Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout simplement de gueuler en paroles... etc.

 

Printemps 2024

 

 

In memoriam.

Libre parole à

Refaat Alareer (1979-2023) :

 

« Si je dois mourir… »

 

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Photo reproduite de l’article-hommage dédié au poète

sur le site de l’ Union Juive Française pour la Paix (9-12-2023)

 

(*) 

 

La parole à Refaat Alareer

If I must die

If I must die,
you must live
to tell my story
to sell my things
to buy a piece of cloth
and some strings,
(make it white with a long tail)
so that a child, somewhere in Gaza
while looking heaven in the eye
awaiting his dad who left in a blaze –
and bid no one farewell
not even to his flesh
not even to himself
sees the kite, my kite you made, flying up
above
and thinks for a moment an angel is there
bringing back love
If I must die
let it bring hope
let it be a tale.

 

*

 

Si je dois mourir,
tu dois vivre
et raconter mon histoire
vendre mes affaires
acheter un bout de tissu
et quelques morceaux de ficelle,
(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)
pour qu’un enfant, quelque part à Gaza
en regardant droit vers le ciel
alors qu’il attend son papa emporté dans une explosion –
sans faire ses adieux à personne
ni à sa chair
ni à lui-même –
pour qu’il voie le cerf-volant, mon cerf-volant, celui que tu as fait, prendre
son envol
et qu’il pense alors qu’un ange est là
venu ramener l’espoir
Si je dois mourir
que cela ramène l’espoir
et que cela devienne un conte

©Refaat Alareer, 1er novembre 2023

 

Il n’y a pas de poèmes de destruction massive.

Texte de Refaat Alareer, écrit en 2015, suite à l’assaut contre Gaza mené par Israël en 2014 (« opération bordure protectrice »), traduit et publié par le  Hommage à Refaat Alareer sur le site Contretemps.eu.

Au cours du conflit actuel, l’Université islamique de Gaza (UIG), où j’enseigne la littérature mondiale et la création littéraire dans le département d’anglais, a été touchée par de nombreux missiles israéliens. Le bâtiment administratif a été sérieusement endommagé. Deux départements ont été complètement détruits : le département du personnel et les bureaux du département d’anglais. L’UIG a été créé en 1978 et a accueilli des dizaines de milliers de Palestinien.nes. Aujourd’hui, plus de 20 000 étudiant.es étudient à l’IUG, qui compte 10 facultés et plus de 70 champs d’études, allant de la médecine et de l’ingénierie aux langues, à l’éducation et à la psychologie.

Les étudiants de l’IUG et l’occupation israélienne

Lorsque j’ai commencé à enseigner à l’UIG, j’ai rencontré de jeunes étudiant.es dont la plupart n’étaient jamais sortis de Gaza et avaient beaucoup souffert de l’occupation israélienne. Cette souffrance s’est encore aggravée lorsqu’Israël a renforcé son siège en 2006. Nombre d’entre elles et eux n’ont pas pu se rendre en Cisjordanie pour rendre visite à leur famille, ni à Jérusalem pour un simple rituel religieux, ni aux États-Unis ou au Royaume-Uni pour obtenir des bourses ou faire des visites. Même les livres, ainsi que des milliers d’autres produits, n’étaient normalement pas autorisés à entrer. Le monde doit savoir que le fait de plonger cette jeune génération dans l’obscurité a des conséquences bien plus graves que nous ne l’aurions jamais imaginé.

Au début, mes étudiant.es ont eu du mal à étudier Yehuda Amichai (parce que c’est un juif israélien !) ou à accepter mes points de vue « progressistes » sur Shylock [le personnage du marchand juif de la pièce de Shakespeare Le marchand de Venise] ou Fagin [personnage juif du roman de Dickens Oliver Twist, chef d’une bande d’enfants]. Pour beaucoup, Fagin était la source du mal, l’incarnation du diable qui détruit la société en assassinant, au moins métaphoriquement, son avenir, les petits, en les transformant en voleurs et en meurtriers.

Questions difficiles

Ce n’est que plus tard qu’ils et elles ont pu ouvrir un peu les yeux et voir que Fagin n’était que le produit d’une société qui déteste ceux qui sont différents, ceux qui ont la peau plus foncée ou une race différente. Ils et elles se sont rendu compte que Fagin valait mieux que l’église elle-même. Ils ont vu que Fagin offrait un abri aux sans-abri et qu’il permettait à des gens comme Oliver de se sentir heureux et d’avoir un peu d’espoir. Fagin, le juif, n’était plus un juif. C’était un être humain, comme n’importe lequel d’entre nous. Le refus de Fagin de réveiller Oliver pour l’envoyer cambrioler une maison et son commentaire « Pas maintenant. Demain. Demain » n’étaient plus perçus comme de l’ironie, mais comme la preuve qu’un être humain avait du cœur.

La question la plus difficile que j’ai posée était : « Que feriez-vous si vous étiez Fagin ? », une question qui invitait mes étudiant.es à reconsidérer les questions de race et de religion, et à les transcender en des concepts beaucoup plus élevés d’humanité et d’intérêts partagés.

