Le visage de l'autre
(1)
De dos je l'aperçois... Est-ce
elle ? Vraiment ? Cette courbure en bas des reins, cette allure,
je presse le pas, la foule est dense, j'hésite, je veux et ne veux pas
savoir, je ralentis, elle est à ma portée, à portée de regard, il suffirait
que j'accélère un peu pour voir son visage.
Subitement elle tourne, disparaît de
mon champ de vision, je sens battre mon cœur, je la perds, il faut que je
la rattrape, je veux y croire, il y a d'autres couloirs, c'est une immense
toile, et je cours à droite puis à gauche, je ne sais plus, mon cœur
s'emballe et ma tête et mon sexe et tout mon être. Ne sais plus où elle est
passée, je l'ai laissé filer, c'est comme ça à chaque fois, je veux et ne
veux pas la voir, de dos oui mais pas de face, ne sais pas la raison, ne
veux pas savoir. Et tandis que je parle, elle a disparu. Je reste avec
cette impression d'elle, je l'ai perdue encore une fois et ne saurai
peut-être jamais quel est ce visage dont l'empreinte me hante.
*
Le visage de l'autre
(2)
Disparue, évanouie, éclipsée. Envolée
peut-être ?
Pourtant elle était là, à côté, j'aurais
pu la toucher, l'embrasser, la serrer dans mes bras et tant de choses
encore. Mais tout à coup plus personne, plus d'image non plus, juste un
voile.
Était-ce vraiment elle ? Ou juste un
nom sans visage, près de moi dans la nuit ?
*
Le visage d'autre
(3)
Mettez-vous de face ? Oui comme ça,
pour qu'on voit votre visage, encore un peu. Voilà, merci. Ne bougez plus
maintenant, ne parlez plus, ne riez plus, ne respirez plus, ne pensez plus,
on y est presque, encore un petit effort, ça va venir. Regardez bien en
face.
Ça y est, vous êtes une image.
François Minod, Au fil de l'autre, Ed.
Hesse 2008 (extraits)
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