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Pieds des Mots : Archives

 

PIEDS DES MOTS

Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre, un objet de la nature ou de l’art...

Le principe des Pieds des mots est de nous partager l'âme d'un lieu, réel ou imaginaire, où votre cœur est ancré...

 

Novembre-Décembre 2022

 

Mireille Diaz-Florian :

Chroniques de novembre

 

(textes inédits)

 

Une image contenant arbre, plante, extérieur

Description générée automatiquement

Photo de l’autrice

 

 

Corps de nuit

 

L’hôpital est un grand paquebot arrimé aux quais de la ville. Ses feux clignotent doucement dans la nuit.

Dans les coursives se glissent les brancardiers. On pénètre dans les salles de machines plongées dans une lumière bleutée.

À cet endroit s’organise un ballet parfaitement rigoureux où le corps est saisi, soulevé, reposé, relié par des fils aux écrans de contrôle.

Tu fermes les yeux pour sentir le glissement ordonné des gestes sûrs.

Tu écoutes les voix, quête sous les masques les regards anonymes.

Tu t’abandonnes au tangage.

 

Les heures nocturnes ont cette propriété de s’expanser jusqu’à rendre imperceptible l’écoulement du temps et au contraire en révéler l’intensité. 

Maintenant, tu regardes de très loin l’espace de la chambre.

La porte est restée ouverte sur le couloir plongé dans l’ombre.

On devine le passage discret d’une infirmière.

Tu cherches dans l’insomnie ce qu’elle procure d’apaisement.

 

Le regard s’épuise dans le contour des choses. Il n’y a rien à saisir sinon à suivre des yeux un rai de lumière sur le mur.

Tu devines, au-dehors, la pesanteur de la nuit.

Le corps s’ajuste pour accueillir un bref déplacement sans risquer de déclencher la douleur à l’entrée des cathéters.

Tu découvres la force du mouvement infime qui à lui seul confirme la vie.

Tu guettes sur la vitre opalescente les taches claires qui annonceront le jour.

 

Ce sera la montée soudaine des bruits. Le paquebot s’ébranle, heurte le quai où monte crescendo la musique urbaine.

On perçoit la bourrasque de haute mer à hauteur de l’entrepont.

L’équipe de nuit rejoint bruyamment les ascenseurs. On entre dans la chambre d’un pas assuré.

Tu accueilles les voix, les regards, les soins. 

Tu es au pied de la passerelle ce voyageur attendu à la fin d’une longue traversée.

 

Sur le plateau du petit-déjeuner, on a disposé une dînette en carton.

Tu peux entrer dans le jeu, saisir prudemment le verre de thé, la brioche sous vide et le petit pot de confiture Andros.

Tu quittes lentement le lit mécanisé, mesures le rythme de tes pas.

On devine dans ta démarche chaloupée les traces de la haute mer.

La perfusion te suit dans un cliquetis de haubans.

 

 

La vie a un goût de confiture de fraise. 

 

*** 

 

Ligne à ligne

 

La nuit déplie lentement les heures et les minutes du temps obscur.

 

Les bruits s’estompent dans le couloir.

Tu guettes le passage furtif d’une silhouette devant la porte.

Tu regardes l’écran de surveillance.

Il laisse filer, ligne à ligne,

Les messages de ton cœur.

 

Tu aperçois maintenant, de très loin, la trace laiteuse de la galaxie.

Tu assumes la puissance de la gravité qui donne à ton corps son poids de chair, de sang.

Tu écoutes les pulsations obstinées.

Elles disent, ligne à ligne,

La vie et la mort conjointes dans l’instant.

 

La ville s’est inscrite doucement dans le vide nocturne.

 

Des brisures de lumière s’agrègent à la fenêtre.

Tu suis le flux et le reflux des peurs et des douleurs.

Quelqu’un est entré pour contrôler la perfusion.

Elle laisse filer, ligne à ligne, les molécules fines

Près du cœur.

 

Tu devines maintenant, de si près, un chant assourdi au bord du monde.

Tu es à la frontière d’un rêve inachevé qui donne à ton corps

La légèreté de l’envol.

Tu suis le rythme lent de la respiration. 

Elle note, ligne à ligne, le tempo exact du souffle.

 

Le jour dessine sur le ciel des à-plats de gris soyeux.

 

Des pas s’arrêtent juste devant la porte.

L’infirmière t’enroule dans ses gestes.

Les électrodes cliquettent entre ses mains musiciennes.

Tu fixes sur l’écran le mouvement des lignes de couleur.

Elles égrènent, ligne à ligne,

Les paroles muettes.

 

© Mireille Diaz-Florian

Novembre 2022 

 

 

Mireille Diaz-Florian 

Francopolis, novembre-décembre 2022

 

 

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Créé le 1 mars 2002