Mais les cours de Shakespeare sur le Marchand de Venise étaient plus délicats. Pour beaucoup de mes élèves, Shylock était irrécupérable. Même sa fille le détestait ! Cependant, grâce à l’ouverture d’esprit, au dialogue et au respect de toutes les cultures et religions que l’UIG promeut, j’ai travaillé en étroite collaboration avec mes étudiant.es pour surmonter tous les préjugés lorsqu’ils et elles jugent les gens, ou du moins lorsqu’ils analysent des textes littéraires.

Ainsi, Shylock est également passé de l’idée simpliste d’un Juif qui veut une livre de chair juste pour satisfaire des désirs de vengeance cannibales et primitifs à celle d’être humain [vu comme] totalement différent. Shylock était comme nous, Palestinien.nes, constamment exposé non seulement à l’agression, à la destruction et au racisme israéliens, mais aussi à sa machine de guerre de désinformation et de diffamation. Shylock a dû affronter de nombreux murs religieux et spirituels érigés par une société d’apartheid. Shylock était dans une position où il devait choisir entre la soumission totale et l’humiliation en vivant comme un sous-homme, ou résister à l’oppression par les moyens dont il disposait. Il a choisi de résister, tout comme les Palestinien.nes de nos jours.

Le discours de Shylock « Un juif n’a-t-il pas d’yeux ? » n’était plus une tentative pathétique de justifier un meurtre, mais plutôt l’intériorisation de longues années de douleur et d’injustices. Je n’ai pas du tout été surpris lorsque l’une de mes étudiantes a trouvé les similitudes entre nous et Shylock si frappantes qu’elle a modifié le discours en :

« Un Palestinien n’a-t-il pas des yeux ?

N’a-t-il pas des mains, des organes, des sens, des affections, des passions ? 

Nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, atteint des mêmes maladies, soignés par les mêmes moyens, réchauffé et rafraîchi par les mêmes hivers et les mêmes étés qu’un chrétien ou un juif ? 

Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourrons-nous pas ?

Et si vous nous faites du tort, ne nous vengeons-nous pas ? ».

Le moment le plus émouvant de mes six années d’enseignement au département d’anglais de l’UIG a sans doute été lorsque j’ai demandé à mes étudiant.es à quel personnage ils s’identifiaient le plus : Othello, avec ses origines arabes, ou Shylock, le juif. La plupart se sont senti.es plus proches de Shylock et plus sympathiques à son égard qu’à celui d’Othello. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais réussi à aider mes étudiant.es à progresser et à briser les préjugés avec lesquels ils et elles avaient dû grandir à cause de l’occupation et du siège. Malheureusement, les copies d’examen que j’avais conservées dans mon bureau ont été incendiées d’une manière qui rappelle la façon dont Shylock a été dépouillé de son argent et de ses biens. J’ai toujours voulu utiliser les réponses et les compiler dans un livre.

Un sport joyeux

Mais maintenant ! Avec tous les morts et les destructions qu’Israël fait subir aux Palestiniens de Gaza, serai-je capable de répéter cette expérience ? Pourrai-je parler de l’humanité de Fagin et des similitudes entre nous et Shylock, tout en regardant mes étudiant.es dans les yeux ?

Comment vont-ils réagir après ce qu’ils ont vu de la part des sionistes qui utilisent le judaïsme comme excuse et comme discours pour nous tuer ?

D’après les photos que j’ai vues, le département du personnel et le département d’anglais sont totalement détruits. Mon bureau, ainsi que ceux de mes collègues, ont disparu. Mon bureau où je rencontrais des centaines d’étudiant.es pour des heures de bureau et des discussions plus approfondies a disparu. La merveilleuse petite bibliothèque du département a disparu. Je ne sais pas si l’ensemble du bâtiment de cinq étages doit être démoli ou s’il peut être rénové.

Peu après l’attaque, un porte-parole de Tsahal a déclaré sur Twitter qu’ils avaient détruit un « centre de développement d’armes » logé dans l’université. Cependant, quelques heures plus tard, Israël a alourdi le motif pour lequel il a bombardé l’IUIG : dans un communiqué de presse, le ministre israélien de la défense a déclaré que « l’UIG mettait au point des produits chimiques destinés à être utilisés contre nous ». Lorsque je leur ai répondu sur Twitter, les mettant au défi de produire la moindre preuve, je n’ai bien sûr reçu aucune réponse. Nous devons prendre pour acquis qu’Israël ne ment jamais. Nous sommes même censés ignorer l’incohérence flagrante entre les deux déclarations ci-dessus. Pour nous, le mensonge, s’il n’était pas tragique, serait hilarant.

Je sais que mes étudiant.es n’arrêteront pas de plaisanter sur le fait que je développe des PDM (Poèmes de destruction massive) ou des TDM (Théories de destruction massive). Certain.es pourraient même commencer à relire certains textes à la recherche de traces chimiques, ou demander qu’on leur enseigne la « poésie chimique » en même temps que la poésie allégorique et narrative. Je suppose que les termes « histoires à courte portée » [short range stories] et « histoires à long terme » pourraient remplacer les termes normaux tels que « nouvelles » et « romans » [par analogie avec les missiles de longue ou courte portée]. Et on me demandera peut-être si mes examens comporteront des questions capables de porter des ogives chimiques !

