Les
yeux rougis par l’ennui, il traverse la vie, creuse son sillon et de tout
son poids de néant se vautre dans la fange, puis repart de nouveau dans ses
nuées de papier, prêt à tout pour sauver les quelques mots qu’il a
accumulés durant toutes ces années. Et il va et il court et il crie et il
dévore ce qui peut l’être encore dans la nuit carnivore. Ses grandes ailes noircies
par les volutes de fumée lui rappellent les jours d’hier quand l’avenir
était encore à venir.
Nonobstant,
il s’enfonce dans les limbes du verbe encore et encore pour défier
l’inexorable. Cet homme-là porte son
ombre en bandoulière et puise dans sa besace les nourritures célestes des
abîmes ordinaires.
Jusqu’à
plus faim.
Jusqu’à
plus soif.
Il
sait qu’un jour la source sera tarie, que son ombre si souvent exposée à la
lumière du jour disparaîtra à jamais. Il sait tout cela depuis le début
mais rien ne l’arrête dans sa quête, il est pris par le vertige des mots à
sauver à tout prix, des mots condamnés, croit-il par l’emprise des images
qui, de toute part se déversent à flot continu, de jour comme de nuit, à l’extérieur
et à l’intérieur aussi ; images qui jaillissent dans la ville policée,
traversent les écrans et pénètrent dans les esprits pour les halluciner. Il
se bat avec ses mots, ses maudits mots qu’il aime par-dessus tout. Il pense
en être le dépositaire, le protecteur. Il est prêt à tout pour conjurer le
sort.
Dans
trente ans, peut-être moins, on parlera de lui comme le dernier Don Quichotte
Gutenberg, et les enfants joueront avec ses mots qu’il se lanceront comme
un ballon virtuel dans la cyber-galaxie.
© François Minod,
2012
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