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    C'est arrivé comme ça, sournoisement,
    on ne l'a pas vu venir, ça s'est installé sans qu'on y prenne garde; d'abord à l'extérieur, le ciel s'est couvert
    petit à petit, le soleil a décliné puis tout s'est assombri jusqu'à devenir
    gris cendre: les arbres, les maisons, les immeubles, les voitures, les
    vélos, même les feux de la circulation sont devenus gris cendre. Et puis ça
    s'est propagé à l'intérieur, dans les appartements, les magasins, les
    restaurants, les agences bancaires, les études de notaire... 
    On
    aurait pu en rester là, mais non, il a fallu que le gris se propage aux
    objets usuels - les crayons, les chemises, les boîtes à ciseaux, sans
    compter les haricots verts, les grappes de raisin et les coléoptères. 
    Las, on se dit que ce monde gris va
    nous mener à la mélancolie. Eh bien c'est exactement ce qui s'est passé.
    Après s'en être pris aux objets, voilà que le gris contamine les humains
    non seulement dans leur apparence physique mais aussi dans leur façon
    d'être, de sentir, de penser et d'aimer. Le plus étrange, c'est que
    personne ne s'est vraiment rendu compte du changement, comme si cette œuvre
    au gris, au gris cendre, accomplissait sa triste besogne à l'insu de tous,
    comme si les traces de ce qui faisait la couleur de la vie s’étaient
    effacées de la mémoire des hommes, inexorablement, dans une lente reptation
    vers le monde gris de l'ennui. 
      
    ©
    François Minod   
      
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