Mais pourquoi Israël bombarderait-il une université ? Certains disent qu’Israël a attaqué l’UIG pour punir ses 20 000 étudiant.es ou pour pousser les Palestinien.nes au désespoir. C’est vrai, mais pour moi, le seul danger que représente l’UIG pour l’occupation israélienne et son régime d’apartheid est qu’il s’agit de l’endroit le plus important à Gaza pour développer l’esprit des étudiants et en faire des armes indestructibles. La connaissance est le pire ennemi d’Israël. La conscience est l’ennemi le plus détesté et le plus redouté d’Israël. C’est pourquoi Israël bombarde une université ; il veut tuer l’ouverture d’esprit et la détermination à refuser de vivre dans l’injustice et le racisme. Mais encore une fois, pourquoi Israël bombarde-t-il une école ? Ou un hôpital ? Ou une mosquée ? Ou un immeuble de 20 étages ? Il pourrait s’agir, comme l’a dit Shylock, d’un « sport joyeux » !

Blessures palestiniennes et impunité israélienne

Les blessures qu’Israël a plantées dans le cœur des Palestinien.nes ne sont pas irréparables. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous rétablir, de nous relever et de poursuivre la lutte. Se soumettre à l’occupation est une trahison envers l’humanité et envers toutes les luttes dans le monde.

Et je sais qu’il me sera très difficile d’engager mes étudiant.es dans le genre de discussions où nous, Palestinien.nes, combattons l’injustice côte à côte avec de nombreux collègues chrétiens et juifs du monde entier. Je crois cependant savoir par où commencer. Je commencerai par Ilise et Dan, mes amis juifs, que j’ai rencontrés lors de notre tournée de promotion du livre Gaza Writes Back aux États-Unis. Ils sont restés en contact permanent avec moi pour s’assurer que j’allais bien et que ma famille allait bien. Ils ont été ma lueur d’espoir face à l’obscurité et à l’oppression. Je parlerai à mes élèves de Jewish Voice for Peace (JVP) [Voix Juives pour la Paix], dont le travail considérable, notamment dans le cadre de la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), a un impact transformateur dans la lutte des Palestinien.nes. J’enseignerai à mes élèves que le judaïsme est détourné par Israël. Je leur enseignerai ce qu’Ali Abunimah [journaliste palestinien-américain, défenseur de la solution à un État] nous enseigne :

« Malgré les efforts incessants des sionistes pour les impliquer, les Juif.ves ne sont pas collectivement coupables des crimes génocidaires d’Israël contre les Palestinien.nes. S’opposer à l’antisémitisme signifie refuser catégoriquement l’affirmation du sionisme selon laquelle ses atrocités sont commises au nom des Juif.ves du monde entier ».

Et je sais qu’ils et elles demanderont si l’on en fait assez, si ces ami.es peuvent encore faire davantage pour empêcher Israël de commettre d’autres crimes horribles contre nous. Je laisse à Ilise et Dan le soin de répondre à cette question, aux militant.e.s solidaires des Palestinien.nes qui travaillent dur pour promouvoir  BDS et les JVP et qui s’efforcent de traduire en justice les criminels de guerre israéliens pour mettre fin à leur impunité. 

©Refaat Alareer, 12 février 2015.

Témoignages : « Refaat est une idée et les idées ne meurent pas »

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Reproduit du site Contretemps.eu

Mort de Refaat Alareer, poète palestinien

(Pen Club Français, communiqué de presse)

Dans la nuit du 7 au 8 décembre, les proches du poète palestinien Refaat Alareer annonçaient qu’il avait été tué dans un bombardement à Gaza City en même temps que son frère, sa sœur et quatre de ses enfants. Il était professeur de littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza et donnait des cours sur Shakespeare. Il était l’un des fondateurs de We Are Not Membersun projet qui avait pour mission de mettre en contact de jeunes écrivains palestiniens avec d’autres écrivains dans le reste du monde. Il encourageait ces auteurs à écrire en anglais. Leurs textes ont été publiés dans Gaza Writes Back et Gaza Unsilenced.

Le PEN Club français exprime sa grande tristesse de voir mourir l’un des chefs de file d’une nouvelle génération d’auteurs palestiniens, emporté cruellement comme tant d’autres civils.

Le dernier poème du poète palestinien Refaat Alareer

(Maghreb online, 14-12-2023, extrait)

En octobre, Refaat Alareer hésitait à rester chez lui au cœur de la ville de Gaza ou à fuir plus au sud avec sa femme et ses six enfants.

Alors que des avions de guerre israéliens bombardaient le nord de Gaza, les Forces de défense israéliennes (FDI) demandaient aux civils d’évacuer immédiatement leurs domiciles et de se diriger vers le sud.

Des civils comme Alareer étaient confrontés à une situation impossible. Rester à la maison et risquer d’être tué, ou essayer de fuir sans protection. À l’époque, l’écrivain et universitaire de 44 ans avait déclaré à CNN que lui et sa famille n’avaient d’autre choix que de rester dans le nord, car ils « n’avaient nulle part ailleurs où aller ».

« C’est une image archétypale palestinienne d’une discussion, d’un débat sur le fait de rester dans une seule pièce, afin que si nous mourons, nous mourions ensemble, ou de rester dans des pièces séparées, afin qu’au moins quelqu’un puisse survivre », a-t-il dit.

Professeur de littérature comparée à l’Université islamique de Gaza, Alareer était célèbre pour son rôle dans la chronique des expériences des habitants de Gaza. Il a joué un rôle clé dans l’encouragement de jeunes écrivains palestiniens et les a aidés à raconter leurs histoires en anglais, selon des amis et des collègues.

