Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout simplement de gueuler en paroles... etc.

 

Novembre-décembre 2023

 

 

Libre parole à

Dana Shishmanian :

 

Le chant de la terre

(fragments)

 

 

Une image contenant vitrail, église, bâtiment, fenêtre

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Jacques Grieu, Vierge

 

 

 

Je devrais vous maudire – car vous êtes mes bourreaux !

Vous charcutez mes chairs – vous crevez mes yeux

vous arrachez ma peau et mes cheveux

vous dépecez mes membres – vous faites exploser

mes entrailles – vous dévoyez mes eaux

vous déplacez mes montagnes – vous transformez

mes trésors en armes de guerre – vous vous disputez

mes richesses et vous pavanez de mes beautés

que vous ne savez pas admirer – juste vendre

au plus offrant telles des filles de joie au marché –

vous menez à l’abattoir mes enfants

et tuez mes embryons dans mon ventre –

vous vous entre-tuez et me faites boire votre sang

mon corps en est gorgé – je ne vous supporte plus

car vous vous nourrissez de mes plaies –

je ne supporte plus votre haine

 

(…)

 

Une image contenant peinture, art, dessin, bâtiment

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Jacques Grieu, Gratte-ciels

 

(…)

 

Je devrais vous maudire – mais j’ai bien plus pressant à faire

puisque les dieux que vous vous êtes inventés s’en occupent déjà malgré vous.

Moi, je m’inquiète pour les penseurs vrais et les sages cachés

qui se meurent dans des grottes et sur des pages de livres que plus personne ne lit

des livres qui ne se vendent pas au kilomètre et ne reçoivent pas de prix

je pleure pour les enfants du ciel que j’ai dû recevoir en mon sein –

qui les sauvera de vos désastres – eux les innocents –

puisque vos sauveurs viennent pour les pécheurs sinon pour détruire vos concurrents

puisque vos prophètes se destinent à la guerre sainte (d’un côté ou de l’autre)

puisque vos dieux sont jaloux et vengeurs et faits pour anéantir les fidèles des autres dieux –

mais eux les tués innocents qui n’ont pas donné de raison de vengeance – qui les vengera

eux les utopistes de la paix vraie – qui les écoutera qui les suivra

eux les emprisonnés les empoisonnés les torturés les tués – qui les consolera

moi je leur donne ma voix je leur donne mon chant

ma complainte mes rimes et mon âme

moi je veux les porter au repos telle une mère

et je veux qu’ils me portent telle une boule d’or minuscule

cachée dans leur esprit comme un souvenir

pour leur éclairer la route inconnue qu’ils créent en créant

en œuvrant dans l’ombre en mourant – pour ceux qui

sauront jamais les découvrir et les comprendre

 

Ceux qui vivent de leur labeur ne sont pas envieux

ne souhaitent pas la ruine du voisin et n’envahissent pas des contrées étrangères

n’entendent pas la voix de leur Dieu leur enjoignant de tuer tout le monde

ceux qui entendent l’esprit en vérité ne font pas de religions

ne prônent pas le triomphe de la leur (s’ils en ont une)

n’inventent pas de punitions pour des péchés inventés

et ne prophétisent pas l’avenir qu’ils fabulent selon leur propre doctrine

ne s’appellent pas hommes pour désigner les autres comme barbares

ne font pas la guerre à d’autres dieux en les appelant idoles

ne se proclament pas élus et seuls héritiers de la Terre

et seuls missionnés à apporter la Victoire et la Gloire du seul Dieu –

ou de la Loi ou de la Démocratie ou de la Liberté

ou de la Révolution ou de la République etcetera etcetera –

ne persécutent pas les mécréants et ne tuent pas les infidèles

ne brûlent pas les hérétiques pour sauver leurs âmes après l’abjuration sous torture

ne proclament pas que seul leur baptême sauve et seul leur paradis est vrai

et ne crient pas que leur Dieu est le plus grand – chacun dans sa langue respective –

ceux qui chantent dans leur cœur ne marchent pas au son des fanfares –

je leur donne mon chant pour qu’ils le portent au-delà du ciel au-delà de ce monde

lorsque je serai morte et livide – et tous vos déboires

seront oubliés avec vous et avec vos dieux respectifs

alors que s’élèvera encore et toujours

l’esprit de silence et de paix et d’amour.

 

© Dana Shishmanian

 

 

(*)

 

Pour accompagner la lecture de ce poème – qui est donné ici en fragments seulement – on vous recommande bien entendu la « symphonie » de Gustav Mahler Le chant de la terre (Das Lied von der Erde « symphonie pour ténor, alto ou baryton et grand orchestre », composée en 1907 sur des poèmes de Li Bai, Qian Qi, Meng Haoran et Wang Wei, traduits et adaptés en allemand par Hans Bethge ; créée en 1911 à Munich par Bruno Walther) – ici dans l’interprétation donnée par Israel Philharmonic Orchestra à Tel Aviv en 1972, sous la baguette de Leonard Bernstein, avec Christa Ludwig et René Kollo comme solistes : le lien youtube ici.

 

 

Dana Shishmanian

Francopolis novembre-décembre 2023

 

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