, l’existence de l’homme, tant que la question se pose, s’avère tout aussi inexplicable et même impossible, car l’homme, artefact de la contemplation, ne peut être expliqué par la simple évolution !

Plus banalement, la preuve de l’existence de Dieu est donnée par l’existence de l’homme.

Seul l’homme assure la congruence entre Dieu et le monde ! Sans l’homme, le monde est aveugle et Dieu n’a aucun sens !

L’homme est Dieu dans le monde – nié par toutes les déterminations du monde ! Dieu est l’homme libre du monde – niant tout ce qui le niait.

On ne peut justifier la liberté de l’homme en plaçant comme primordial son rapport au monde car le monde est par définition contrainte, règne de la chose, donc le principe réifiant généralement appelé nécessité !

La liberté de l’homme n’a de sens qu’à travers la reconnaissance du divorce d’avec le monde, et plus encore, de l’incompatibilité structurelle de l’homme avec le monde ! En coexistant, ils se détruisent mutuellement !

Le destin de l’homme et surtout le destin du héros – sa forme ostentive – représente une méditation morale sur la trajectoire amorale du divin qui ne connaît ni limite ni sanction !

Le destin est le conflit entre la subjectivité de la situation qui veut être considérée comme nécessité et la subjectivité de l’individu qui veut être considérée comme liberté !

Ce qui veut dire que devant la liberté complète de l’esprit, le destin n’est rien !

Après tout, la liberté en tant que nécessité comprise est plutôt la condition de l’animal, et non de l’homme ! Pour l’homme, ce n’est qu’étant hybrique que la liberté peut être considérée comme cathartique !

La nécessité n’est rien d’autre que la forme, consolidée par l’ignorance, de l’illusion ! Plus encore, la nécessité est l’ignorance et c’est seulement dans ce sens que l’on peut dire que la liberté est nécessité comprise, c’est-à-dire ignorance dissoute, anéantie par la compréhension !

L’autre acception, qui fait de la « compréhension » une forme de soumission à une autorité – qu’elle soit religieuse ou politique ‒ doit être considérée comme absolument fausse et même toxique !

La nécessité est désespoir compris !

En fait, c’est seulement à partir de cette nécessité comme désespoir compris que l’on peut parler de liberté !

En se projetant sur l’homme, le dieu peut se penser, peut se représenter sa propre condition, d’où le destin tragique, projectif au fond, des demi-dieux !

La mesure de toutes choses fonde l’homme !

Car la mesure est à la fois double connaissance – double rencontre et double séparation...

L’homme, pont vers le surhomme ? Peut-être que c’est exactement l’inverse qui est vrai, peut-être que c’est le surhomme, avec son titanisme factice et futile, qui est un pont vers l’homme véritable !

L’homme véritable est le synonyme de la liberté !

Mais nous ne réussissons l’individuation, prémisse de la liberté véritable, qu’en sacrifiant finalement notre archétype individuel, c’est-à-dire précisément ce qui nous apparaît comme le fruit de l’individuation elle-même.

Lors du choix d’une clé, à fonction égale il est préférable de choisir le matériau le plus humble. Lorsque vous êtes vous-même votre propre clé, vous êtes libre !

 

©Ara Alexandre Shishmanian

 

(*)

 

Traduit du roumain (fragments d’un « journal d’idées » en cours de publication numérique, en plusieurs carnets, dans les Cahiers « Psychanodia » sur le site : https://adshishma.net/Publications-Accueil.html).

(D.S.)

 

Ara Alexandre Shishmanian

Francopolis – Automne 2025

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