Alareer a parlé à CNN depuis la ville de Gaza les 12 et 13 octobre. Il a donné son consentement par écrit pour partager l’enregistrement en cas de son décès.

Des semaines plus tard, le 7 décembre, Alareer a été tué par une frappe à Shajaiya, dans le nord de Gaza, a confirmé son ami et collègue, Jehad Abusalim, à CNN. Il séjournait avec son frère, sa sœur et ses quatre enfants, qui ont également été tués, selon Abusalim, écrivain de 35 ans basé à Washington, DC.

Il laisse derrière lui sa femme et des enfants âgés de 7 à 21 ans. CNN n’a pas pu joindre les membres de la famille d’Alareer.

En 2014, Alareer a édité Gaza Writes Back, une collection de nouvelles de jeunes écrivains documentant leur vie sous le blocus israélien. Il était également co-éditeur de Gaza Unsilenced, une collection d’essais, de photos et de poésie publiée en 2015 qui documentait la douleur, la perte et la foi des Palestiniens sous le siège israélien. Il a également contribué à Light in Gaza : Writings Born of Fire, une anthologie publiée en 2022. Originaire de la ville de Gaza, il a étudié à University College London et à SOAS, à Londres.

Il a été co-fondateur de « We Are Not Numbers », une organisation à but non lucratif qui vise à amplifier les voix des jeunes Palestiniens vivant à Gaza et dans les camps de réfugiés.

Refaat Alareer : « Si je dois mourir, que ce soit pour apporter de l’espoir »

(Nadda Osman, Chronique Palestine, 10 décembre 2023, extraits)

Les hommages affluent pour Refaat Alareer, éminent universitaire et poète palestinien, qui a été tué par une frappe aérienne israélienne le 6 décembre. Militant, écrivain, traducteur et professeur de littérature à l’université islamique de Gaza, Refaat Alareer a inspiré une génération d’écrivains palestiniens à Gaza.

Sa famille a rapporté qu’il avait été tué dans la maison de son frère dans la ville de Gaza, avec son frère, sa sœur et quatre de ses enfants. (…)

Alareer contribue régulièrement à la plate-forme en ligne The Electronic Intifada, où il parle de l’assassinat de ses étudiants, de ses sources d’inspiration et de l’impact du siège israélien sur les gens sur le terrain.

En 2014, des frappes aériennes israéliennes ont tué son frère Mohammed – qu’il surnommait Hamada – ainsi que le grand-père de sa femme, le frère de celle-ci, sa sœur et les trois enfants de sa sœur. Son appartement a également été détruit la même année. Il a précédemment déclaré que lui et sa femme, Nusayba, avaient perdu plus de 30 membres de leur famille dans les attaques israéliennes.

Lors de l’assaut israélien de 2021 sur Gaza, il a publié un article d’opinion dans le New York Times, dans lequel il décrit la vie sous les bombardements. « Je suis pris entre le désir d’emmener la famille à l’extérieur, malgré les missiles, les éclats d’obus et les débris qui tombent, et celui de rester à la maison, comme des cibles faciles pour les avions américains pilotés par les Israéliens », écrit-il. « Nous sommes restés à la maison. Au moins, je me suis dit que nous allions mourir ensemble ».

Depuis qu’Israël a lancé une campagne de bombardements incessante sur Gaza le 13 octobre, Alareer est l’une des nombreuses voix actives de Gaza qui écrivaient régulièrement des mises à jour sur les médias sociaux, participaient à des interviews et publiaient des poèmes. Sa maison avait été bombardée au début de la guerre, ce qui l’avait contraint, lui et sa famille, à se réfugier ailleurs, mais il a refusé de quitter la ville de Gaza.

Dans le cadre de l’assaut israélien actuel, au cours duquel plus de 17 000 Palestiniens ont été tués en deux mois, Alareer a rappelé son insistance à rester chez lui.

« Combien de sang, combien de vies palestiniennes, combien de fois devrons-nous partir pour qu’Israël soit satisfait ? Nous ne partons pas non plus parce que nous ne voulons pas d’une autre Nakba. »

©Nadda Osman, journaliste et rédactrice britannico-égyptienne basée au Royaume-Uni.

Elle réalise des reportages sur les droits de l'homme, les questions sociales, la culture et les arts.

La destruction de la culture du peuple palestinien

(Stathis Kouvélakis, Contretemps.eu, 14-12-2023)

Le caractère génocidaire de l’assaut que mène Israël ne se mesure pas seulement au nombre de mort·es, de blessé·es, aux destructions des infrastructures, du bâti, aux déplacements massifs de population, à la terreur quotidienne. L’une de ses dimensions essentielles est la destruction de la culture du peuple palestinien, l’arasement de son patrimoine, la destruction de ses institutions, l’assassinat de celles et ceux qui en sont les représentant.es éponymes. 

Car « Gaza » n’est pas seulement le nom d’une « enclave », d’une « bande [de terre] », voire du « bastion des terroristes du Hamas », auquel la réduisent le discours dominant et les réalités d’un blocus terrifiant en place depuis 16 ans avant le début du carnage actuel. Gaza est une ville qui existe sans discontinuité depuis l’Antiquité, un carrefour commercial majeur, riche d’un patrimoine architectural et culturel exceptionnel.

