Samedi 17 décembre 2022
Fontaine de Vaucluse
Débit de la Sorgue : cinquante-trois mètres-cubes par
seconde
La bête rugissante et déchaînée s’est échappée des entrailles de la terre.
Elle a quitté son antre, son trou, sous la masse
rocheuse.
On l’y croyait à jamais endormie. On pensait que
l’été de feu lui avait été fatal.
Mais, furieuse, la bête est sortie dans son habit
d’écume.
Beauté fluide, insaisissable, indomptable.
Nos yeux cherchent le gouffre au pied de la
falaise. Mais elle l’a dérobé à nos regards, l’a avalé.
Elle pousse ses dragons blancs sur les rochers.
Ils s’écrasent et s’éventrent en poussières de larmes scintillantes sous le
soleil d’hiver.
Elle lance ses lustres d’eau. Projette ses
diamants sur les pierres et sur les bords. Déchire les dentelles vaporeuses
de sa robe liquide.
Elle gronde, rugit, tempête, tonne. On entend des
menaces sourdes, des rages profondes, doublées de froissements délicats de
verre et de cristal.
Une bête couleur de glacier.
Une féerie d’émeraude, absinthe, opale, jade,
transparente et sombre à la fois.
Elle couvre nos voix.
On se tait… et on sent monter dans nos jambes et
dans tout notre corps, un frisson, une énergie venus
de loin, de très loin, du fond des âges.
On se prend à imaginer des ailleurs, des bouts du
monde : Niagara, Amazonia, Victoria… et tous les sauts de l’ange.
Plus bas, plus calme, elle s’enroule dans un long
ruban de soie verte.
On aimerait s’y glisser, s’y lover, rêver. Rêver
dans son lit de fureur et de fraîcheur
… et que le temps s’éternise.
©
Nicole Goujon
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