I
L’orée
L’horizon
La marge
La margelle
Et ce qui dort encore à l’aube
Paupières closes.
Les clôtures des prés
Les barbelés dans les têtes
Les barbelés dans les cœurs
Les barbelés qui séparent
Les murs qui divisent
Les échafaudages qui ravagent
Les seuils à ne pas franchir
Les limites à ne pas dépasser
Les frontières à défendre
Les frontières à ne pas envahir
Les frontières franchies qui sauvent
Les frontières-obstacles qui font
barrage
Basculer dans les confins
Trouver l’orée qui protège
Sonder l’horizon qui recule
Écrire en marge de l’oubli
S’asseoir au bord de la margelle
Puiser l’eau, la vie, la sève
S’envelopper des franges
De l’éveil.
Échapper au linceul de la finitude
Avec à l’horizon le chant qui
transcende
À l’orée le bruissement des feuilles
Aux confins le chant ressuscité des
oiseaux
À la limite, le souffle de toutes les
fleurs
Sur le fil ténu de la vie, la
cicatrice de l’extase
La chaîne d’or de l’ultra son
Le pas du funambule affranchi de
l’ornière
La ligne épurée de la crête
Le filament de la joie
Dans le regard d’un enfant
Les nuages et les vents se riant des
frontières
Les traces d’une aura de langues
mortes
Les trous noirs qui engendrent
l’espace-temps
Jusqu’à délier tous les passages
Vers l’infini.
II
Les nuages et les vents se riant des
frontières
Sont des passeurs professionnels.
Ils glissent dans les interstices,
Dans les rainures, dans les fêlures
Et jouent avec les franges des
harpes.
On les croirait funambules, on les
croirait passe-murailles
Et ils ne sont qu’oiseaux blessés.
On meurt de la défendre,
On meurt de la surprendre,
Elle est mythique et fantasmée
On la conquiert,
On la défend,
Elle est à portée de voix,
On l’enjambe,
Elle est là : on l’a tant
désirée, chérie, rêvée
Elle se dérobe,
On refuse ce pas minuscule
Qui sauverait :
Des barbelés se dressent,
Des fils de fer,
Des crosses,
Des fusils
Comme on fait peur
Que de regards hostiles,
De visages fermés
Et l’on se dit que
Seuls
Les nuages et les vents se riant des
frontières
Sont des passeurs professionnels.
III
De l’aube à l’aurore
Quel passage !
Du rire aux larmes
Quelle bascule !
Du pas au-deçà,
Au pas au-delà
Quelle mascarade !
Le fil ténu de la frontière
O fondrière !
La corde si menue
La transparence du ruisseau
Qui sépare
L’ailleurs de l’ici
Si fragile le souffle
Qui délimite
L’horizon
Abondant, débordant
Comme un amour.
De la naissance à la mort
Quelle traversée !
De la nuit au jour
Une flèche perçant le rêve
Comme un abcès
Voilà la voie royale !
Et l’aura entourant
Nos silhouettes
Une armure de brume
Faisant lisière
Faisant caresse
Pour l’intime sacré.
© Dominique Zinenberg
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