C’est à la fois la ville d’Isidore, philosophe et chef de l’école néo-platonicienne d’Athènes (vers la fin du 4e siècle), de Sulaïman Al-Gazzi, poète et théologien chrétien de langue arabe qui a vécu entre le 10e et le 11e siècle, ou encore d’Al-Chafii (767-820), juriste et ouléma, fondateur de l’école de jurisprudence dite chaféite, de Nathan Ashkenazi dit Nathan de Gaza (1643-1680), théologien juif et prophète du messie auto-proclamé Sabbataï Tsevi (auquel Gerschom Scholem, l’ami de Walter Benjamin, a consacré un livre qui fit date).

Gaza, c’est aussi, depuis la révolte de 1936-1939 contre le colonisateur britannique et le sionisme, le creuset du mouvement national palestinien, le lieu de naissance de plusieurs cadres fondateurs du Fatah et de l’OLP, un terrain d’opération de la résistance armée depuis les années 1950 mais aussi le lieu où débuta l’Intifada de 1987 et d’où partirent les pacifiques Marches du retour de 2018, noyées dans le sang par l’armée israélienne.

C’est en ayant tout cela en tête qu’on peut saisir le poids des mots, extraits d’un article du Monde, d’un réfugié de 83 ans qui a réussi à atteindre la France, après la destruction totale de la tour Andalus, l’un des bâtiments modernes les plus connus de la ville de Gaza, où il habitait : « Cette terre a accueilli toutes les civilisations possibles depuis trois mille ans, et tout le monde la veut. La promesse de cette terre est celle de l’humanité ».

En plus de la vie et des biens de ses habitant.e.s, c’est l’identité même ce lieu mythique qu’Israël est déterminé à éradiquer, dans la droite ligne de la politique de destruction de l’histoire et de la mémoire de la Palestine qu’il pratique sans relâche depuis sa création. La population gazaouie est, du reste, constituée à plus de 80% de réfugié.es (et de leurs descendants) de l’ancien district de Gaza, bien plus étendu que le territoire actuel et dont la majeure partie fut conquise par l’État sioniste en 1948.

Le déluge de bombes qui s’est abattu sur ce territoire de 360 km2 depuis 8 semaines s’est ainsi soldée par la destruction de plus d’une centaine de sites et de monuments de première importance, dont la Grande Mosquée, l’une des plus anciennes de Palestine, l’église grecque orthodoxe de Saint-Porphyre, considérée comme la troisième plus ancienne au monde au fonctionnement interrompu, un cimetière d’époque romaine et le musée de Rafah, qui abritait une part essentielle du patrimoine culturel gazaoui, avec des collections qui allaient de l’Antiquité à l’art contemporain.

La vidéo de la directrice du musée Sulaila Shaheen, tournée au milieu des ruines du bâtiment, donne une idée de l’ampleur du désastre.

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La bibliothèque publique de Gaza après le bombardement (photo diffusée sur X par la municipalité de Gaza).

La bibliothèque publique de Gaza a été réduite à un amoncellement de gravats, ainsi que le principal centre d’archives qui abritait des documents remontant à plus d’un siècle. Réagissant à cette destruction, la réalisatrice palestinienne Bisan Owda a publié ce post sur Instagram depuis Gaza :

« Maintenant, nous n’avons littéralement plus rien. Le futur est inconnu, le présent est détruit et le passé n’est plus notre passé… Pouvez-vous imaginer qu’ils soient en train de faire tout ça pour nous détruire en profondeur ? ».

D’autres bibliothèques publiques et institutions éditoriales majeures ont également été détruites, notamment la Meqdad Printing Press & Library, l’une des plus anciennes de Gaza. 

Mais la fureur israélienne ne s’abat pas seulement sur les monuments, les traces du passé ou sur la culture vivante. Elle cible également des lieux hautement symboliques de la lutte de libération et de ses figures emblématiques, au-delà même de Gaza. Le 27 octobre, la Fédération Internationale des Journalistes a condamné la destruction à Jénine, en Cisjordanie, du sanctuaire où la journaliste palestinienne-américaine, Shireen Abou Akleh, a été abattue l’année dernière par un soldat israélien. Le 14 novembre, c’est un monument à la mémoire de Yasser Arafat qui est détruit par un bulldozer israélien.

Mais c’est sur l’une de ses cibles habituelles, l’Université Islamique de Gaza (UIG) que l’aviation israélienne s’est particulièrement acharnée, dès le 11 octobre, achevant l’œuvre de destruction entamée lors des précédentes attaques menées contre Gaza. À chaque fois, le même prétexte est invoqué (cf. la vidéo diffusée par Tsahal) pour justifier le bombardement : l’UIG est censée être « un centre d’entraînement, de développement d’armes et de renseignement militaire », devenant ainsi un « important centre opérationnel, politique et militaire du Hamas ».

La réalité est, bien entendu, tout autre, à savoir que l’UIG est, d’une certaine façon, le centre nerveux de la résistance du peuple gazaoui, car elle est le lieu où se forment chaque année des dizaines de milliers de jeunes, un espace où la société prend sa respiration et où se forment les cadres du combat quotidien d’aujourd’hui et de la Palestine libre de demain. Et c’est précisément pour cela qu’elle est la cible constante de l’État sioniste.

Refaat Alareer était l’un des enseignants qui contribuaient depuis de longues années au rayonnement de cette université. Professeur de littérature anglaise, on venait de loin pour assister à ses cours iconoclastes sur Shakespeare et Dickens, pour lesquels il vouait un véritable culte. Refaat Alareer était également poète, traducteur, fondateur de l’association « Nous ne sommes pas des chiffres » qui réunissait des écrivains du monde entier et des jeunes de Gaza pour « raconter les histoires qui se cachent derrière les données chiffrées sur les Palestinien.nes qui figurent dans les journaux ».

Il a également dirigé deux recueils réunissant témoignages et écrits de jeunes auteurs et autrices gazaouies parus en langue anglaise, qui ont connu une large diffusion Gaza Unsilenced [Gaza non-réduite au silence] et Gaza Writes Back : Short Stories from Young Writers in Gaza, Palestine [Gaza riposte en écrivant : nouvelles de jeunes aut.eur.rices de Gaza, Palestine].

On l’aura compris, Refaat Alareer était un acteur culturel gazaoui de premier plan, un intellectuel accompli profondément lié à son peuple, et, par là-même, une boussole essentielle de sa résistance et de son combat. C’est pourquoi, Israël a décidé de l’abattre comme il l’a toujours fait avec des centaines de cadres dirigeants et de militant.es palestinien.nes. Selon le communiqué de l’ONG Euro-Med Human Rights Monitor, publié le 8 décembre et qui appelle à une enquête immédiate : « Mercredi [6 décembre] vers 18h, Refaat Alareer a été tué dans la maison de sa sœur dans le quartier d’al-Sidra dans la zone d’al-Daraj dans la ville de Gaza avec son frère Salah et l’un de ses enfants (Mohammed) ; sa sœur Asmaa et trois de ses enfants (Alaa, Yahia, et Mohammed); et un voisin. La femme de son frère, Alaa, et deux autres enfants, Rafik et Alma, ont été blessés lors de l’assaut. »

La frappe aérienne a visé chirurgicalement l’appartement du deuxième étage où se trouvait Refaat dans un immeuble de trois étages, et non l’immeuble entier, ce qui indique que l’appartement était la cible et non d’éventuels dommages collatéraux. Refaat a été déplacé à plusieurs reprises au cours de cette guerre et s’est retrouvé chez sa sœur avec ses parents, sa femme et ses enfants. Il y a quelques jours, Refaat a déménagé avec sa femme et ses enfants dans une école de l’UNRWA dans le quartier d’al-Tufah à Gaza. L’un de ses amis proches a déclaré à Euro-Med Monitor que Refaat avait reçu un appel anonyme d’une personne qui s’est présentée comme un officier israélien et qui l’a menacé en lui disant qu’ils connaissaient précisément l’école où il se trouvait et qu’ils étaient sur le point d’arriver à son emplacement avec l’avancée des troupes terrestres israéliennes. Bien que la crédibilité de la menace elle-même n’était pas claire, elle a incité Refaat à retourner dans l’appartement de sa sœur, estimant qu’il était mieux caché qu’une école ouverte et surpeuplée où il aurait été difficile de se dissimuler.

Depuis le début de cette guerre, Refaat avait reçu de nombreuses menaces de mort et des messages haineux venant de comptes israéliens sur les media sociaux (…). En 2014, Israël avait bombardé la maison de Refaat à Shejaiya et tué plus de 30 membres de sa famille et de celle de sa femme.

©Stathis Kouvélakis

Hommage d'un étudiant à Refaat Alareer, le conteur bien-aimé de Gaza

(Yousef M. Aljamal, The Markaz Review, 18-12-2023. Une version antérieure de cet article a été publiée dans TRT World)

Il est difficile d'écrire sur Refaat Alareer, la personne qui nous a inculqué, à moi et à tant d'autres jeunes de Gaza, l'amour de l'écriture. Maintenant que je suis en train d'écrire cet article d'adieu pour lui, les mots me manquent. Curieusement, je n'ai pas l'impression qu'il soit parti. Il est difficile de croire qu'il n'est plus qu'un souvenir, difficile d'accepter qu'il ne se montrera plus jamais dans sa classe, qu'il ne partagera plus son esprit et l'humour pour lequel il était célèbre.

Pour ceux d'entre nous qui l'ont connu au fil des ans, Refaat est immortel - c'est une idée, et les idées ne meurent pas. Refaat est un mot et une histoire, Refaat est un stylo et un jeu de mots. Refaat est notre poète, notre conteur et notre mentor.

Né en 1979, fils du quartier Al Shujaiya de la ville de Gaza - il aimait se présenter ainsi -, Refaat a été une source d'inspiration pour toute une génération de Palestiniens qui ont grandi sous le siège de Gaza, des jeunes qu'il a guidés et soutenus pour qu'ils deviennent des conteurs.

Refaat était tellement énergique et généreux de son temps que de temps en temps, on avait l'impression qu'il pouvait être présent à deux endroits différents en même temps. Son enseignement était universel, nous faisant découvrir Malcolm X, John Donne, Shakespeare et Edgar Allan Poe, ainsi que les œuvres d'auteurs palestiniens tels qu'Edward Said, Susan Abulhawa, Ibrahim Nasrallah et Mourid Bargouthi, entre autres.

Refaat nous a raconté que c'est sa grand-mère, Kamla, qui lui a transmis l'amour des histoires. Son grand-père lui offrait des cadeaux pour qu'il reste avec lui, mais Refaat choisissait toujours les histoires de sa grand-mère.

Dans une conférence TEDx qu'il a donnée en 2015, Refaat a cité un Canadien autochtone demandant aux colonisateurs : « Si c'est votre terre, où est votre histoire ? » L'histoire qu'il connaissait de la Palestine et de Gaza était le moyen pour Refaat de prouver son lien avec la terre de ses ancêtres.

Au début de sa vie, Refaat a été blessé par balle à trois reprises. Il a survécu et en est sorti plus fort. « Je n'ai jamais été pris de ma vie. On m'a tiré dessus trois fois avec des balles en métal recouvertes de caoutchouc et je n'ai été battu que lorsque les soldats ont pris d'assaut notre maison », a-t-il écrit.

L'oncle de Refaat, Tayseer Alareer, a été tué par les forces israéliennes alors qu'il travaillait sur ses terres en 2001 à l'est d'Al Shujaiya et son frère Hamada a également été tué par Israël en 2014. À peu près au même moment, la maison familiale de Refaat a également été détruite. Lorsque les Israéliens détruisent une maison, les occupants reviennent au bout d'un certain temps pour récupérer des objets de valeur tels que des bijoux, des objets de famille ou des photos ; Refaat a creusé dans l'amas de béton et d'acier à la recherche d'écrits de ses étudiants.

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Gaza Writes Back est publié par Just World Books.

Refaat aimait beaucoup la littérature, à tel point que l'un de nos camarades de classe a plaisanté un jour en disant qu'il gardait une copie d'Hamlet sous son oreiller lorsqu'il dormait. Refaat a ri en entendant cette plaisanterie. Grâce à son humilité et à sa simplicité, beaucoup de ses élèves sont devenus ses amis proches. Il pouvait être dur avec les notes, mais nous l'aimions quand même, car nous savions que l'impact des notes durement gagnées durerait plus longtemps.

Le lien entre Refaat et ses élèves ne se limitait pas à la salle de classe. Il nous invitait souvent à suivre des cours en plein air ou près de la plage, qui est maintenant sous l'occupation des forces israéliennes. Il nous invitait à prendre un café et prenait toujours de nos nouvelles et de celles de nos familles.

En 2014, Refaat a édité une anthologie dans laquelle il a rassemblé quelques-uns des meilleurs textes qu'il a pu trouver. Inspiré par l'anthologie Empire Writes BackRefaat a choisi Gaza Writes Back: Histoires courtes de jeunes écrivains de Gaza comme titre. Il voulait que cet ouvrage soit la voix de Gaza au monde. Peu après la fin de la guerre israélienne de 2008-2009 contre Gaza, il a demandé à ses élèves, dont je faisais partie, d'écrire des nouvelles dans le cadre d'un travail scolaire, et il a choisi certaines de ces nouvelles et les a publiées.

Avec ce livre, Refaat voulait démentir les affirmations sur les Palestiniens de Gaza par le biais de la littérature, car il pensait que la littérature était universelle et intemporelle et qu'elle pouvait être lue à n'importe quel moment dans le futur comme si elle avait été écrite aujourd'hui. Gaza écrit en retour a été traduit en malais, en turc, en italien et en bengali.

Refaat pensait que les histoires avaient un énorme pouvoir de transcendance sur les idées et les personnes. Il avait l'habitude de nous dire que le mouvement sioniste n'a pas colonisé la Palestine en une seule fois - les sionistes ont travaillé pendant des décennies pour construire un récit justifiant l'occupation de la Palestine. Le sionisme a d'abord créé une patrie imaginaire dans l'esprit de ses adeptes par le biais de la mythologie et des histoires.

Selon Refaat, pour que les Palestiniens gardent leur mémoire et leur cause vivantes, ils doivent continuer à raconter leur version de l'histoire. Si nous arrêtons de raconter des histoires, nous trahirons nos ancêtres, nous rappelle-t-il constamment.

En 2014, j'ai voyagé avec Refaat Alareer et Rawan Yaghi, un autre contributeur à son anthologie, aux États-Unis pour parler de Gaza et de la culture du conte en Palestine. Refaat a toujours laissé un impact énorme sur les personnes qu'il a rencontrées. Nous avons parcouru sept États ensemble, prenant la parole dans des églises, des syndicats, des centres communautaires et des écoles, et Refaat a utilisé ses connaissances et son sens de l'humour pour transmettre efficacement l'histoire de Gaza.

La femme et les enfants de Refaat se trouvaient à un autre endroit lorsqu'il a été tué. Il parlait toujours de ses enfants et de ce qu'ils représentaient pour lui.

Refaat avait un sens de l'humour noir et le langage était son jeu. Il n'hésitait pas à faire des blagues ou des jeux de mots pour amuser son entourage. Il possédait de multiples compétences et était actif sur les médias sociaux, tweetant sur Gaza en anglais. Un jour, il a demandé à ses étudiants de créer un compte Twitter/X et de tweeter en anglais pour leur transmettre la graine de la narration. C'est grâce à son utilisation des médias sociaux que de nombreuses personnes à travers le monde ont appris à connaître Refaat.

Il se trouve que j'étais sur le même vol que Refaat en 2013. Nous nous dirigions tous deux vers des études de troisième cycle en Malaisie, Refaat pour son doctorat et moi pour mon master. Il m'a demandé si j'avais un endroit où loger, ce à quoi j'ai répondu par la négative. Il m'a invité à rester avec lui jusqu'à ce que je trouve un logement. Il était si gentil avec moi, mais son humour noir était toujours présent. Après mon départ, j'ai dîné chez un autre ami et j'ai affiché que je pouvais enfin dire que j'avais dîné. Il m'a traité d'"ingrat" et m'a demandé d'acheter une pastèque - un fruit que les Palestiniens adorent - et de lui rendre visite pour lui montrer mes remords, ce que j'ai fait.

Refaat était une menace pour le récit israélien et c'est pourquoi les services de renseignement israéliens l'ont appelé pour lui dire qu'ils allaient l'attraper et qu'ils savaient qu'il s'était réfugié dans une école. Refaat a choisi de quitter l'école et de se rendre chez sa sœur, où il a été tué par une frappe aérienne israélienne à 18 heures le 6 décembre.

Dans son introduction à Gaza écrit en retour, Refaat cite Chinua Achebe et écrit : « Les conteurs sont une menace. Ils menacent tous les champions du contrôle. Ils effraient les usurpateurs du droit à la liberté de l'esprit humain ».

« Il y a une Palestine en chacun de nous, une Palestine qui a besoin d'être sauvée, où tous les peuples, indépendamment de leur couleur, de leur race et de leur religion, peuvent coexister... La Palestine est à un martyr près, à un missile près, à une larme près ou à un gémissement près, la Palestine est à une histoire près », a-t-il écrit.

Les histoires de Refaat nous ont toujours rapprochés de notre patrie et nous nous souvenons de Refaat portant un livre à la main et se précipitant à un autre rendez-vous, toujours multitâches. Comme Refaat l'a souhaité dans un poème intitulé « Si je dois mourir », qu'il a écrit en 2011, mais qui a été épinglé à son calendrier en novembre 2023, nous transformerons votre histoire en un conte.

La veille de son assassinat, Refaat a confié à un ami proche qu'il se sentait fatigué après 60 jours, car il s'occupait de dizaines de personnes qui avaient besoin de nourriture et de médicaments pour survivre. Chaque jour, il parcourait des kilomètres pour trouver un accès à l'internet et rendre compte de ce qui se passait à Gaza. Dimanche, il m'a écrit qu'il avait vu des destructions dans l'ouest de la ville de Gaza semblables à celles de la Seconde Guerre mondiale.

Comme Refaat voulait que son assassinat soit un espoir pour les Palestiniens, les gens du monde entier devraient en faire autant. Voir toutes ces traductions de ses poèmes et de ses photos dans des dizaines de manifestations et de veillées à travers le monde, c'est ce que Refaat voulait, que son message soit transmis au plus grand nombre. Refaat n'est pas mort, il s'est multiplié, comme le dit l'écrivain palestinien Susan Abulhawa, parce que Refaat est une idée et que les idées ne meurent pas.

©Yousef M. Aljamal

 

(*)

 

Ce poème a été écrit en 2011, comme l’atteste l’un des étudiants de Refaat Alareer dans son hommage au maître (voir ci-dessus), mais a été épinglé par l’auteur à son calendrier le 1er novembre 2023, comme un testament, se sachant, avec tous les habitants de Gaza, en danger de mort depuis le début des attaques d’Israël le 13 octobre 2023, faisant suite aux massacres perpétrés par le Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre.

Refaat Alareer (1979-2023) ne faisait pas partie du Hamas… comme n’en faisaient et ne font pas partie non plus les milliers de civils gazaouis tués sous les bombes depuis, dont une très large majorité de femmes et d’enfants, ou qui continuent encore d’être massacrés, chassés et affamés par l’armée israélienne. Refaat Alareer était poète anglophone, traducteur, et professeur de littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza. Il a été traqué par l’armée israélienne de refuge en refuge, jusqu’à ce qu’un bombardement ciblé touche le 6 décembre 2023 l’étage de l’immeuble où il avait trouvé son dernier abri avec sept membres de sa famille, dont quatre enfants.

Ce poème-testament a été traduit en de nombreuses langues et postés sur de nombreux sites ; je n’ai pas trouvé d’indication concernant l’auteur ou l’autrice de la traduction française la plus répandue, la seule traduction signée repérée – légèrement différente de celle citée ci-dessus – étant celle de Nada Yafi sur le site ORIENTXXI.

Les infos et réactions glanées sur la toile que je reproduis ci-dessus – dont un texte majeur de Refaat Alareer lui-même – font entendre pour nous, aujourd’hui, la voix d’une conscience pacifiste, universaliste et libre, que le monde des armes de destruction – visant autant les vies humaines que la culture d’un peuple – ont voulu faire taire par l’assassinat. Oui, il était un juste et un sage, sachant distinguer et faire distinguer à ses étudiants, entre antisémitisme et antisionisme, et faire reconnaître le racisme et le fanatisme aveugle de quel côté qu’ils se trouvent : ils poussent toujours au crime tant individuel que de masse, surtout au crime anti-culture et anti-esprit, car, comme disait le professeur de littérature, « La connaissance est le pire ennemi » d’un pouvoir qui, en écrasant une autre nation, détourne sa propre nation de ses vérités fondamentales. (D.S.)

 

 

In memoriam : Refaat Alareer

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